Je lis peu d’auteurs en langues étrangères, circonspect envers les traductions et résistant aux trompettes de la renommée mercantile. À ce livre offert par ma compagne, j’ai trouvé pourtant une satisfaction extrême. Par-delà ses personnages de fiction, l’auteur se dessine lui-même, en adolescent, en être qui peine à devenir homme… mais il peint aussi beaucoup les autres. Quelle sensibilité dans ces évocations de tentatives parfois désespérées pour s’assumer comme mâle, aujourd’hui où il est de bon ton de déchirer l’image du macho ! Lui sait voir l’abîme béant dans l’homme en coït : « CB grogna, mais n’eut certes pas le cœur brisé. » Dans son écriture ouverte, on voyage beaucoup, on croise nombre d’indiens et de métis. Ce qui le fit parfois classer parmi des écrivains itinérants, voire interlopes. À 16 ans, il décida de devenir écrivain « de par mes convictions romantiques et le profond ennui ressenti face au mode de vie bourgeois et middle class ». Conscience minoritaire, souvent déchirée, parfois provocante. Illustration de la phrase de René Char, admiré de lui : « Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience. » Leçon d’écriture aussi, que ces trois « nouvelles » de plus de cent pages chacune ! Foin de procédés et de thèmes tendance au sérail, nous sommes à la dimension de l’univers où la nature est omniprésente et décrite sans réserve, sans obligation de « faire bref » ni « retenu », voire parfois frustré… « Il faisait encore assez chaud, car le vent soufflait du sud-ouest, mais tout là-bas, à des heures d’ici, une bande de nuages sombres barrait l’horizon au nord-ouest au dessus du lac Supérieur. » Le troisième texte éclaire les autres et l’alchimie créative de l’écrivain. Son héros, une fiction où le fantastique sublime le réel, est un malheureux qui court après un bonheur régulièrement empêché par des crises maladives. Il est atteint de lycanthropie (il se transforme parfois en loup garou). Manière métaphorique de faire vivre son animalité avec laquelle il lutte en permanence, tendant à la combler tout en restant le petit garçon tendre, amoureux de sa mère et de sa première petite amie d’enfance… Ce qui n’empêche l’auteur, comme ses héros, d’être père et de se dévouer pour élever ses filles. Et tout ceci avec une conscience métaphysique forte : « Il suffisait de soulever un peu le couvercle du monde naturel dont nous faisions intégralement partie pour découvrir autant d’obscurité que de lumière. Et afin de l’examiner avec un minimum de sérieux, il fallait tenter de le considérer à travers les perceptions de plus d’un million d’autres espèces. »
Catégorie : Coups de coeur et lectures (Page 13 of 17)
Ce roman est un beau voyage et aussi un terrible enfermement. Le locuteur conte son séjour à Cuba, sous les affiches révolutionnaires, dans la misère et le faste désuet, parfois dans le lucre et même la prostitution. « Au même moment, Juan Valero, penché sur sa machine, tapait les dernières lignes de son article… » L’écrivain contestataire est emprisonné et subit un calvaire que l’auteur ressent profondément, comme s’il s’agissait de celui d’un père spirituel, tandis que le locuteur vit lui-même avec lucidité des aventures colorées dans l’île de l’embargo où Fidel semble s’éteindre. Il y a des notes qui sonnent juste et bien de la sensibilité dans ce tableau, sans complaisance mais avec affection. L’auteur préfère la concision de la formule à l’abondance des notes, ce qui peut être son talent. J’ai bien aimé les récits du voyage pris sur le vif et l’écriture de l’accablement de l’incarcéré. Mais j’ai trouvé la note anticastriste, probablement juste, un peu réitérative toutefois et sans beaucoup de passion pour le glorieux passé. Question de génération ?
