Ecrivain

Catégorie : Coups de coeur et lectures (Page 15 of 17)

COSEM Michel, Le Bois des Demoiselles, roman aux éd. De Borée.

Je connais Michel depuis le club de poésie qu’il animait à l’AGET (Association des étudiants de Toulouse) avant 68… Il donne ici, après maintes publications, un nouveau roman mettant en scène l’épisode historique des « Demoiselles » : des jeunes gens masqués en fantômes pour lutter contre l’accaparement des forêts au profit des maîtres de forge dans l’Ariège au mitan du XIXème  siècle*. L’auteur, très informé de la vie et de la situation qu’il évoque, ne se croit pas tenu de respecter les règles d’une psychologie et d’un exotisme du roman historique. Il traite plutôt ce roman comme une suite d’épisodes de feuilleton où les personnages partent et se retrouvent en fugues musicales et picturales. Bonheur des descriptions de nature : « les grandes pentes boisées de hêtres, de chênes, parfois de sapins, ces étendues rousses de feuilles d’automne cachant à peine la fente étroite des sources et des ravines ». Plaisir des indications aussi : « La forêt […] c’était tout un monde d’hommes étranges et de bêtes fantastiques. Les contes ne manquaient pas pour forger l’esprit depuis l’enfance […] Tous avaient dans un recoin de leur tête un endroit obscur où s’endormaient les loups et les ours ». Pendant que dans les villes, sur ordre de Paris, s’épanouit une classe que le capitalisme enrichit de ce qu’il dérobe aux prolétaires, les enfants de paysans crèvent de faim dans le Couserans où la pomme de terre est malade et où l’on vole les forêts jadis communes. Mais rien d’ennuyeux dans cette histoire d’amour des gens de peu. Il y a les luttes et les fêtes, le dresseur et montreur d’ours, le truand, le contrebandier, etc. sans oublier la belle institutrice, aimée du beau Micoulaou avec qui elle s’égare plus d’une fois dans ces bois : « Le garçon fut sur elle comme un loup sur une louve. Elle l’aida, tant il était avide, à entrer en elle. / Ce fut longtemps après qu’ils se séparèrent, se regardant et riant des petits pétales collés à la sueur de leur visage […] »

* Cette histoire des « Demoiselles », révolte célèbre dans le Sud, inspira aussi Jean Boudou dans son roman éponyme : Les Demoiselles (aux éd. Du Rouergue) que j’évoque dans mon livre : En Algérie sur les pas de Jean Boudou (Ed. Vent Terral).

COSEM Michel, Vous qui passez par Roncevaux, poèmes, Ed. Encres vives.

On trouve déjà Michel Cosem dans l’anthologie bilingue : La Poésie occitane, signée de René Nelli chez Seghers en 1972. Cosem y marquait sa patte en écrivant : « la liberté giscle des lézardes ». À côté de son activité d’éditeur de poésie, Michel est auteur de contes, de récits pour enfants, de romans et aussi d’un nombre considérable de recueils de poèmes. Certains sont publiés dans diverses collections d’ « Encres vives », sa revue, la plus ancienne revue de poésie française existant toujours. Dans ce recueil, un ensemble de pièces issues de différents carnets, la montagne, « cette montagne qui est un monde », tient le premier rôle comme souvent dans son œuvre imprégné d’amour et de connaissance des Pyrénées. Pas de vision idyllique pourtant : « Telle est la loi de la montagne / Elle chante c’est vrai / mais aussi pour tuer ». L’homme y voit loin, sans clore les yeux vers le jadis ni le naguère : « les troupes d’Abd El Malik le grand razzieur sont passées par ici ». Avec des notes sensibles : « l’eau lourde de l’abreuvoir », « Et des cheminées montent de petits poèmes bleus ». « La montagne comme une danse au loin » est dite avec tant de conviction et d’authenticité. Originalité que cette voix et ce sujet, « La montagne évanescente, blanche, brumeuse, si loin de tout », au jour où il est de bon ton de feindre s’émouvoir de grandes et minuscules, voire navrantes tribulations mondaines et ancillaires. Un ami me disait encore récemment que, pour une reconnaissance médiatique, il fallait écrire si possible comme une traduction de l’américain. Lisez ce contre exemple ! Respiration des vallées et des cimes en musique de l’âme.

COLLECTIF, Le Rêve sans fin, nouvelles, Editions l’Atelier du gué.

