Il s’agit de Solitudes, un recueil de poèmes d’un nommé Romain Lasserre aux éditions NetB.
À l’époque des fêtes, dans un monde si sombre on désire lumière et Lumières, avec majuscule ou pas. La poésie n’ayant plus guère de valeur marchande, elle se raréfie dans les rayons. Il faut la chercher dans les retranchements hors la logomachie médiatique. Les éditions NetB publient à Colomiers, en région toulousaine, ce recueil où l’on ne chante pas pour passer le temps : « Assis seul dans le parc qui sépare les mille / cellules empilées où ils se croient heureux / J’observe les hommes. Je m’inquiète pour eux. » La 4 è de couverture présente l’auteur comme « architecte et chanteur dans un groupe de hip-hop », carte de visite qui dit la teneur des écrits, à la fois très construits et très empreints de culture contestataire. Ce qui donne un étonnant ensemble de sonnets, une des formes poétiques classiques les plus contraignantes, exprimant pourtant ici des thèmes banals souvent fort incarnés, voire quotidiens. Insomnie, EHPAD, Cadres supérieurs, Pornographie, Saint-Sernin, etc sont des titres parmi d’autres. Si parfois certains vers peuvent laisser une impression d’improvisation, voire d’inabouti, on reste médusé par le travail, plus d’une centaine de sonnets dans les formes tout de même ! Impressionné par la virtuosité qu’affichent ces alexandrins (vers de 12 pieds) rimés selon les combinaisons contraignantes de la prosodie classique et pourtant aussi touché par la justesse du ressenti. Cet artisan insoumis qui se permet des rimes cavalières (glisse-orifice, tags-vague…) prend aussi à la manière des romantiques des libertés bousculant l’ordre des vers dans le poème. L’alexandrin, modèle par excellence , est rejeté par ceux qui croient naïvement bannir des règles. Le regretté Jacques Roubaud qui vient de décéder montra dans La Vieillesse d’Alexandre qu’en fait il n’est pas de poésie « libre » mais qu’on change seulement les règles. Or, l’alexandrin se voit ici encore soumis à une déviance formelle. L’auteur compte les pieds avec le E final prononcé, non muet comme il devrait être à la parisienne : « Mon sexe s’enli-se jusqu’à l’apothéose ». Que Lasserre soit en cela fidèle à une langue populaire méridionale contribue à donner à son travail une couleur culturelle à la fois collective et personnelle, cultivée et engagée. C’est ainsi qu’il touche parfois juste et fort comme en ce texte intitulé un peu inadéquatement (selon moi) « Vampire », parmi les plus beaux chants d’amour : « Ce n’est pas ton sexe que je veux, c’est la nuit / Cette nuit défendue par tes formes convexes […] j’imagine une issue qui mène à ta jouissance… / Qui mène à l’au-delà… » L’art parle de lui-même mieux que tout commentaire. Je laisse dire encore quelques vers au hasard de l’émotion : « On rit dans nos cagoules / En quittant le chalet sous un soleil perplexe. » conclusion d’un récit de casse. « Les chiens noirs du pouvoir dressés dans leurs armures » sont évidemment des flics contre une manif. On frémit à la justesse de sentences telle : « Le bonheur abrutit. La vérité consume. » Et l’on finit emporté par : « Je penserai à toi, mon seul amour, ma faille. » Où l’on voit que la poésie vraie n’est pas dans le joli mais peut être en le dire l’aventure, attiser le feu qui réchauffe la vie. À commander pour un cadeau, à soi ou à autrui, en tout cas à lire, à déguster à doses homéopathiques… ou bien à dévorer d’un bloc.