« Dame Nature, elle aussi, semblait vouloir participer aux célébrations officielles, et un cyclone, rien de moins, semblait s’apprêter à s’abattre sur le pays […] Le commandant, qui avait repris du poil de la bête, décida de se mesurer à lui […] Juan, comme tous les Cubains vivant à Cuba, le vit apparaître en direct à la télévision. Le cyclone avait-il eu peur de ce Moïse en treillis ? »
Comme la plupart d’entre nous, malgré talent et succès, Didier n’a que rarement la possibilité de publier chez un éditeur bien diffusé. On ose espèrer que cela n’empêche pas d’écrire encore et toujours…
Voici le 2e opus de la collection « Jasmin noir », une série junior où est également publiée l’amie Jeanne Desaubry. Cette histoire est d’abord celle de deux adolescents qui vivent une aventure et même une histoire d’amour. L’aventure marine où le stage d’un gamin devient une sombre affaire de meurtre et de contrebande, devrait passionner ados ou préados… comme les grands adolescents comme moi. Elle est bien documentée, les détails sur le bateau, la pêche et la navigation sont précis : « les trois miles nautiques, distance minimale de la côte les autorisant à déployer leur chalut ». Mieux, les descriptions plongent le lecteur au cœur de l’action : « Le portique métallique gémit pendant qu’une vague plus forte déferla sur la poupe… ». Quand cela devient une jolie historiette d’amour avec la fille du Mauritanien, pointe aussi l’antiracisme, ce qui ne gâche rien. Car l’homme de couleur est victime des trafiquants. Les deux gamins se lancent alors dans l’exploration du rafiot qui finira par leur révéler sa cargaison cachée. Pour finir, au moment où ils vont être exécutés, un happy end intervient avec l’intervention des forces de police, mais je ne dirai pas par quel miracle afin que l’on puisse le découvrir à la lecture. Ecrire pour la jeunesse est à mon sens délicat, voire une gageure. Car la simplicité ne fait pas toujours l’art. Mais ici, loin de faire guimauve, l’écriture simple reste efficace, avec des moments d’émotion. Pour le plaisir, de 12 à quatre-vingt-douze ans…
Relire cet auteur, par exception, après sa mort, est un enchantement renouvelé, un bonheur de retrouver aux moments de liberté ce monde étrange – et pourtant si réel – d’une Amérique latine passée et aussi très présente, d’un monde entier particulier, celui de Gabriel. Encore un Nobel qui n’est pas usurpé, car la plus grande richesse d’un tel livre est l’écriture, lyrique et onirique autant que crue et réaliste, presque hallucinatoire tout en étant mélodique et rythmée. Voilà de la littérature !
Et dans ce pays où l’on est fusillé à chaque chapitre, on garde le pouvoir d’émerveillement qui commence avec le récit des gitans apportant un aimant géant capable d’attirer tous les objets ferreux et un bloc de glace « renfermant une infinité d’aiguilles sur lesquelles venaient exploser en étoiles multicolores les clartés du couchant. » La langue n’est pas seulement un instrument mais une matière modulée. Loin d’un simple jeu verbal, c’est aussi l’évocation des oppressions et surtout des révoltes qui secouent toujours l’Amérique latine, en métaphore de toute la planète où finalement le monde meilleur semble s’éloigner au fil du temps, alors que le merveilleux gît dans ces choses de la vie.
C’est encore des passages troublants, anecdotes symboliques comme celui où un héros qui perd la mémoire invente d’écrire le nom de chaque objet sur une étiquette ou celui où « La mécanique du temps s’est déréglée ! » Et que dire de quand la sœur cède à celui qu’elle croit son frère et s’abandonne « inconsciente, au plaisir inouï de cette douleur insupportable, dans le marécage fumant du hamac qui absorbait comme papier buvard l’explosion de son sang. » Admirable pouvoir du conteur évoquant tant de choses en peu de mots ! Au poteau d’exécution, « Arcadio eut à peine le temps de bomber le torse et de relever la tête, sans comprendre d’où pouvait couler le brûlant liquide qui lui cuisait les cuisses. ̶ Bande de cons ! s’écria-t-il. Vive le parti libéral ! »
Près de 500 pages passent trop vite quand cela s’achève… mais heureusement ce n’est jamais fini, il y a d’autres livres de l’auteur.