L’Atelier du gué a depuis longtemps rassemblé pas mal d’auteurs de nouvelles, et des meilleurs. Belle idée que ce N° 102 qui vient de paraître, un recueil de textes courts sur le rêve. Comme disait, paraît-il, Lénine : « il faut savoir rêver ». Et pour du rêve, on en fait dans ces verbes sur papier, tellement plus propices à imaginer que toutes les photos du monde. En introduction, Hubert Haddad suggère: « La dimension magique n’étant rien d’autre qu’un approfondissement de la réalité », « mais attention ! Un onirisme maîtrisé », précisera Frédérik Tristan dans le dernier texte. J’applaudis. Aussi resté-je parfois circonspect devant certain jeu verbal qui témoigne à mon sens plus d’une prétention de l’auteur à l’originalité, voire à la virtuosité, que d’un amour à dire l’autre autant que soi. Mais j’ai été parfois transporté. Je donnerais la palme au beau texte de Serge Pey, Les Grillons, où un gamin sait « tuter » les petits insectes en pissant dans leur trou, en se pinçant le prépuce avec une pince à linge chipée à sa mère. Grâce à ce savoir il deviendra capable de déceler d’éventuels gaz ennemis durant la guerre d’Espagne, et sera finalement la mascotte, le protecteur et l’augure d’une unité républicaine. « Quelques soldats pensaient qu’il les protégeait des balles fascistes. Certains que son chant, si jamais ils mourraient, les accompagnerait dans la vie éternelle. » D’autres nouvelles me plurent, comme Hptel de Christine Balbo, histoire d’une femme empêchée de rentrer à l’hôpital et qui rencontre cette nuit-là une cour des miracles d’amputés laissés aussi à la rue. De même la brève Cendres d’Anne Mulpas, drôle d’histoire où un type occupe une guichetière à propos d’un de ses fantasmes, un portrait qui prend vie : « Et moi, j’allais et venais entre deux mondes et deux femmes. » Quant à Hubert Haddad, lui-même auteur du choix de ce cahier, il signe aussi la nouvelle Nowhere at home, rêve prémonitoire où, après un désastre multiple : « Chambord et Chenonceau sont désormais le splendide et délétère refuge d’une poignée de marginaux et autres exclus de la vie simple. » À lire pour le plaisir et pour suivre l’injonction surréaliste : « Parents, racontez vos rêves à vos enfants ! »

COLLECTIF (17 auteurs), L’Autan des nouvellistes, Ed. Atelier du gué.

Certains auteurs toulousains peuvent regretter ne pas compter parmi les signataires des 17 textes de ce recueil de nouvelles auquel j’ai moi-même participé. C’est néanmoins une fine fleur des écrivains du cru contant des aventures qui se déroulent vers Toulouse, que nous propose l’éditeur spécialiste de textes courts. Sans pouvoir les chroniquer tous ici, je les ai tous appréciés pour leurs genres et qualités divers. Julien Campredon livre une histoire de merde de chat, abracadabrante comme toujours, mais riche d’une absurdité pleine du sens du rêve et aussi de la polémique, poussant l’originalité jusqu’à évoquer avec ironie Jean Boudou que plus personne n’évoque (sinon quelques occitanistes) sauf lui et moi. Mouloud Akkouche égrène, dans une juxtaposition par-delà le temps et l’espace, une forte aventure de voix entendues par une femme, pas par hasard du tout car se révèlent ainsi ses inconnues origines maghrébines. Frédérique Martin tisse le récit d’une femme en famille, situation banale à pleurer sauf qu’elle arrive à en mourir sans crier gare. Alain Leygonie conte l’histoire d’une île (d’Utopie ?) qui serait la seule à ne pas avoir adhéré à l’Europe mondiale standardisante, fable de philosophe bien utile aujourd’hui où tous risquent de perdre toute originalité. Jan Thirion, spécialiste du noir intense, nous sert ici un morceau à peine gris foncé où un homme se laisse tenter par un sac plein de fric mais… Alain Monnier tisse une histoire de monsieur obligeant laissant son tour à une dame dans une file, où l’action apparente en cache une autre plus dramatique, comme souvent chez cet auteur. Michel Baglin raconte une aventure de jeune perdu, une de plus dans ce genre chez lui, où ce poète si profond se risque à écrire comme parle son héros et où transparaît pourtant l’errance et l’ouverture de l’auteur arrivé en apparence et toujours en balade cependant. Hélène Duffau écrit une histoire de femme qui rencontre, entre autres, une SDF que j’ai croisée moi-même dans sa situation si frappante, campant sur le pont de chemin de fer ; elle l’imagine auteur bientôt éditée : « Mais peut-on vivre d’un seul livre ? » Réflexion qui résume presque le destin de tous ces auteurs de talent relégués pourtant loin des salons littéraires parisiens. Raison de plus pour aller vers eux en vous jetant dans la lecture de ce joli recueil.

CLARAC Jean-Louis, Vers les confins, poèmes, Ed. Encre et lumière.

