.…Un temps vendeur de vêtements, Abderrahmane Bouchène ouvrit une librairie très en vue dans les années 80 au centre commercial algérois de Riad el Feth. Figure de proue d’une autre politique privée du livre, il éditait rien moins que des romans classiques algériens, des « Que- sais- je », des beaux livres et aussi des ouvrages politiques dont le fameux : L’Affaire Mecili qui lui a valu des difficultés avec les généraux et leurs services… La question de la langue était un véritable front où éditer en Français tenait de l’offensive et mettait à l’index. En première ligne, il a fallu, comme beaucoup d’autres intellectuels, s’échapper (en Tunisie) pour échapper un jour in extremis aux exécutions d’un intégrisme fascisant. C’est peu après qu’Abderrahmane, arrivant en France avec femme et enfants, s’est appuyé sur un réseau d’amis pour refonder en 1998 ses activités éditoriales. Un tel exil est tout sauf une défaite dans la situation de l’édition en France et sur l’échiquier méditerranéen de l’Ouest. « Il faut aller au-delà du non dit, donner aux Algériens une connaissance de soi ! » martèle-t-il, et pour cela « re-explorer la réalité de l’Algérie. » C’est ce qu’il fait, entre autres avec La Kabylie et les coutumes kabyles de Hanoteau et Letourneux, une somme en trois tomes…
Parmi les ouvrages « exhumés » du patrimoine maghrébin que cet homme a la lucidité prémonitoire de ne pas laisser en pâture aux idéologues prédateurs « nationaux », on retrouve Les Chevaux du Sahara par Abdelkader… Tout un symbole, que ce gamin d’Alger, aujourd’hui établi dans une banlieue de Paris, ayant croisé Kateb Yacine préfaçant le livre d’Ismaël Aït Djafer (Complainte des mendiants arabes de la Kasbah et de la petite Yasmina tuée par son père) qu’il publia, ainsi que Charlot, son collègue d’Alger, éditeur de Lorca et découvreur de Camus. Avec des gens de cette trempe, on maintient la passion pour l’Algérie, rugueuse jusqu’à l’écorchure mais, qu’on le veuille ou non, métissage fécond.