Ecrivain

Catégorie : Coups de coeur et lectures (Page 12 of 17)

KATEB Yacine, Boucherie de l’espérance, Ed. du Seuil et spectacle de l’AGIT.*

Cet exceptionnel coup de cœur pour une pièce (d’après un texte d’auteur) est inspiré par le bonheur de retrouver l’écriture d’un écrivain majeur, bien trop oublié aujourd’hui. Belle surprise que le spectacle donné sous chapiteau par une compagnie « toulousaine » qui nous replonge dans le phénomène littéraire, théâtral et politique, l’ami Yacine Kateb. L’auteur bouleversa le monde des lettres et le monde tout court par la publication durant la guerre d’Algérie du roman Nedjma, un des chefs d’œuvres de la littérature algérienne en français. Il écrivit et monta nombre de spectacles théâtraux, cherchant plus la sensibilisation et l’édification populaire que la consécration officielle. « L’œuvre théâtrale de Kateb Yacine est un cas exemplaire de cette Tragédie moderne […] l’art théâtral, essaie d’approcher le monde, de le concilier à lui-même, et peut-être d’éclairer ainsi le destin commun de tous les hommes » écrivit Edouard Glissant dans une introduction au Cadavre encerclé. Le texte de Boucherie de l’espérance est un fouillis riche de culture (avec vers et chœurs), où l’on se frotte à un tabou : les lieux saints. Comme beaucoup de ceux de l’auteur, il fourmille de sensibilité et d’intelligence, de poésie parfois. Preuve que l’écrivain algérien n’ignorait rien de ce « tribut de guerre » qu’était pour lui la langue française et vision à long terme, terriblement encore actuelle des rapports Israël-Palestine. Mohamed vole des olives dans le jardin du mufti. « J’habite le Mont des oliviers et je suis obligé de voler des olives ! » grimace Mohamed Zeitoun ( » olive  » en arabe…). C’est avec cette scène que s’ouvre la pièce et le ton est donné : drôle, caustique, légèrement acide. Elle continuera par une succession de scénettes dans le genre agit-prop, comme celle des deux boxeurs : « On se bat bien mieux / En dehors des cordes. / Je vais mener la guerre du peuple. » Elles sont jouées avec vivacité par des acteurs énergisés dans l’explosivité du sujet et la mise en scène en capharnaüm monté comme une horloge. C’est le sort du petit Arabe spolié, comme celui du petit Moïse utilisé, qui tiennent le haut de la scène. Une démarche humaniste. Il en est besoin, surtout sur ce sujet.

* Compagnie théâtrale itinérante sise à Toulouse : agit@free.fr et www.agit-theatre.org

 

KATEB Yacine, Le Polygone étoilé, textes divers, Points Seuil.

Le roman Nedjma , paru en plein guerre d’indépendance, marqua la naissance d’un grand auteur, pas toujours bien compris d’ailleurs. Mais Kateb (patronyme qui signifie : « écrivain », excusez du peu !) marqua son temps. Pris dans les massacres de Sétif à l’adolescence, il vécut bien des périodes algériennes, notamment après l’indépendance. C’est alors qu’il publia Le Polygone étoilé. En voici un qui perdit vite les illusions ! Expulsé au bout d’un mois de son pays où il avait le tort d’écrire ce qu’il voyait, il est aussi meurtri par la condition de l’Algérien traversant et retraversant la mer : « Loin du peuple / entassé sur le pont / et qui, lui, payant / toujours sa place », est bafoué chez lui, émigré et offensé en France : « Tout ça c’est du vent. Dans les usines, faut des papiers prouvant qu’on a déjà travaillé ». Si bien que l’auteur en vient presque à récuser son chef-d’œuvre : « Nedjma, c’est du vent ! » tant il ressent que manque à dire et à écrire. Ce qui ne l’empêche de le faire dans ce curieux mélange de poésie, de théâtre et de prose lyrique. Une phrase d’une page et demie, quarante-cinq lignes d’un souffle, invoque les ancêtres et les étoiles à propos de condition humiliante… L’ouvrage est étudié à l’université. Je ne saurais me placer sur ce plan, la littérature étant pour moi l’inanalysable. Je goûte seulement ces pages comme amateur et passionné. Tant il me dit les joies et peines de cette aventure, l’Algérie indépendante et si dépendante aussi. J’y retrouve des clés pour comprendre un absurde que l’on sent par-delà le Grand fleuve. Une anarchie policée aux mauvais sens, si bien que nul ne s’y retrouve, sauf les profiteurs : « Chacun a son plan. Et chaque fois les plans sont bouleversés […] En vérité les fondateurs savent qu’ils vont périr avant même d’avoir commencé les travaux. » Jusqu’à des mots prémonitoires pour cinquante ans : « Mais la marche de l’histoire, si elle dévorait les nouvelles énergies, semblait curieusement épargner les leaders. On n’en finissait pas avec les crimes de Raspoutine. »  Et pourtant, quel amour dans ses constats : « C’est beau, Alger ? / Vous pouvez pas savoir / La prochaine fois / On ira ensemble ». Et sans parler des femmes, question clé pour l’homme, d’autant plus pour l’émigrant. « Elles vous retiennent tendrement sous la dent, comme font les chats, pour vous sentir en vie, volage et repentant. » Quant au passé, à l’Histoire, ils sont aussi invoqués. Tant il est vrai qu’on ne dit rien sans cela : « Pétain en ce temps-là, interdisait le vin aux musulmans. / Les mesures prises contre les juifs jouèrent évidemment contre les éternels indésirables. » Et tant et tant de choses, résumées à la fin en une phrase : « Ainsi avais-je perdu tout à la fois ma mère et son langage, les seuls trésors inaliénables – et pourtant aliénés ! » Chapeau l’artiste.