Ce recueil est un beau livre à prix modique. Illustré par quatre encres originales signées Claude Barrère d’une fascinante plume fouillée, il est composé en typographie, imprimé et façonné par un amoureux du papier et de l’imprimerie : Jean-Claude Bernard. L’auteur qui publia à ses débuts chez Millas-Martin, est un des valeureux auteurs de la revue Encres vives et aussi l’initiateur des Moments poétiques d’Aurillac. Il s’agit d’un itinéraire naturel et montagnard où la pensée s’élève en progressant vers les limites, frontières, « confins » de la surface et aussi de la profondeur. On y lit ainsi des tableaux apparemment simples : « Elles sont deux femmes d’ici / à attendre le temps / d’une tranquille attente […] » et des évocations plus philosophiques : « […] quand l’oiseau ravit la nuit / au chaos des frontières […] », pour en venir à la dernière partie intitulée : « Le parage », terme traduit de l’occitan paratge, pourtant intraduisible, où se conjuguent noblesse, amour et égalité : « […] Dans l’enchantement de la crête /  enfin atteinte / l’ivresse nous emporte jusqu’à / la roue jubilante / du parage. » Un beau sentier de poésie à feuilleter et à suivre « Quand saigne le soleil […] ».

CHEIK HAMIDOU KANE L’Aventure ambiguë, Ed. 10/18.

C’est « le récit d’un déchirement, de la prise de conscience qui accompagne, pour l’Africain « européanisé » sa propre prise de conscience », écrit le préfacier. Un jeune garçon Peul noble qui s’adonne d’abord au Coran (violemment poussé par un « maître » n’hésitant pas à le brûler quand il se trompe en égrenant les versets), va ensuite faire des études à Paris. J’ai lu cet ouvrage offert par ma fille, avec intérêt et passion même, tant il concerne les oppositions de culture et aussi un questionnement sur notre propre culture européenne. Découverte pour moi, bien que la première édition soit déjà cinquantenaire, ce récit me pesa d’abord par son omniprésente référence religieuse, les pensées attribuées au héros parfois truffées de majuscules chaque fois qu’il s’agit d’un attribut du Très Grand et Très Miséricordieux. Pourtant, le livre se réfère aussi à une réflexion philosophique française. Entre autres, il attribue à Descartes cette pensée : « Le rapport entre Dieu et l’homme est d’abord un rapport de volonté à volonté. » Surtout il évoque la douloureuse conscience de l’exil spirituel, pire encore que celle de l’exil géographique dirait-on. Souvent dérangeant, parfois paradoxal, le texte est sans doute salutaire. J’y ai vu reconnue la valeur de la culture indigène et la fracture culturelle : « je n’aime pas l’école étrangère. Je la déteste. Mon avis est qu’il faut y envoyer nos enfants cependant. ». Aussi fracture existentielle totale… impossible à réduire : « Quelquefois, la métamorphose ne s’achève pas, elle nous installe dans l’hybride et nous y laisse. »  Et il y a encore la grande conscience critique du colonisé : « Ils ont été mangés par les objets. Pour se mouvoir, ils chaussent leur corps de grands objets rapides… ». Comme aussi la rencontre du désarroi d’une jeune amie française, « l’exilée des bords de la Seine » : « Samba Diallo venait, sans le savoir, de donner figure humaine à cette partie d’elle que la jeune fille croyait sans visage. » Lecture pour qui ne craint pas s’extraire des évidences.

CENDRARS Blaise, Bourlinguer, Ed. Folio.

J’ai gardé une tendresse pour l’auteur de Moravagine : Frédéric Louis Sauser, aux divers pseudonymes, dont Blaise CENDRARS, que je découvris grâce à Philippe Pilard, un ami qui adaptait ce livre pour la télévision. Le Suisse francophone d’origine écrivit après avoir vraiment bourlingué (terme auquel il donna ses lettres de noblesse) sous toutes latitudes et climats dans des emplois multiples, parfois courageux et souvent baroques, de copiste à jongleur en passant entre autres par la Légion… Ce récit en plusieurs épisodes, chacun portant un nom de port (l’un d’eux, Gênes, est si fourni qu’il est un roman dans l’ensemble), évoque bien des avatars avec une boulimie de dire égale à celle de vivre, sans oublier les aventures d’enfant. Un Rimbaud qui aurait su ne pas mourir dans les épreuves et rester incarné dans cette société qu’il écrira sur le tard en la brocardant et d’ailleurs en la chérissant avec luxuriance et lucidité, cette dernière posture étant peut-être la plus originale et intéressante. Il s’agit en fait, à l’occasion des évocations de gens et choses, d’un retour sur soi et d’une méditation sur la lecture et l’écriture. Quant à celle-ci, il l’illustre déjà par la précision de ses connaissances en matière de marine à voiles : « Sous voiles, sa livarde et son hunier hissés, son grand foc, son petit foc, sa trinquette établis… » mais surtout par son art évocateur : « les épaisse ramures tourmentées comme des ceps, le tronc, gros comme la cuisse, d’un rosier grimpant furieux de sève… ». L’écriture, sujet premier pour celui qui aurait aussi inventé la poésie moderne dans Pâques à New-York, reste l’essence du livre : « ce style qu’ils employaient tous à la grande époque, les voyageurs, les marins, les hommes d’armes, les découvreurs, tous aventuriers pas très forts sur la grammaire, chancelant sur l’orthographe d’une langue encore instable, mais qui écrivaient comme ils parlaient, les bougres, parce qu’ils étaient des grands vivants, ne faisaient pas de rhétorique, mais avaient quelque chose à dire et le monde entier à raconter. » Un bel et bon livre où l’on ne se contente pas de passer le temps et où l’on mesure combien sont dérisoires certaines autres prestations de dits « auteurs ». Je gage que, comme moi, vous aimerez très fort.

