Montalban, à la saveur sans pareille, cuisine ses livres en Espagne, pas celle des touristes mais la sociale. Il inventa en sus (ou su en hériter) un genre de polar latin « réflexif ». Il fallait le faire, dans un petit monde où l’hégémonie du polar yankee est cultivée même par les anciens « gauchos » ! Parmi la dizaine de livres de lui que j’ai goûtés, celui-ci n’est peut-être pas le plus magistral, mais le plus émouvant. Le dernier publié de son vivant (sauf erreur), il renvoie, comme une boucle à boucler, à Les Mers du sud, un de ses premiers. Pepe Carvalho, est chargé d’un service de renseignements pour un secret réseau européen qui sent le virage à droite très serré. Sa Charo (incarnation de la femme fantasmée : splendeur, prostituée, aimante et disponible mais majeure et indépendante), s’est éloignée. Le voici harcelé consentant par une ancienne amour qui lui envoie de longs et brûlants fax. De quoi se retourner sur le temps et sa résultante, depuis Les Mers du sud où cette Yes l’avait séduit plus de vingt ans auparavant. Où l’on voit que le polar européen n’a rien à envier à l’existentialisme d’un Ellroy, ni même à la littérature dite blanche, prisée au quartier latin. Quant à la peinture de la cité, Barcelone est élevée au rang de décor fétiche, autant que Chicago, N.-Y. ou L.-A…. et même que Paris ! Il existe un circuit des « restaurants de Manuel » dans le « quartier gothique ». Il n’empêche qu’elle est brocardée après les J.O. : « en s’efforçant de faire une relecture de Barcelone, de se réconcilier avec sa décision de devenir une ville pasteurisée en odeur de gambas de toutes les fritures dégorgeant de la métastase de restaurants qui avaient envahi la Ville Olympique […] Toutes les métaphores de la ville étaient devenues inutilisables. » La métaphore et la parabole, sont pourtant mets et crus favoris de ce gros buveur et mangeur, tandis que l’écriture minimale anglo-saxone se fait maigrir en carême. Et que le héros brûle des livres, Henri Lefebvre cette fois, qui « a découvert très tard le rôle du quotidien au regard de l’histoire »… Bien belle histoire d’amour ou de solitude, au locuteur ballotté entre attirance et répulsion pour la Femme, l’Autre… Il n’écrit pas pour passer le temps : « Tes silences mêmes sont langage. Il faut, pour te connaître, connaître l’ensemble de ta vie, et alors on te connaît complètement ; c’est comme un jeu magique dans lequel tu te recomposes avec chacune des pièces […] »