Les prix Nobel sont rarement usurpés. Cet auteur confirme. Et son avant-dernier roman persiste. Retrouvé dans la bibliothèque de ma mère et lu récemment pour la première fois. Il y est question du rìo Magdalena, comme dans le dernier film actuel du gendre de ma compagne : Nicolas Rincon-Gille : L’Étreinte du fleuve*. Bolivar s’embarque un jour sur ce fleuve, voie « royale » traversant la Colombie entre les rivages de ses hauts faits. Au début du XIXè siècle, ce « libérateur » libéra du colonialisme espagnol bonne part de l’Amérique du sud et rêva l’unification du continent. Voici le récit de la défaite d’un chef et du dernier voyage d’un homme, en même temps que l’évocation de ses triomphes, avec une maîtrise époustouflante conjuguant histoire et romanesque. Aventure humaine poignante, pour l’union des terres libérées par l’épée mais aussi en vertu des principes humanistes : « nul n’est plus libéral que moi ». Aventure où guide aussi l’amour, désarroi de ne jamais trouver la paix et obstination à se reposer sur le corps et l’âme d’une fille bien vivante, comme cette « métisse vagabonde de dix-huit ans qui sanctifia ses insomnies ». Amour large, encore, de tous et de soi : « quelqu’un mettant son affection en doute, et il était capable de fendre des océans et d’abattre des montagnes avec son terrible pouvoir de séduction jusqu’à le convaincre de son erreur. » Aventure de l’écriture, enfin. À partir de très peu d’éléments factuels, c’est la reconstitution d’un tragique et merveilleux périple, métaphore du départ vers l’au-delà et l’immortalité. Lire Garcia-Marquez, et sentir combien certaines publications hexagonales actuelles sont d’une indigence criante… Ce qui crie en littérature, c’est une écriture qui, sans affectation aucune, est capable d’une touche comme : « on entendait la chaleur souffler », autant que d’un envol métaphorique pur et simple : « le seul contretemps fut provoqué par un bateau à vapeur du commodore Elbers qui passa en sens inverse en sifflant. Les remous de son sillage menacèrent […] Sur la proue on pouvait lire son nom en grandes lettres : El Libertador. Le général le regarda, pensif, jusqu’à ce que le danger fût passé et que le bateau eût disparu de sa vue. « El Libertador », murmura-t-il. Puis, comme qui tourne une page, il songea : / « Et dire que c’est moi. »
*Voir le site : www.losabrazosdelrio.com/fr
J’ai relu l’exemplaire de ma mère, édité en 1955 par Les Éditeurs français réunis. Ce roman qui a obtenu le prix de la SGDL (Société des gens de lettres) m’a surpris non seulement par l’intérêt de son contenu mais aussi, et surtout, par la qualité de l’écriture. Certains anciens ont connu à Toulouse cet instituteur qui fut reconnu écrivain après la 2ème guerre mondiale. Amoureux de la Garonne, ses gens et sa terre, il publia ce récit de la vie d’un « régent », instit après la Grande guerre. Le héros est évidemment pédagogue passionné par l’édification des enfants qui, grâce à l’école laïque, accèdent à l’ascenseur social. Il est aussi pacifiste acharné après avoir porté le corps de son ami tué au front. Dans cette aventure du siècle, la vie est fruste mais claire et se dessine en toile de fond le Front populaire, puis le spectre de la deuxième déflagration mondiale. L’émotion est souvent au détour des pages. Dans l’évocation de l’École normale d’instituteurs de Toulouse que j’ai fréquentée, pratiquement telle quelle, quelques décennies après. Dans les vues du Capitole et du centre de Toulouse, cartes postales surannées. Dans les tableaux campagnards : « Les mains brûlantes de l’été craquelèrent les feuilles des collines. Les vastes ramures des platanes couvrirent la fontaine et les bancs d’une ombre bleuâtre […] » Dans l’odeur de la classe : « L’odeur des écoliers, des écoles venait vers lui. Il la reconnaissait Une odeur de vieux bois séché, de plâtre et de cuir, d’encre et de papier, de croûte de pain, une odeur fine et persistante que ni les balayages, ni l’eau de Javel ne pouvaient abolir. » Le talent est là. Voir le beau monologue du blessé à mort qui enjoint à son ami de s’en aller en invoquant ses souvenirs : « Fous le camp, mon vieux Simon, ils m’ont eu. Et les soirs de printemps, quand la banlieue sentait le lilas et la violette […] on allait canoter sur la Garonne avec Lucienne. Laisse moi crever maintenant. Un samedi soir, au théâtre du Capitole, on est allé entendre Jaurès. On était tout en haut au poulailler. On dominait toute la salle, l’estrade, les plantes vertes, les drapeaux rouges. Jaurès, quand il commençait, c’était doux, tranquille comme la caresse du vent. Puis, la voix s’enflait. » J’aimerais avoir écrit ça, et la suite… Et en tout cas, on aime le lire.
