Rien de commun a priori entre un boxeur flic et casseur et un jeune ouvrier contre la guerre. À plus forte raison entre des appelés envoyés dans un DOP, centre de torture des « bérets noirs » du deuxième bureau en Algérie, où certains excellent tandis que d’autres cherchent à se planquer, et des « Arabes » (dont « le Kabyle ») auxquels ils ont affaire. J’avais tardé à lire ce roman primé plusieurs fois, n’étant que rarement au diapason avec les goûts communs, même ceux de polardeux gauchisants. J’ai aussi mis du temps à épouser l’écriture qui m’apparut éclatée entre plusieurs récits. Enfin, malgré la douleur de l’histoire quotidienne en guerre d’Algérie, inspirée de la confidence que le père de l’auteur lui fit avant sa mort, je me suis laissé embarquer. C’est écrit tantôt comme on frappe : « Respire George. / Cinq… Six… / La tête qui tourne. / Sept… / L’autre qui m’attend… / Huit. / Debout. », tantôt en charge classique : « Des reliques de temps révolus, de vieux mythes de héros sabre au clair, [il s’agit des officiers] écrivant des confins de l’empire des lettres graves à de lointaines épouses » et tantôt avec poésie : « La ville, très vite, est une silhouette sur un ciel de nuit orangé, piquée de petites lumières jaunes. Puis une aura de minuscules étoiles ». L’hétérogénéité des actions et du mode de narration exprime sans doute les brisures des personnages, partagés et tiraillés entre la guerre et la torture, la lutte sociale et le combat de boxe, et une humanité moyenne malgré tout. Au bout du compte, on se retrouve aujourd’hui où se rattrapent et se confrontent les protagonistes vieillis. L’embarqué malgré lui dans une sale guerre a eu soin de la mettre aux oubliettes tandis que le tortionnaire s’est acheté une belle planque. Le Kabyle, lui, voudrait faire justice mais le pacifiste et le flic ripoux ne savent plus ce qu’ils veulent… dans une valse hésitation bien typique du marigot moral où patauge notre temps présent, pour finir par une sorte de happy end, si on veut. Un livre qui révèle une époque.