L’actualité se présente aujourd’hui sous deux formes : réelle et virtuelle. Sachant que la visite de lieux tels l’hôtel d’Assézat n’est pas d’actualité, je me suis reporté sur internet pour… voir que l’on pourrait en faire une visite virtuelle. Je dis bien « pourrait » car je n’ai pas réussi à l’accomplir sur le site qui la propose. Et c’est ainsi que je pose benoîtement la question : une telle visite, réelle ou virtuelle, ne serait-elle pas de première nécessité ? Avec aussi les corollaires : qu’est-ce qui est aujourd’hui de première nécessité, qui le décide et comment ? Mais ceci est une autre histoire…
Près du Pont-Neuf et de la Garonne, sur les lieux d’une cité romaine et en plein quartier des Changes, nous voici donc Place d’Assézat devant le spectacle saisissant d’un haut mur de briques tranché par une porte luxuriante de pierres ouvragées et surmontées d’une élégante fenêtre à meneaux typiques de la Renaissance.
Derrière la muraille de briques on peut toujours déboucher dans une des plus belles cours Renaissance toulousaine, munie d’une splendide loggia et d’une coursière suspendue, ouverte sous une des plus hautes tours de ce vieux quartier, affichant la puissance du propriétaire, riche commerçant en pastel au Pays de Cocagne. La « cocanha » était le nom occitan du cocon de pastel servant à teinter en bleu clair, marchandise en ce temps chère et prisée. Pierre d’Assézat étendait ses cultures dans tout le « triangle d’or » du Lauragais tandis que c’est au port de la Daurade qu’il vendait ses productions envoyées dans de nombreux pays.
Détail souvent oublié : l’aventure se déroulait au temps des guerres de religion. En 1562 l’expulsion des protestants éloigna le pastelier de la ville dix ans durant, jusqu’à sa conversion au catholicisme et au pardon du roi de France. Arriva l’indigo, plante sud-américaine directement concurrente et la méfiance des banquiers lyonnais s’ajouta à de mauvaises récoltes. Assézat mourut ruiné, ses derniers biens saisis. Splendeur et misère, inscrite, si l’on sait l’entendre, dans les magnifiques pierres de cet hôtel aujourd’hui propriété de la ville (la pierre étant signe de richesse au pays de la brique).
Face à l’entrée, un corps de bâtiments contient des salles de réunion affectées aux diverses académies savantes, dont le temple de la poésie éternelle, la fameuse Académie des Jeux Floraux, réputée la plus ancienne des académies de France, et dont obtinrent des récompenses entre autres Ronsard, Hugo et Chateaubriand.
J’avais déjà évoqué cet hôtel d’Assézat début 2016. Contre l’idée que l’Académie des Jeux floraux y était composée d’aristocrates et de réactionnaires, Jean-Jaurès avait demandé le maintien d’une subvention municipale à cette compagnie, au motif qu’il s’agit non seulement d’une académie ancienne et célèbre (Ronsard, Hugo et Chateaubriand y furent primés) mais encore d’un des points les plus intéressants de la ville.
Pour le sourire, une vaste salle du rez-de-chaussée est nommée Clémence Isaure. Souvent invoquée, cette invocation d’une protectrice de la poésie courtoise dont le buste trône devant toute manifestation culturelle ici, parmi lesquelles des conférences et salons littéraires, quand cela peut avoir lieu, est une figure probablement imaginaire, mais tutélaire.
On peut évidemment considérer comme mineur le préjudice de la fermeture de telles activités. Dommage sur les terres des troubadours et troubaïritz, poètes en occitan qui propagèrent la poésie amoureuse en toute l’Europe médiévale. L’académie des Jeux Floraux remet normalement des « Fleurs » aux lauréats des différents concours qu’elle organise. Ainsi sont couronnés des adultes et aussi des jeunes, dont des écoliers, en maintenant une tradition d’écriture que certains rattachent à la grande poésie des troubadours. Alors, le manque est-il si mineur que cela ? Christian Bobin assure : « L’écriture est une petite fille qui parle à sa poupée. Les grands yeux d’encre de la poupée lui répondent, et par cette réponse un ciel se rouvre. »
On sait que les dégâts provoqués par le confinement et les interdictions dépassent probablement – et de loin – ceux provoqués par l’épidémie. Mais se pose-t-on assez la question : Où peut conduire l’absence de création artistique et culturelle ? Que serait la vie à venir dans un monde où cinémas et théâtres, ainsi que musées et monuments, seraient remplacés par des écrans de téléphones mobiles sous influence de « bigs brothers » ?