Vue une longue et étrange liste de personnages précédant le texte, on y entre avec quelque inquiétude, très vite oubliée dans la suite haletante du trajet d’une protagoniste dominant la première moitié du livre. C’est une jeune femme élancée, résistante et ascétique qui se révélera très volontaire quoique aussi très humaine. Elle rencontre des bûcherons, lesquels, tout en ne la menaçant pas, lui causent les craintes féminines que l’on sait face aux mâles toujours risquant de déraper. Cette jeune femme apparaîtra l’opposé d’un autre personnage mâle et âgé qu’elle recherche et qui pourrait un peu ressembler à l’auteur. Car l’écrivain est lui-même âgé et aux prises avec des questions existentielles (il vient de publier un livre sur sa fille disparue dramatiquement). Histoire de père à fille donc ? Sans doute, vus les questionnements réciproques. Mais c’est beaucoup plus complexe car cela se déroule au 22e siècle après une transformation du monde dont on ne possède pas l’explication, sinon à la toute fin du récit. En réaction à un cataclysme qui aurait vu la destruction d’une civilisation technologique, la nouvelle civilisation s’est récupérée dans une proximité de la nature et un ordre dominé par les femmes, ces fameuses Amazones. Car l’humanité se retrouve fortement influencée par la culture amérindienne, ce qui explique les surnoms des personnages comme la jeune femme appelée Longues-jambes. L’auteur a pensé opportunément aux indiens en tant que contre-culture. Venant d’ailleurs, il ne pouvait recourir aux Occitans, ces derniers des Mohicans de la France. Il émaille son propos d’étonnantes déclinaisons de noms et qualités d’une multitude de plantes. Connaissances en choses et sciences naturelles que j’explique par ses études mais aussi son origine chez les « bounhoumes » (paysans sans terre en Bourbonnais). « Ils les élèvent comme leurs propres enfants » écrit-il des plantes et animaux par les paysans. Ce roman dystopique, encore un, vient fort à propos en imaginant un dérapage du monde qui toujours nous menace comme l’épée de Damoclès et en proposant sinon un autre modèle du moins un état possible. De plus, l’imagination d’une domination féminine, qui se retrouve dans bien d’autres livres, est pour paraphraser Marx et Engels, un spectre qui hante aujourd’hui le monde. L’ensemble est conté en nouveau calendrier daté d’avant et après le début de l’ère amazonienne (2121). Bien des auteurs procèdent de même dans d’autres récits aussi dystopiques, témoignant de l’inquiétude et des réflexions actuelles. Étrange comme les esprits se rencontrent, d’autres (dont moi-même) rêvent aussi d’un salut au-dessus de la mêlée en montagne ! Il y a dans ce livre beaucoup d’explications qui pourraient être éludées, à mon sens faiblesses et envers de la médaille très informée, défaut… du « jeune » romancier. Qu’on se rassure, l’ensemble ne lasse pas grâce à la sincérité, la générosité et la finesse des sentiments. L’auteur n’est pas un faiseur, il joue sa peau. Il y a de quoi laisser le lecteur pensif de présent et avenir et aussi de quoi l’enchanter par l’évocation de bonheurs quand même possibles comme « parler aux abeilles » afin de conjurer le sort.