KAOUAH Abdelmadjid, Quand la nuit se brise : Poésie algérienne, éditions Autres temps.

Chapeau, l’ami Madjid, pour la compétence et la complétude de ta connaissance de la poésie algérienne francophone ! Ce recueil de poèmes choisis est précédé d’études édifiantes (et fortement référencées). L’auteur a le grand mérite de n’en pas rester à des Kateb Yacine, pourtant justement cité comme phare de la littérature algérienne. J’y ai retrouvé le rôle de Jean Sénac, poète et promoteur enflammé et courageux des jeunes poètes algériens en français*, dans l’Algérie de Boumediene, nationale et tiers-mondiste mais aux libertés pétrifiées. Je m’y suis remémoré le personnage paradoxal, au moins pour nous français, de Bachir Hadj Ali, à la fois grand poète et secrétaire du PCA (Parti communiste algérien). J’ai appris que certains romanciers contemporains débutèrent par la poésie, Rachid Boudjedra n’étant pas le moindre. Et j’ai découvert de splendides voix au gré de la rutilante histoire : entre autres Anna Gréki, d’origine européenne et native des Aurès, ayant écrit et agi pour l’indépendance et qui dit son mal être ensuite : « Je ne sais plus aimer qu’avec la rage au cœur ». Aussi le presque homonyme d’un autre élève, le poète Ahmed Azeggah, d’ailleurs né à Bejaia, auquel on doit ce cri de la génération post-guerre : « Arrêtez de célébrer les massacres / Arrêtez de célébrer des noms / Arrêtez de célébrer les fantômes : Arrêtez de célébrer les dates ». Profondément enracinés dans la culture populaire là-bas, les poètes y sont pourtant méconnus comme de ce côté-ci du Grand-fleuve, malgré l’étonnant renouveau présent de centaines d’éditeurs algériens. Question brûlante de la langue (« butin de guerre » pour Kateb Yacine), conditions carcérales ou sous l’éteignoir, héritage de plus d’un siècle colonial et d’un cinquantenaire cadenassé, ils dessinent pourtant un fleuron de civilisation, aussi brillant qu’enflammé ou douloureux. Sans que les thèmes forts, résistance, féminisme, etc. évacuent l’audace formelle : « PIM PAM POUM / Le cadi qui essuie / PIM PAM POUM / Le viol est fini. » (Hamid Skif). Tahar Djaout, un des premiers intellectuels assassinés dans la « décennie noire », écrivit : « L’horizon fertile accouchera d’autres mirages, / Le bleu du ciel récidivera, / Le vent marin décoiffera d’autres têtes où fermente l’aventure / Caressera d’autres mains où les veines se nouent d’impatience. / Mais la nuit de l’oubli ne viendra pas. »

* Dans des publications et une émission très écoutée – et contestée par le pouvoir – il fit connaître entre autres un de mes anciens élèves à Bejaia : Hamid Tibouchi.

