J’avais lu en son temps Ego fatum. Roman noir bâti à la perfection et qui m’a surpris par une écriture très maîtrisée se jouant du crime avec quelque désinvolture. J’avais confié à l’ami toulousain ma circonspection de ce huis clos ultra noir. De plus, je pense souvent à Pierre Bourgeade déclarant un jour que « s’il manque l’Histoire et le sexe, ça ne vaut rien ! » Hasard ou pas, Jan a publié il y a peu La Soupe Tonkinoise. Des filles sont assassinées férocement à Hanoi et l’on charge d’enquêter quelqu’un, tout en l’ayant à l’œil… L’histoire se déroule en Asie au début du XXè siècle. Mais c’est celle d’un parent Thirion. Alors, cette fois, ce n’est plus du jeu. La virtuosité de l’écrivain se retrouve dans la façon de conjuguer les dictons asiatiques et ses propres aphorismes qui, parfois en disent fort long : « Faute de bonne vie, on fait des rêveries. » Aussi dans le rythme de sa prose, assénée et coupée pour mieux porter, avec des moments d’évocations romanesques comme les tableaux de rue, les bagarres musclées, les scènes érotiques… donnant lieu encore à des formules magiques dont l’auteur à le secret : « Durant ce quart de seconde magique, il touche du doigt la vérité suprême […] » Mais le tragique est vraiment là, dans cette colonie avec ses horreurs, le bagne de Poulo Condor et les tortures policières entre autres. Aussi dans la moralité particulière : « Assassinat de jeunes prostituées dans un but d’intérêt national ». Et encore dans l’amour toujours vache, digne de Fleurs du mal plutôt : « Ses doigts se rêvent d’être les larves de la teigne pour ronger les étoffes, trouer et créer ce passage idéal qui mène au but. » Avec tout ça, l’ancêtre est fantasmé, un peu super homme physiquement et mentalement qui se tire de tous les mauvais pas, convoité et goûté par les belles dames. La documentation y est bien, sur l’état de la colonie en ce temps, avec l’armée surtout, les chants, les croyances, les villes… et les bordels relevés comme le Pavillon du Lotus où se trouvent bien sûr de pauvres filles mais aussi, plus inattendues, les réunions de la loge maçonnique… Dans ce roman, très noir par son sujet et son traitement, l’auteur pratique une alchimie de tout ce qui anime et déchire l’homme en ce monde : « Annamite et latin se mélangent sous le plafond peint de rosaces, de rinceaux et d’acanthes en trompe l’œil. » Métaphore du vertige dans lequel il nous entraîne. Je sens ce livre comme le grand ouvrage de Thirion.
* Editeur en Midi Pyrénées (Collection Noire d’Histoire).