Voici un coup de cœur pour une biographie, bien mérité car l’Algérie est enfin d’actualité (même quand il ne s’agit pas de terrorisme !) et surtout parce que le livre resitue un homme dans une réalité si souvent travestie, quand elle n’est pas occultée. Cerise sur le gâteau, des passages sur Camus et l’Algérie, quand on a décliné tant de bêtises à ce propos, à commencer par les gorges chaudes médiatiques après la remise du Nobel, la fameuse citation « je défendrai ma mère avant la justice » coupée de son contexte : « j’ai dit et répété qu’il fallait faire justice au peuple algérien […] ». Ce livre informé confirme entre autres l’attitude du philosophe qui, partisan non pas d’une indépendance mais d’une fédération, participa d’ailleurs à une tentative de conciliation tout en intervenant souvent pour la grâce de condamnés et en faisant le procès du colonialisme. Le personnage de Chevallier, lui, est un aventurier ambigu et séduisant qui joua sa vie sur divers tableaux, parfois scabreux (avec les Croix de feu) mais avec sincérité et constance dans l’engagement. Maire d’Alger, il se rendit célèbre entre autres par ses constructions de logements populaires et jouissait tellement de la considération des administrés qu’il hérita de charges ministérielles (lesquelles il abandonna lorsqu’il les jugea intenables) et surtout que firent appel à lui en dernier espoir à la fois des membres de l’OAS et une fraction des musulmans ! Il faut lire ce bouquin comme un roman, celui de l’histoire réelle d’une Algérie dite française qui va se retrouver indépendante alors que le projet de fédération, également nourri par Chevallier, Camus et d’autres, eût peut-être été réalisable jusqu’à un certain moment… Il reste bien discret sur le rôle des « démocrates » Mitterrand et Guy Mollet enfonçant la nation dans le bourbier de la guerre. Mais on en retire de forts enseignements, comme la realpolitik de de Gaulle qui se servit de l’Algérie plus qu’il ne la servit, et aussi celui-ci : « Jamais dans leur esprit [celui des musulmans], j’en suis convaincu, n’avait germé l’intention de chasser les français d’Algérie ». Nous sommes en 1954. Les choses évoluèrent par la suite (on lira aussi les résolutions du FLN et de même l’action de l’OAS qui firent tout pour en arriver là où l’on sait), au point que si l’on peut parler de « cocus de l’Histoire », c’est malheureusement le cas des petits Pieds-noirs, véritables « suicidés » pour Chevallier qui se débattit sans cesse à tenter de sauver la mise. Les choses évoluèrent encore beaucoup ces dernières décennies… à rebours ! J’ai moi-même en effet entendu sur place des Algériens, pourtant bien à gauche, dire qu’un retour de Français serait aujourd’hui souhaitable… À lire comme antidote aux calembredaines courantes sur la question et aussi comme sérum de vie dans un contexte mortifère.