J’ai aimé bien des livres de Delteil, ce météore qui, après avoir été la coqueluche de Paris dans les années folles, se retira en son Sud. Une fuite, certes, mais mesurée et consciente.
« J’ai fui. Ce que j’ai fui, c’est ce côté officiel de la littérature, ce côté foire, bazar, bagarre, c’est le métier d’homme de lettres, ses pompes et ses œuvres, ses servitudes sociales, ses obligations mondaines et journalistiques, son Académie… » Une fuite riche aussi de tout ce qu’il a connu, entre autres l’amitié des surréalistes… et l’amour de sa femme, introductrice de la Revue Nègre en France, qui va l’accompagner dans sa retraite. À Pieusse dans l’Aude puis dans sa propriété de l’Hérault, il écrit autrement, du naturel et de la langue, alliage alchimique du bonheur. Cela va de la recette des « tomates à la Lucie » comme on les fait au village dans la Montagne noire : « Le grand péché de la cuisine, c’est la luxure… »*, à une réflexion sur l’écriture dans ce qui sera un peu son testament, cette Deltheillerie conjuguant recul réflexif et ouverture de soi tout grand.
« À vingt ans, j’avais les mots à corbeillées, à romphles, et par dessus le marché. J’écrivais sur mon compte en banque, la banque Dieu. En chasse ! en chasse ! Voici les troupeaux d’épithètes, les volées d’images. Ah ! sentir la pensée soudain prise au piège des mots, comme autrefois en gaougnant je sentais ma truite tressaillir dans la paume de ma main ! »
Peu d’auteurs ont le privilège de combiner Pascal, Rimbaud et Heidegger avec la pensée du peuple méridional, une langue savante, précieuse presque, et le génie du parler occitan. Il y eut Rabelais, il y avait Delteil. Et qui, maintenant ?
* La Cuisine paléolithique (éd Arlea).