Cette aire verte et aérée près du Pont-neuf n’avait jamais été privée jusqu’à ces jours. Or, elle est provisoirement réservée à qui habite à moins d’un kilomètre, soit au faubourg Saint-Cyprien ou au centre proche rive droite, même pas aux résidents de l’Université de droit et sciences sociales.
L’ espace s’ouvre pourtant depuis longtemps pour un moment de détente près du centre de la cité. Sur le cours surélevé et sous les grands platanes cohabitent piste de promenade et terrains de pétanque, parking et gare des cars urbains. Les mesures de contrôle et justification de promenades modèrent son parcours par vélos et piétons, jeunes et étudiants notamment, pour qui le kilomètre est peut-être élastique, sans oublier enfants et parents et désœuvrés locaux. À l’extrémité touchant le Pont Sain-Michel, aboutit la piste piétonne et cyclable qui longe la rive de la Garonne depuis l’amont du fleuve, empruntée par des employés d’entreprises, Oncopôle, laboratoires Fabre et autres, qui reviennent du travail à vélo, dûment munis de l’autorisation de rigueur.
On en oublie les strates du passé multiple de l’endroit. Je me suis laissé dire par la rumeur que ce cours à l’écart du centre, se muait à la fin du XXè siècle en lieu de drague homosexuelle masculine nocturne. Ce souvenir déjà lointain laisserait à certains la crainte de passer ici de nuit.
Or cette levée de terre bordée d’une digue de briques, avait un temps été plutôt « bon genre », édifiée au milieu du XVIIIe siècle sur ordre d’un archevêque : Arthur Richard de Dillon, plus grand seigneur qu’évêque puisqu’il allait émigrer sous la Révolution. L’endroit soustrait aux caprices du fleuve, reçut diverses manifestations, promenades à pied et à cheval, théâtre de plein air, courses cyclistes, foires de la ville, fêtes de gymnastique, distributions solennelles des prix et certificats aux élèves des écoles laïques.
L’ancien journaliste Louis Destrem témoignait pourtant que des baraquements y avaient reçu des Espagnols républicains immigrants, tandis qu’après 1940 ils hébergèrent les réfugiés puis les sans logis avec une cantine de la Croix rouge (surnommée « la cloche »), laquelle se transforma – dit-on – en « cour des miracles ».
Parmi les immeubles face à la vaste et belle voûte arborée de grands platanes, je me souviens qu’à la place des appartements récents se trouvait jusqu’à il y a peu d’années, une clinique créée pour « les malades des deux sexes, peu fortunés », placée sous la surveillance des religieuses de l’ordre de Notre Dame du Calvaire. Une partie de ce quartier en voie de gentrification était gérée par des ordres religieux catholiques et respirait une atmosphère compassée.
Beaucoup plus festif en un autre temps, ce cours fut lieu de foire aux attractions où l’on se rendait pour déguster les barbe-à-papa, accomplir des tours d’auto-tamponneuses, monter sur d’étonnants manèges et tirer à la carabine sur des pipes en terre, comblés peut-être par l’admiration des filles que l’on espérait benoîtement ainsi subjuguer.
Le château d’eau, maintenant lieu d’exposition de photos depuis sa création par le photographe toulousain Jean Dieuzaide, alimentait autrefois les fontaines jalonnant la ville, avec l’eau puisée quelques mètres en-dessous dans la prairie où se trouvait un système de filtre et de pompage dans la Garonne.
Sur cette Prairie des filtres inondable, s’étend un jardin riant avec plates-bandes, gazon et jeux d’enfants, où s’éparpillent des jeunes avec la nostalgie de concerts et spectacles comme le festival Rio-Loco, lesquels ne s’y déroulent plus depuis la pandémie.
Pour le sourire, la mémoire locale rapporte que l’on y planta un champ de pommes de terre durant la Grande Guerre. Il y aurait fort à dire de l’habitude d’y apporter du sable afin de le transformer en plage l’été. Plutôt que le peuple à la plage, la plage au peuple ? Ceci sera probablement problématique avec l’épidémie.
Je me souviens encore que, bien avant que je mène mes petites-filles de passage s’amuser aux jeux d’enfants sous la ramée, ma classe du « Petit lycée » avait été convoyée par un professeur de gymnastique afin d’y jouer au football, voire au rugby, lors d’après-midis appelés alors « Plein-air ».
Fréquentations diverses sous divers régimes, des abords d’un fleuve emmuré par crainte de ses graves colères et aujourd’hui interdit à nombre de citoyens, privés de sa paix apparente et des rêves d’aventures de son parcours.