KAOUAH Abdelmadjid : Le Nœud de Garonne, Éditions Autres temps.

Journaliste de profession et néanmoins poète (un paradoxe en France ?) l’ami Majid a publié des deux côtés du « Grand-fleuve », chassé de chez lui par la folie meurtrière fanatique et désormais « attentif » comme notre fleuve sur les bords duquel il vit maintenant. Spécialiste de la poésie algérienne en langue française, il a obtenu le prix Sernet en 1995. Correspondant d’Algérie News, il est également producteur d’une émission littéraire où il reçoit des auteurs : « Oxymore » à la radio Canal sud (le jeudi de 15h30 à 17h ; 92.2 à Toulouse). Il vient de publier aussi un Retour à Alger(La Louve), et me servit de mentor pour un de mes propres retours à la ville blanche. Autant mobile que volubile, forgé par la vie et la culture, l’homme manie le lyrisme comme le didactisme. Il sait écrire parcimonieusement sa poésie d’où cependant la quatrième dimension, l’histoire, n’est jamais absente. Ce recueil, qui reçut l’aide du Centre National des Lettres, est celui de l’entrée dans l’exil. Comment rester froid aux mots tranchés dans le vif ?
« Et, abruptement/tu as changé/de pays/de femme/et d’enfants./Vraiment ? »
« Peux-tu prouver/aux professionnels du Makache, comme disait Rimbaud./Les vigiles des frontières/aux lointains ancêtres/qui eurent affaire à Ibn Batouta/A Rimbaud/à Essenine/à Yacine/De quelle patrie tiens-tu ton destin/Dans un passeport/Aussi vert que le printemps/qui vire à présent au noir. »

KALOUAZ Ahmed, Avec tes mains, La Brune-Ed. du Rouergue.

2012 : cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie. Au début de l’année n’apparaît guère encore d’enthousiasme à évoquer cette Histoire. Le hasard veut que j’ai lu ce livre d’un auteur français, fils d’Algérien. Écrit à la deuxième personne, celle du père à qui il s’adresse, non par posture littéraire mais comme authentique déclaration post mortem : « Je tiens ces lignes en moi depuis quinze ans. » Voici un parler vrai dans une confession émouvante, à la fois bilan lucide. Précieuse lucidité à l’heure où la tendance est à la dénégation, la culpabilisation, l’oubli… « Votre génération et la nôtre ne se croisent jamais sur ces sentiers » et aussi « Tu as toujours couru après le besoin de gagner ta vie, devenu au fil des jours la manière de finir ta vie, comme le pensent aussi les condamnés aux chambres de la Sonacotra ». Parfois à la limite de la cruauté : « Lorsqu’il t’arrivait d’essayer de nous comprendre, de te sentir proche de nous, tu parlais vite et de façon intarissable. Malgré ce flot de paroles, c’est nous qui ne comprenions plus rien. » Abd el Kader dut travailler dès l’enfance dans son pays, puis fut envoyé à la guerre en tant que tirailleur, à deux reprises, en 40 et en 45. Son livret militaire reste en filigrane tout le long du texte, comme de sa vie, où pourtant on ne lui en sut qu’un gré dérisoire : « dans ton village aux murs de terre, tu étais un miséreux, ici tu es un étranger ». Un homme qui pourtant savait pour ses enfants leur offrir des « petits matins embaumés à l’odeur de café ». On se prend à rêver que ce vieux chibani parti puisse, là où il se trouve maintenant, lire ces belles pages filiales, belle ouvrage aussi d’auteur. La vraie littérature n’enfonce que des portes closes.

JURANICS Stéphane, Dans l’écrit du monde, éd. La Passe du vent.

