Munro couronnée du prix Nobel de littérature, j’ai pensé aussitôt à Szymborska, la poétesse polonaise, ou même à Claude Simon, l’auteur de nouveau roman de ma jeunesse, pour lesquels les libraires de l’hexagone ont soudain cherché fébrilement à s’approvisionner… Voici un livre d’écrivain, sensible et cultivée, brossant un tableau du monde et des gens et relatant leurs joies et douleurs, plus que ses propres états d’âme. Livre de femme, aussi, tellement proche de ses protagonistes féminines qu’on se demande si elle n’est pas douée d’une capacité à revivre en elles. Il faut se laisser aller dans cette société canadienne si opaque au premier abord, où l’on entre peu à peu en suivant les trajets, parfois tragiques, quelquefois rocambolesques, toujours violents sous des dehors policés. Les lecteurs ne pourront résister à la sympathie envers ces femmes parfois méprisées, souvent malmenées, toujours mal reconnues, qui pourtant font une vie. La note : « Avoir des enfants vous changeait » ne dit surtout pas si c’est en bien… d’autant qu’elle ajoute : « Le travail, le mariage, ne faisaient pas tout à fait la même chose : ils vous faisaient seulement agir comme si vous aviez oublié certaines choses. » J’avoue que l’homme que je suis est bousculé, atterré même, par les scènes de sexe. À la fois pudiques et très évocatrices, elles disent en général des femmes qui ne prennent pas de plaisir, voire sont violentées, passives pour complaire à l’homme : « tout accepter avec cette faculté secrète, encore et encore. » C’est parfois en limite du supportable pour qui ne passionne guère le masochisme : « les halètements, les grognements, les brimades de maître Stephens, le sifflement de mépris avec lequel il commandait à Mauren de faire ceci ou cela, la façon dont il la pilonnait tout à la fin […] qui témoignaient tout de même avec éloquence, tels des bruits de cabinets, du point extrême où il en était arrivé. » Que cela ne rebute pas ceux qui croient en l’amour. Car la langue est parfois évocatrice d’espoir, nous emportant dans des histoires enivrantes, des aventures parfois confondantes, toujours humaines : « Milicent les vit, lui et Dorie, juchés très haut, sur des éléphants […] « Il vous emmènera partout. Il fera de vous une reine ! ». Un beau petit livre d’une grande auteure.