Le quai de la Daurade comporte la brasserie des Beaux-Arts, ancien café Bellevue qui fut le quartier général des étudiants des Beaux-Arts voisins durant des décennies et aurait vu passer sur ses banquettes Ingres et Matisse. Autre chose est l’église de la Daurade dont le nom reste évidemment de l’occitan daurada (dorée), car après un temple romain, le bâtiment initial fut un édifice wisigoth recouvert d’or et autre matière brillante, tandis que cette église, reconstruite fin XVIIIe, affiche maintenant un pesant fronton sur colonnes.
Ce quai conduit à la place de la Daurade en contrebas, du moins quand elle n’est pas interdite. Ancien port voué aux mariniers, pêcheurs de sable et lavandières, et normalement aire de jeux et de promenade fréquentée surtout par des jeunes, une boutique en cavité dans la muraille, à fronton néo-classique et intitulée « Pêcheurs de sable », y propose consommations et casse-croûte. C’était autrefois un glacier après avoir été… une morgue pour les noyés. Merci à notre municipalité de ne pas vouloir l’approvisionner en victimes du covid ! Au-dessus du quai, qu’en pense le Café des Artistes dominant cette place habituellement favorite des étudiants ?
Le Pont-Neuf proche est, en dépit de son nom, le plus vieux pont de la ville encore debout sur la Garonne, les autres ayant été emportés par les crues du fleuve. Vu sur ses flancs, il frappe par les ouvertures (dites « dégueuloirs ») ménagées dans ses piles afin de laisser passage en partie au flot, lors des crues violentes de ce fleuve coléreux.
On aime passer ce pont sur ses larges trottoirs en contemplant le flot aux teintes changeantes et les quais variant entre l’ocre et la mandarine, sauvés heureusement d’un projet de voie express. Jadis, on pouvait observer en amont vers la pointe nord de l’île de Tounis, le plus ancien pont de Toulouse (connu dans les textes sous le nom de « Pont-Vieux » depuis le XIIe siècle). De ce pont-là s’exerça longtemps un supplice médiéval infligé aux maquerelles et autres condamnés, consistant à les enfermer dans une gabia (cage) pour les plonger à plusieurs reprises dans le fleuve.
Surtout ne pas rater une façade de pierre blanche où se découpent en bas reliefs des femmes peu vêtues, à chair d’albâtre évoquant la pâleur charnue des corps féminins d’antan, avec un lyrisme d’ornementation en sus. Voici l’Institut supérieur des arts de Toulouse (isdaT), établissement public d’enseignement supérieur. Il s’agit d’une des grandes écoles d’art nationales où Ingres en personne fut élève à la fin du XVIIIème siècle, alors qu’elle était la première des Académies provinciales et la seule, avec celle de Paris, à porter le nom d’Académie royale !
Si ces statues allégoriques de la Peinture, la Sculpture, la Gravure et l’Architecture, se trouvent ici , c’est parce que voici une partie monumentale d’un nouveau Palais des Arts et des Sciences industrielles, commandé à l’architecte Pierre Esquié afin de modifier et recouvrir les locaux de l’ex-Manufacture des Tabacs.
Avec maintes effigies en médaillons et de nombreuses mentions de créateurs nationaux, voici un échantillon d’un style néo-classique surchargé, ayant fleuri avant les révolutions des styles moderne et art déco du début du XXème siècle. Je l’ai évoqué il y a des années à ce micro, cette école fut inaugurée par le président Sadi Carnot car, pour Jaurès, l’institution devait témoigner de l’essor donné à Toulouse par les commandes aux artistes locaux qui marquèrent les festivités et les accompagnèrent : « Il y aura là [ déclara-t-il] un admirable musée d’histoire et d’art, unique peut-être en France, car il n’y a probablement pas d’autre ville qui puisse ainsi illustrer ses annales avec le seul génie de ceux de ses artistes qui sont arrivés à la gloire. »
Malgré ses défauts – et presque grâce à eux, on peut aimer cet affichage de corps que les arts permettaient pourtant aux temps plutôt puritains. L’ensemble de ce monument, inclus dans son site privilégié, est très fréquentés par badauds et promeneurs et mérite au moins autant l’intérêt que les quais de la Seine.
C’est ainsi que, si l’on en croit une grande toile d’Henri Martin au Capitole, intitulée « Les rêveurs », le toulousain tutélaire Jean Jaurès venait faire par ici les cent pas afin d’y préparer ses discours et y « rêver ». Car, assurait-il : « Développer l’art à Toulouse, c’est élever la civilisation dans tout le Midi. »