Ce recueil regroupe des textes écrits durant une décennie (de 1998 à 2007), dont certains ont été publiés en revues ou en anthologies.
J’ai lu et apprécié, à petites doses comme un alcool fort et aussi comme une boisson tonique et réconfortante. Tantôt laconiques et tantôt d’une sorte de lyrisme ininterrompu, voici des textes frappants par la sincérité vraie (et non pas la confession), et aussi par la violence. Tels les mots sur Budapest en 56 inspirés à ce jeune poète qui, d’origine hongroise, ne limite pas la subjectivité au nombrilisme. On a aujourd’hui besoin de cela, hors modes et hors marchés. Car il n’est guère de marché de la poésie, sinon en marge du fameux « Marché ». Si un livre non édité peut être un orgasme mort-né, un tel livre publié est à la fois héritage et enfantement.
« (…) les gardiens hésitant avant d’autoriser le don d’une bouteille d’eau d’un paquet de biscuits/puis comme naguère à Drancy le haut-parleur appelant les « retenus » dans la cour/alors dans un mètre sur trois cet ailleurs des regards encore et toujours en partance/ quatre exilés parmi des milliers (…) »
Cela s’achève par une conversation avec l’éditeur en Rhône-Alpes qui consacre à la poésie cette collection. On connaît la qualité des coups de cœur de Thierry Renard depuis qu’il animait la revue Paroles d’Aube à Vénissieux. Ce volume confirme.

JONQUET Thierry, Mygale, Editions Folio policier.

J’ai gardé des mois ce livre sur mon bureau. Peu enclin à me passionner pour des aventures moches et pour un genre noir que je dirais behaviouriste, faute de mieux, et pourtant encensé par bien des amateurs de polars. Et puis, difficile de traiter d’un livre-culte (Almodovar en a fait le film « La Piel que habito ») tandis qu’après son décès, Thierry fut l’objet d’éloges sincères – et mérités – par ses pairs et amis. Je fus pourtant frappé d’emblée par l’élégance et la correction simples de l’écriture. Peu des romans noirs que j’ai lus me semblent posséder les qualités conjointes de l’efficacité et du classicisme. Rétif à toute jubilation devant le trou noir, j’ai pourtant cédé à l’envoûtement dans cette affaire. C’est un thriller bien mené, froidement, implacablement, sans fioriture mais sans délectation sanguinaire. Moi qui aime le réalisateur espagnol emblématique de la Movida, je crois qu’il a rétréci l’ampleur des questionnements en filigrane dans l’angoisse qui sourd du roman. Dans le film il est question surtout de transsexualité, vue notamment sous l’angle médical. Pourtant s’entretissent aussi dans le livre plusieurs fils détricotant les difficultés du sexe masculin… Il faut le lire pour voir. Pour en savourer la construction et aussi l’écriture. Entre autre le jeu des locuteurs où, entre deux narrations plus classiques, un observateur hors champs s’adresse en italique à la victime : « Il a posé la torche sur le sol et, t’agrippant par les cheveux, il a tourné ton visage vers le rayon de lumière jaune. Tu étais aveuglé. Il a parlé de nouveau. / Oui… c’est bien toi ! »  Et de petits bijoux de phrases simples et lustrées : « L’araignée reparut sans tarder et, de ses grosses pattes, retourna sa proie avant de tisser un cocon, enfermant l’insecte pour le ranger dans une anfractuosité du mur, en prévision d’un festin futur. » Métaphore pas réjouissante, mais emblématique de cette histoire et peut-être, aussi, de tout un monde. À apprécier, mais à lire avant de boire un coup pour chasser les cauchemars.

IZZO Jean-Claude : Les marins perdus, éditions J’ai lu.

Voici une histoire de bateau abandonné à quai par son armateur. Les marins s’y trouvent « perdus », loin de leurs femmes… L’écrivain avait attendu longtemps la reconnaissance en écrivant de la poésie, des nouvelles et des reportages, avant sa fameuse trilogie par laquelle la plupart l’a connu et aimé*. Ici on retrouve la conjugaison du drame personnel et du tragique social. La ville de Marseille – « ma ville » écrit toujours l’auteur – est décrite avec exigence et amour, comme une amante. La peinture de l’univers des marins, les damnés de la mer, est lucide et émouvante. Celle de la Méditerranée donne un mélange ahurissant de passion et de culture. Comment faire un roman noir en citant Braudel ? Lisez Izzo ! Et c’est aussi une histoire d’amours d’une telle tendresse qu’on aimerait, malgré les douleurs, les avoir vécues. Parce qu’elles sont l’antidote au désespoir :
« Il repensa au visage rond de Mariette. À son sourire. À son corps tout en plaines et collines. À la paix qui flottait dans son appartement. Cette douceur de vivre… La vie. La vraie vie, peut-être.
― C’est du pipeau tout ça, dit Abdul. Des conneries. Qu’est-ce que ça veut dire résoudre ? Hein ? Il n’y a de solution à rien. Jamais.
― Ah ouais. On va aller trinquer à ça, tiens. »
Une écriture simple et si forte que, non contente de nous prendre, elle se prend enfin à son propre jeu : « Il la reconnut immédiatement, Céphée. Elle était telle qu’il la lui avait décrite. »


* Total Kheops, Chourmo et Solea (Folio). 

