2012 : cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie. Au début de l’année n’apparaît guère encore d’enthousiasme à évoquer cette Histoire. Le hasard veut que j’ai lu ce livre d’un auteur français, fils d’Algérien. Écrit à la deuxième personne, celle du père à qui il s’adresse, non par posture littéraire mais comme authentique déclaration post mortem : « Je tiens ces lignes en moi depuis quinze ans. » Voici un parler vrai dans une confession émouvante, à la fois bilan lucide. Précieuse lucidité à l’heure où la tendance est à la dénégation, la culpabilisation, l’oubli… « Votre génération et la nôtre ne se croisent jamais sur ces sentiers » et aussi « Tu as toujours couru après le besoin de gagner ta vie, devenu au fil des jours la manière de finir ta vie, comme le pensent aussi les condamnés aux chambres de la Sonacotra ». Parfois à la limite de la cruauté : « Lorsqu’il t’arrivait d’essayer de nous comprendre, de te sentir proche de nous, tu parlais vite et de façon intarissable. Malgré ce flot de paroles, c’est nous qui ne comprenions plus rien. » Abd el Kader dut travailler dès l’enfance dans son pays, puis fut envoyé à la guerre en tant que tirailleur, à deux reprises, en 40 et en 45. Son livret militaire reste en filigrane tout le long du texte, comme de sa vie, où pourtant on ne lui en sut qu’un gré dérisoire : « dans ton village aux murs de terre, tu étais un miséreux, ici tu es un étranger ». Un homme qui pourtant savait pour ses enfants leur offrir des « petits matins embaumés à l’odeur de café ». On se prend à rêver que ce vieux chibani parti puisse, là où il se trouve maintenant, lire ces belles pages filiales, belle ouvrage aussi d’auteur. La vraie littérature n’enfonce que des portes closes.