Des poèmes sur le rugby, voici de quoi étonner ! Et pourtant, à lire cette petite brochure, on est confondu tant l’enthousiasme de l’auteur est communicatif et significatif. Pierre, l’auteur décédé il y a quelques années, était non seulement un républicain convaincu : ancien résistant, instituteur laïque et auteur de Le Maître d’école, un livre auquel j’ai fait un coup de cœur, mais encore un homme du sud qui s’assumait comme tel. Son amour pour le « sport de brutes joué par des gentlemen », comme on dit parfois, le confirme. Feuilleter ses pages est un plaisir. Extrait de Mêlée : « Derrière la troisième ligne / le demi attend l’oiseau fauve / l’invisible ballon qui dort / dans les herbes, dans les désirs / et qui va surgir et renaître / une centième, une millième fois / entre les mains que déchire le rêve. » Extrait de Drop : « Et dans le ciel la rose noire / commence une lente victoire. / Silence. Puis le stade gronde, se gonfle de bras et de houles… » Et encore cet autre extrait de Première passe, inattendue image amoureuse : « Alors celui qui, dans ses mains, / recueillit la balle et la flamme / à son tour mesure l’amour, / une peau d’infini velours, le poids d’une tête de femme… » C’est édité par La Malle d’Aurore, une entreprise associative qui mérite aussi l’attention car éditer de la poésie n’est pas une sinécure et elle le fait fort bien, sur beau papier et joliment illustré. En témoigne la publication des poètes Ils ont vécu à Tarbes : dont Gautier, Laforgue et Lautréamont.
* Résidence Berrens, 2b rue Lagarrigue, 65000 TARBES.
Voici un coup de cœur pour une biographie, bien mérité car l’Algérie est enfin d’actualité (même quand il ne s’agit pas de terrorisme !) et surtout parce que le livre resitue un homme dans une réalité si souvent travestie, quand elle n’est pas occultée. Cerise sur le gâteau, des passages sur Camus et l’Algérie, quand on a décliné tant de bêtises à ce propos, à commencer par les gorges chaudes médiatiques après la remise du Nobel, la fameuse citation « je défendrai ma mère avant la justice » coupée de son contexte : « j’ai dit et répété qu’il fallait faire justice au peuple algérien […] ». Ce livre informé confirme entre autres l’attitude du philosophe qui, partisan non pas d’une indépendance mais d’une fédération, participa d’ailleurs à une tentative de conciliation tout en intervenant souvent pour la grâce de condamnés et en faisant le procès du colonialisme. Le personnage de Chevallier, lui, est un aventurier ambigu et séduisant qui joua sa vie sur divers tableaux, parfois scabreux (avec les Croix de feu) mais avec sincérité et constance dans l’engagement. Maire d’Alger, il se rendit célèbre entre autres par ses constructions de logements populaires et jouissait tellement de la considération des administrés qu’il hérita de charges ministérielles (lesquelles il abandonna lorsqu’il les jugea intenables) et surtout que firent appel à lui en dernier espoir à la fois des membres de l’OAS et une fraction des musulmans ! Il faut lire ce bouquin comme un roman, celui de l’histoire réelle d’une Algérie dite française qui va se retrouver indépendante alors que le projet de fédération, également nourri par Chevallier, Camus et d’autres, eût peut-être été réalisable jusqu’à un certain moment… Il reste bien discret sur le rôle des « démocrates » Mitterrand et Guy Mollet enfonçant la nation dans le bourbier de la guerre. Mais on en retire de forts enseignements, comme la realpolitik de de Gaulle qui se servit de l’Algérie plus qu’il ne la servit, et aussi celui-ci : « Jamais dans leur esprit [celui des musulmans], j’en suis convaincu, n’avait germé l’intention de chasser les français d’Algérie ». Nous sommes en 1954. Les choses évoluèrent par la suite (on lira aussi les résolutions du FLN et de même l’action de l’OAS qui firent tout pour en arriver là où l’on sait), au point que si l’on peut parler de « cocus de l’Histoire », c’est malheureusement le cas des petits Pieds-noirs, véritables « suicidés » pour Chevallier qui se débattit sans cesse à tenter de sauver la mise. Les choses évoluèrent encore beaucoup ces dernières décennies… à rebours ! J’ai moi-même en effet entendu sur place des Algériens, pourtant bien à gauche, dire qu’un retour de Français serait aujourd’hui souhaitable… À lire comme antidote aux calembredaines courantes sur la question et aussi comme sérum de vie dans un contexte mortifère.
