J’ai entamé cet ouvrage, avec sympathie pour son auteur et curiosité pour cette collection. Mon intérêt fut soutenu tout au long de ses 377 pages ! Pas tellement par un suspense que je prends ici comme prétexte. Pas plus pour l’évocation de viols d’enfants, étant peu friand de ce genre d’épice. Un peu plus pour le refrain récurrent d’un anarchisme aimable, daté mais aussi intemporel… Cette histoire de grèves déclenchées et gérées à la base est peut-être plus visionnaire que surannée. Un officier de marine « suicidé », deux détectives privés voient leur enquête croiser aussi un groupe d’enfants ayant fui les turpitudes sexuelles auxquelles ils étaient soumis. Pourquoi situer ces sévices à Alger ? Pour ce lieu commun que la ville blanche symboliserait aujourd’hui l’enfer ? Quoi qu’il en soit, les deux drôles de protagonistes détectives nous valent aussi des saynètes de théâtre, situant le livre hors les formats obligés. J’ai vraiment aimé la peinture d’un monde des ports et des marins en lutte.
Les images fortes consacrent une artiste du verbe : « […] la sirène d’un bateau se fit entendre avec la mélancolie d’un butor sur les marais […] ». Ici est la langue, nous sommes chez un auteur vrai. Avec de nombreux termes, inconnus de moi jusqu’alors comme « un vraquier » (transporteur de vrac : minerai, etc.), à enrichir le vocabulaire. Surtout, c’est dans une alchimie personnelle du verbe que l’on trouve l’écrivaine : « les éternuements de l’eau », « la bave verdâtre ou cuivrée d’algues », « les poissons traçaient des parenthèses lumineuses au ras de l’eau ». La sensibilité féminine, même rude en peignant un monde sans pitié, ne secours pas les victimes mais les tire au moins des bas fonds anonymes. Et puis, elle laisse parfois échapper une note tendre, en tout cas fine : « La première fois [qu’il vola en parapente] il eut l’impression que son esprit se dépliait, se décollait et gonflait brusquement, comme les poumons des nouveaux-nés à leur première inspiration. » Un beau bouquin.