J’ai lu in extenso ce grand classique et ce avec délice. Du coup, je fais exception en chroniquant un deuxième livre en prose du même auteur. Le premier est un petit recueil de nouvelles, genre à encourager ainsi que la poésie puisque le sacro-saint marché ne l’avantage pas. J’avais déjà lu pas mal de nouvelles et des romans comme Mont Auriol, mais seulement vu le film adapté de ce Bel ami. Belle leçon de littérature où tant de qualités sont réunies, à commencer par une documentation fournie sur les milieux affairistes et politiques mêlés du Paris du XIXème siècle. Sont brocardés entre autres les ministres et leurs affidés qui s’enrichissent énormément dans un délit d’initiés. Ce passé un peu lointain a un étrange parfum d’actualité… La qualité de l’écriture de ce roman paru en feuilleton n’est pas la moindre, parfois teintée de romantisme : « et il entendait une rumeur confuse, immense, continue, faite de bruits innombrables et différents […] le souffle de Paris respirant, dans cette nuit d’été, comme un colosse épuisé de fatigue. » Monde bourgeois que l’auteur connaissait et dévoilait bien en montrant des hommes avides de pouvoir et de richesse et des femmes privées de droits politiques mais intriguant dans l’ombre des alcôves. Quant à l’évocation des moments d’amour, elle est souvent estompée, le sujet étant plus souvent l’ambition où l’amour n’est hélas qu’un alibi. Pourtant, l’art de l’auteur laisse quelques moments bien forts : « Ce fut un très long baiser, muet et profond, puis un sursaut, une brusque et folle étreinte, une courte lutte essoufflée, un accouplement violent et maladroit. » Et même des moments ambigus, émouvants ou dérisoires, comme quand la femme mûre et « honnête » séduite croit devoir dire : « Je vous jure… que je n’ai jamais eu d’amant », tandis que le narrateur ajoute : « Comme une jeune fille aurait dit : – Je vous jure que je suis vierge. » Il y a peu d’optimisme dans tout cela mais beaucoup de lucidité, surtout quand un vieux poète résume l’arrivisme : « Tant qu’on monte, on regarde le sommet et on se sent heureux ; mais lorsqu’on arrive en haut, on aperçoit tout d’un coup la descente, et la fin qui est la mort. » Voici un panorama édifiant de la haute société française du siècle suivant la Révolution, où l’argent remplace toutes valeurs, et à la fois une peinture très sensible. L’auteur masculin est aussi sensible à la féminité. J’ai retrouvé ici la longue ascension intérieure féminine vers l’explosion sensuelle déjà en œuvre dans Mont-Oriol. Cette féminité qui, se cherchant tout en maintenant l’amour, peut faire le bonheur de l’homme ou bien son malheur. Autre actualité…