Pour ma dernière chronique à la dernière émission d’ « Excusez-moi de vous interrompre », j’ai choisi un thème à la fois culturel et toulousain : les Jeux Floraux. Je puise encore dans mon Guide du promeneur curieux.
Le décor est situé place d’Assézat où une porte luxuriante ouvre sur la cour intérieure du plus magnifique hôtel du « pays de Cocagne ». À l’intérieur se suivent en étages, salons et bureaux de diverses académies savantes, depuis que le banquier Ozenne acquit l’hôtel et le légua à la municipalité pour les héberger. Au rez-de-chaussée s’étend une salle où se déroulent des manifestations culturelles, dont des salons littéraires (notamment celui de « Les Gourmets de lettres »), sous une statue de Clémence Isaure : patronne de la poésie à Toulouse. Cette figure est celle d’une femme ayant peut-être existé ou bien une allégorie très présente en la ville hantée par le mythe de la Dame belle et cultivée. Ici eut lieu l’aventure étonnante du négociant Pierre d’Assézat.
Au XVIe siècle, ce riche marchand de pastel, devenu capitoul, fit bâtir son hôtel en plein essor du commerce du pastel, cher et prisé en Europe car il servait à teinter en bleu clair : tissus, boiseries, etc.. Pierre étendait ses cultures dans tout le « triangle d’or » du Lauragais et c’est du port voisin de la Daurade qu’il envoyait ses productions dans de nombreux pays. Mais ce conte de fées a un envers que l’on évoque rarement. L’aventure se déroule au temps des guerres de religion. L’expulsion manu militari des « parpaillots » chasse de la ville le protestant Assézat qui intrigue, doit attendre des années le pardon du roi de France et se convertir au catholicisme. Mais arrive l’indigo, plante sud-américaine qui concurrence le pastel. La méfiance des banquiers lyonnais s’ajoute à de mauvaises années et, finalement, Assézat meurt ruiné, ses derniers biens saisis, mais redevient toutefois propriétaire de son hôtel. Splendeur et misère d’un négociant et d’un temps, inscrites dans les pierres d’un tel hôtel.
C’est sous le porche en fond de cour, qu’une porte donne accès au temple de la poésie séculaire : la fameuse Académie des Jeux Floraux. À Toulouse, malgré vacarme médiatique et prestige universitaire, on mesure la poésie à l’aune de trésors d’origine locale. Annoncée dès l’entrée de l’hôtel, reconnue la plus ancienne société savante d’Europe, celle-ci fut dotée du statut d’Académie en 1694 par Louis XIV. À l’origine Consistori del Gay Saber (consistoire du Gay Savoir), elle se veut héritière d’une tradition de sept siècles et prétend promouvoir la poésie et la littérature sous toutes ses formes. Chaque 3 MAI, elle remet salle des Illustres au Capitole, des « Fleurs » aux lauréats des différents concours qu’elle organise. Ainsi, des auteurs sont toujours couronnés à la suite de Ronsard, Victor Hugo et Chateaubriand. Selon la légende, Clémence Isaure aurait voulu par un legs, que l’Académie distribuât tous les ans ces « Fleurs d’argent pour inciter la jeunesse à l’éloquence ». Plus historique est la personne du troubadour Arnaut Vidal (originaire de Castelnaudary), le premier lauréat du Consistori, avec un sirventès (poème à sujet autre que l’amour) récompensé d’une violette d’or en 1324.
Autre dessous de l’histoire, cette institution fut jadis l’occasion d’une controverse au conseil municipal toulousain. Charles de Fitte, socialiste blanquiste, protesta contre la subvention à l’Académie composée de notables, selon lui « un foyer de réaction ». L’adjoint au maire Jaurès argua cependant que cette académie « est une vieille société littéraire et artistique qui a jeté un grand éclat à Toulouse et au dehors et a produit des œuvres vraiment remarquables » et qu’en conséquence il fallait poursuivre l’aide communale à cette société.
Sept « troubadours » auraient retrouvé la tradition en édictant des leys d’amor (lois d’amour). Il est certain qu’aujourd’hui participent à l’activité de l’académie, au titre de « Maître-es-jeux » ou « Mainteneur », des poètes contemporains en français et en occitan, intellectuels de talent et de conviction. Et parmi les prix attribués, nombreux sont ceux qui récompensent les productions de jeunes poètes aux concours et en actions de promotion de la poésie dans les établissements scolaires. Salutaire espérance – utopique ou volontariste – que restent présents et vivants, la langue et l’esprit du trobar (poésie d’amour) de leurs prédécesseurs troubadours des grands XIIe et XIIIe siècles.