Ce lundi 11 mai, c’est la rentrée ? Voire ! Une partie seulement des écoles est retenue par la mairie chargée d’opérations techniques sanitaires. Dans un quartier périphérique, 1/3 des parents ont déclaré vouloir envoyer leurs enfants. Deux jours de préparation, rentrée seulement mercredi (le protocole sanitaire compte quand même 63 pages…), accueillir 10 élèves par classe sur la demi-semaine, dispositif de circulation et d’interdits probablement plus stressant que le confinement dans les appartements, voilà ce à quoi on se prépare dans les écoles qui ouvrent.
Les services de la mairie, chargés de la désinfection, ne seront pas en mesure de faire face partout, tout le temps. Marqué par une journée de concertation préalable, un maître confie son inquiétude : le risque de contagion avec des enfants sans gants ni masque, notamment par le maniement des cahiers. Pour les syndicats d’enseignants, cette décision politique est « irresponsable, dangereuse et impossible ». Ils réprouvent la réouverture des classes d’autant plus fortement que le Conseil scientifique s’est dit favorable à leur fermeture jusqu’en septembre. « On a l’impression de servir de garderie, qu’on veut remettre les enfants à l’école pour que les parents reprennent le travail », déplore la secrétaire départementale du SNES-FSU.
Sachant que l’Italie, l’Espagne, le Portugal ou encore l’Irlande ont opté pour un report au mois de septembre, tandis qu’en Suède les écoles n’ont pas fermé, cette rentrée est-elle un coup de poker ? Partielle, progressive et limitée, sera-t-elle effective ou fantasmée ? Et par-delà le déluge d’informations, voire d’intoxications, qu’en sera-t-il du dé-confinement ?
La question est : agir en fonction de quel projet, selon quel modèle, conformément à quels principes ? Certains semblent vouloir nous préparer une société de « big brother » où nous serons suivis et contrôlés électroniquement en permanence. Il semble bien en tout cas que l’apprenti grand frère Macron et ses acolytes renvoient les enfants à l’école pour renvoyer les parents au turbin, ce afin de reprendre et continuer comme avant.
De nombreuses voix s’élèvent pour appeler un « jour d’après » en grand changement. Or, garder les mêmes, c’est assurer de recommencer de même. Et comment veut-on réaménager ce monde si l’on ne met pas en place en priorité un mode de réaménagement ? Où l’on voit que certain programme aux dernières présidentielles, proposant une assemblée constituante afin de tout reconsidérer et réorganiser, n’était pas si bête, peut-être seulement un peu en avance. Le mouvement toulousain « Archipel citoyen » demandait en tout cas un protocole de rentrée concerté, plutôt qu’un parachutage de directives depuis le sommet, pratique généralisée depuis deux mois à l’aide de performances télévisées.
On conçoit bien l’envie de recommencer à vivre, à faire son métier, surtout s’il est d’utilité publique, avec, s’agissant d’enfants, la volonté d’être optimiste. Mais les faits sont têtus. Selon une circulaire ministérielle il faudrait « prendre en compte les dimensions sociales, psycho-affectives et familiales ». Réponse du SNUIPP (syndicat des instituteurs) : « On se réunit en équipe, on fait les constats et au besoin on applique un droit de retrait ». Une lettre d’un enseignant ajoute : « Nous sommes désolés pour vous, les enfants, de ce que nous allons vous faire subir pendant huit semaines, ce régime semi-carcéral de privation de liberté que l’on va vous imposer. »
Et je me prends à rêver au temps où, à l’école normale d’instituteurs, au cours des Trente glorieuses, on prônait avant tout le bien-être et l’épanouissement des élèves, premier gage de réussite. Où sont-ils, les grands principes du plan Langevin-Wallon à la Libération ? « Tous les enfants, quelles que soient leurs origines, […] ont un droit égal au développement maximum que leur personnalité comporte. Ils ne doivent trouver d’autre limitation que celle de leurs aptitudes. »
Pour le sourire, le coup de pied pédagogique aux fesses, déjà depuis longtemps interdit à l’école, sera de toutes façons impossible à pratiquer avec la distanciation physique. Et pendant ce temps-là, loin de ma retraite inquiète, à mes petits-enfants qui étudient chaque jour sur Internet, j’envoie un poème de Jacques Prévert : Le Cancre. « Sur le tableau noir du malheur / Il dessine le visage du bonheur. »