Le Ramier de Toulouse transformé en vaccinodrome, voici qui sent la situation extraordinaire, comme lorsque l’on planta des pommes de terre à la Prairie des Filtres en 14-18. Après maints errements et contrordres, le pouvoir prônant maintenant la vaccination en masse, ce vaccinodrome ouvert depuis deux weekends, va ouvrir également en semaine, sept jours sur sept dans le hall 8 de l’ancien Parc des expositions.
Pour rappel, sont concernées les personnes âgées de plus de 70 ans et celles avec une pathologie à très haut risque de forme grave de Covid-19, il faut prendre rendez-vous par téléphone au 0800 54 19 19 (numéro vert), soit via la plateforme en ligne Keldoc.
Or, par-delà l’actualité brûlante, on me pardonnera de noter que voici un nouvel acte dans le destin fort changeant de cet ensemble d’îles au milieu de la Garonne appelé le Ramier. Au début du XXe siècle y fut projeté un « Bois de Boulogne » toulousain. L’endroit fut au fil des années un site de promenade dominicales et où les enfants apprirent à nager à la piscine municipale Nakache et vinrent applaudir joueurs ou cyclistes au Stadium, ainsi qu’un parc des expositions avec vastes halls.
Mais l’histoire n’est pas toujours rose ni verte. On céda une place à l’université avec des laboratoires, à la ville avec une usine d’incinération et l’usine électrique et à l’État pour l’agrandissement de la poudrerie. Après le bombardement de cette poudrerie en 1944, survint un autre cataclysme en 2001 avec l’explosion de l’usine AZF voisine, endommageant le stade, les installations sportives et autres. L’école de chimie laissa place à un casino tandis qu’une industrie dangereuse, classée Seveso II, est maintenue au-delà à la pointe amont, ce qui semble pourtant contraire à la vocation de l’ensemble.
Car est projeté ici un vaste projet d’un Parc Garonne : poumon vert de Toulouse et espace de détente, avec quatre parcs dans l’ensemble de l’île du Ramier. Une première tranche comporte le départ du parc des Expositions, la démolition des halls ainsi que des parkings. Une esplanade « grande comme la place du Capitole » pour accueillir de grandes manifestations sportives et culturelles, donnerait directement sur l’une des passerelles prévues pour franchir la Garonne vers le quartier Saint-Cyprien.
Une concertation citoyenne a également suggéré de réaliser des espaces de création artistique et des sentiers pédagogiques tout en rendant le lieu exemplaire en termes d’écologie urbaine. De quoi rendre plus agréable la promenade actuelle en imaginant cet endroit conforme à l’utopie dont il fut l’objet il y a plus d’un siècle !
Retour au présent immédiat, une partie de ce Ramier est vouée donc à la vaccination contre la pandémie. Passons sur les doutes et craintes à propos des vaccins, ainsi que sur les regrets d’une politique de santé qui n’impliquerait pas les restrictions drastiques des libertés.
Pour le sourire, alors que sont déjà sollicités pompiers, personnels de santé professionnels et bénévoles, le CHU de Toulouse va embaucher 2000 étudiants sur ce vaccinodrome, lesquels seront rémunérés pour la réalisation de tâches administratives, d’accueil ou de soins selon leur profil. Depuis un an, des milliers d’étudiants en santé, volontaires, participent à la lutte contre l’épidémie de Covid-19 et certains s’activent notamment sur la plateforme de prise de rendez-vous pour la vaccination, ce qui leur vaut le surnom de « pioupious » par un médecin urgentiste au Samu 31. Les pioupious vont donc se multiplier.
Le sourire se fige un peu lorsqu’on lit dans la presse la déclaration du patron de ce Samu, justifiant aussi ce « coup de pouce » par la situation désastreuse des étudiants : « Les études coûtent cher, certains jeunes ont vraiment des difficultés pour manger tous les jours et ne peuvent plus faire de petits jobs. » Sans doute, ces étudiants vont-ils participer à une démarche généreuse qui peut aussi les aider. On espère que la vaccination en masse aidera à dominer le virus et aussi à ne pas laisser s’installer durablement la plus grave crise économique et citoyenne depuis la 2e guerre mondiale, dans laquelle les jeunes risquent d’être une génération sacrifiée.
Mais gardons nous d’être naïfs. Dans le Candide de Voltaire, Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie qui lui faisait conclure « tout est au mieux » « dans ce meilleur des mondes possibles ». Mais le voyage du jeune Candide lui montrait un monde sauvage et sans pitié.