Cet ouvrage est déjà fameux parce qu’il a obtenu le Prix du polar SNCF et qu’il valut à son auteur et à son éditeur un procès intenté (et perdu) par l’Opus Dei. L’héroïne (au patronyme non anodin pour un polar : Montalban) rencontre dans son enquête une affaire qui éclaboussa les Giscard d’Estaing, ainsi que l’Opus Dei où se révèlera tremper quelqu’un qui lui est cher… Bien documenté, c’est conduit avec vigueur et pertinence par une auteure qui sait de quoi elle cause, ayant été elle-même policier. Il y a toujours de l’autobiographie dans tout livre, mais on sait rarement quelle est sa part réelle : « Son père était un homme influent, redouté dans l’espace confiné de la finance, et Carla savait qu’il avait toujours souhaité autre chose que ce métier de flic […] elle avait renoncé dès la classe de seconde à son éducation religieuse, et ce, au grand dam de toute la famille Montalban. » Ayant vécu à Lyon, vieille capitale ouvrière mais aussi bourgeoise, j’ai suivi avec ferveur Catherine Fradier contant une épopée « lyonnaise » qui se finira loin, en distillant parfois un zeste d’horreur sans toutefois se complaire dans le genre. Avant un épisode où l’héroïne se planque dans une charogne – avec puanteur à l’appui – pour régler son compte à qui la traque, j’ai apprécié la sensibilité d’un épisode amoureux accompli dans une traboule, suite à un plan incitatif de fenêtre sur cour. À noter la référence à la mère : « Sa mère avait passé toutes ces années à aimer des enfants qui n’étaient pas les siens, pendant que Carla pleurait sur cet amour dont on l’avait privé. » Une aventure de 400 pages écrite avec conviction par une jeune femme qui tient son histoire sans recette de thriller et la conduit sans jouer les gros bras féministes ni les voyeuses vues.
Cet auteur américain engagé, célèbre entre autres pour son Spartacus adapté au cinéma par Stanley Kubrick, était venu un jour à l’Hôpital républicain espagnol « Varsovie » à Toulouse… qui deviendrait plus tard l’hôpital Joseph Ducuing. Une histoire de solidarité à creuser… Dans son roman – le dernier sauf erreur – l’auteur, un jeune homme de cœur à soixante quinze ans, brocarde encore son pays (« la plus grande démocratie ») dans ses œuvres les moins reluisantes : guerre en Indochine et intervention indirecte en Amérique latine. Un ancien pilote yankee au Vietnam vient confesser qu’il a tué un prêtre. Son récit montre qu’il fut, après l’Indochine, embauché pour transporter des armes aux « contras » (paramilitaires équipés contre le régime Nicaraguayen) en échange de cocaïne. Trafic juteux conduit en fait par des militaires US avec le truchement de la CIA et sous couvert du gouvernement… Fast l’insoumis avait été couché sur la liste noire du Mac-Cartysme, emprisonné et privé de droits civiques (il dut longtemps publier sous pseudos, dont celui de « E.V. Cunningham »). Mais il ne se contente pourtant pas de dénonciation. Le livre est une interrogation sur la bonne – ou mauvaise – conscience catholique par un flic d’origine juive et de culture plutôt laïque et humaniste, comme on dirait chez nous. Et sur le fonctionnement de cette « grande démocratie » mis en question par le jeu des consciences. Sans oublier quand même de tailler un beau costard à l’Eglise dont un prêtre ne peut absoudre l’incroyant : « ― Quel ramassis de conneries », en conclut le héros. Ni de rappeler ce que fut le combat soi-disant pour la liberté au Vietnam : « Vous avez déjà vu des bébés transformés en steak hachés par des obus de cinquante millimètres ? » Tout n’est pas noir pourtant. La « théologie de la Libération » fit partir des prêtres, y compris américains, pour aider les peuples sud américains déshérités. Et le procureur général, aidé d’une jeune chef de service émue par le héros, finit par se laisser convaincre contre un des chefs criminels. Très américain, en bien. Pas d’effet de style mais de l’efficacité : « ― Et tu crois que je ressemble au père O’Healey [le prêtre assassiné] ? fit doucement Freedman [le flic juif]. / ― Plus que tu ne penses », dit-elle. »