HERNANDEZ Daniel, Les Vendangeurs du Caudillo, Ed. Mare nostrum.

J’ai rencontré Daniel au festival de Frontignan. Garçon posé cachant un discret homme blessé et un évident travailleur de force. En dehors de son métier, il poursuit sur de nombreux volumes son travail romanesque publié chez Mare nostrum. Une œuvre et un éditeur qui mériteraient à mon sens une meilleure distribution. J’ai lu cet opus me semblant concerner particulièrement l’auteur. Un mort de plus dans un groupe de vendangeurs anciens franquistes, il y a du louche. Le héros récurrent se lance dans l’enquête. La 4è de couverture précise : « Facundo Trapero, jeune émigré républicain en voie d’intégration ». L’institutrice du village, qui en pince pour le bel homme, l’aide dans cette voie… Mais c’est une rude histoire de règlements de compte. En campagne viticole narbonnaise, dans les années cinquante, on se croirait au XIX ième siècle, sauf que le tableau est exact, si mes souvenirs sont bons : «  les familles nombreuses des Espagnols […] préparaient leur propre repas : du pain arrosé d’huile d’olive et des alencades ! » [note de l’auteur : sardines cuites au sel]. Loin de la nostalgie biographique, Hernandez s’attache au naturalisme. Un scientifique bien renseigné. Authentique écrivain : « Les videurs, des garçons agiles, se déployèrent au milieu de l’essaim qui butinait laborieusement les souches. Tel des oiseaux de proie, ils tournaient leurs regards dans tous les sens ». Et encore, bien sûr, descendant de réfugiés républicains espagnols. Dans une aventure d’hommes marqués, chair et cerveau, des séquelles de la guerre d’Espagne. Et dans un monde si embrouillé qu’on peine à deviner les coupables, pourtant évidents. Un vrai capharnaüm, mélange de langues (français classique et termes occitans et espagnols), de paix et de guerre, de haine et d’amour, de présent et de passé… La vie, quoi !

HEMINGWAY Ernest, Les Neiges du Kilimandjaro, nouvelles, Ed. Folio.

L’aventurier qui se retrouva sur les fronts d’Italie, d’Espagne et de Normandie, écrivain consacré par un prix Nobel, préférait les nouvelles aux romans. La lecture de ces quatre textes confirme l’inutilité de tirer à la ligne en développant. États d’âme et personnages sont écrits avec vigueur quoique grande sensibilité. Deux textes se déroulent en Afrique. Mais pas de ces safaris aussi vains, qu’il s’agisse de trophées en chair et en os ou d’albums de photos. Ici, c’est toujours la peau qui se joue, plus que celle des grands fauves, celle des personnages et celle de l’auteur. On ne peut qu’être étreints par le sort du héros de Les Neiges du Kilimandjaro, qui va mourir de gangrène en se souvenant de ses trajets en Europe, et tout en avouant : « Jamais je ne t’ai aimée. » De même par L’Heure triomphale de Francis Macomber, lequel se révèle bon tueur de buffles après avoir montré sa lâcheté. Une touche de machisme de l’auteur qui se maria quatre fois lui fait décrire la femme pas toujours à son avantage. Heureusement, la nouvelle : Hommage à la Suisse traite avec quelque humour une vacuité désespérante en république helvétique… et ailleurs. Car Hemingway fait un croquis social sans indulgence : « Leur union avait des bases solides. Margot était trop belle pour que Macomber eût envie de demander le divorce et Macomber avait trop d’argent pour que Margot pût jamais le quitter. » Et pourtant, ceux qui sont décrits sans aménité le sont avec quelque tendresse mal dissimulée : « Je commençais à aimer votre mari. » A vous de voir si ces histoires vous tiennent aussi.

« Older posts Newer posts »

© 2024 Francis Pornon

Site créé par Couleur Nuit - Thème de Anders NorenUp ↑