CAVAILLE Christian, Dévers, poèmes, Ed. L’Harmattan.

Voici un livre de poèmes qui rassemble des pièces d’une construction presque mathématique. Ceci ne me surprend qu’à peine car l’ami Christian, ancien élève de l’école normale d’instituteurs de Toulouse où je l’ai connu, était comme on dit un « fort en thème », notamment fort en maths, ce qui ne l’a pas empêché d’être prof agrégé de philo. Les règles de cette écriture semblant d’emblée bizarre, sont données à la fin. Il me semble que, ainsi que dans La Disparition de Georges Pérec s’éclairant en sachant la règle, on comprend mieux la démarche en débutant par cette fin. Elle indique qu’il s’agit de 121 (11 X 11) onzains de hendécasyllabes. Je remarque d’abord que Cavaillé a compris et même poussé l’esprit de l’OULIPO considérant que c’est de la contrainte que vient l’invention. Pas douze pieds ni dix, les plus courantes mesures, mais onze, et ceci sur tout le livre ! Combiné à une dizaine d’autres contraintes fortes, cela tient de l’exploit, du défi même. Ici on ne se borne pas à ronronner plaintes ou bien épithalames. On travaille, comme le veut le mot grec ancien poïeïn : fabriquer. Cela donne bien sûr de la langue difficile, exigeant une attention forte et même une laborieuse imagination. Mais encore une écriture très personnelle, expérimentale même, où je soupçonne l’auteur cherchant en vain à évacuer tout lyrisme de l’expression personnelle. Pas un jeu gratuit pour autant : « même quand tu ne te cherches pas tu trouves / rouvertes les plaies d’un sujet à vif et / maintenant à cran sur le fil à ton tour […] » J’avais écrit : évacuer tout lyrisme de l’expression personnelle ? Et l’on voit qu’il revient au galop… «  tout contre la matière noire des mots / croisés places vacantes vocables blancs / cherches-tu à te caser ou te casser » ? Aventure de l’écriture pas anodine, très cultivée (référence au Dormeur du val entre autres : « c’est un petit val qui mousse de rayons ») comme est peut-être pour l’auteur, lui-même sur un champ après la bataille. Je vous laisse décider ou pas de transpirer sur ce recueil pour en découvrir les surprises. Mais sachez qu’aujourd’hui, la poésie a besoin pour survivre que l’on aille vers elle. De ne pas s’abandonner à la facilité du discours banal. Donner un sens plus pur aux mots de la tribu !

CAMUS Albert, Le Premier homme (Gallimard).

À l’occasion du centenaire de l’écrivain, j’ai relu ce livre qui fit parler à sa parution (bien après le décès de l’auteur). Peut-être n’en avais-je pas bien goûté toutes les pages. Avec le brut de l’inachevé, il offre bien sûr l’intérêt des souvenirs d’enfance au temps de l’Algérie française, parfois banals, quelquefois aigus, souvent marqués de sa patte. Me voici emballé surtout par certains passages à propos de la mémoire. Peu d’auteurs ont su à la fois chercher le passé et avoir la révélation d’une immense perte irrécupérable. J’entends mieux ainsi les premiers textes du jeune Camus taxant sa génération de « barbares ». Car, à la mûre réflexion de l’auteur, ils étaient « sur cette terre […] sans passé, sans leçon, sans religion, mais heureux de l’être dans la lumière, angoissés devant la nuit et la mort. » Cette révélation, seul pouvait l’obtenir un esprit forgé à la nécessité des pauvres – qui n’ont jamais eu le luxe d’une mémoire léguée familialement – esprit aussi  transplanté « par-delà le Grand-fleuve » dans l’hexagone, le déracinement facteur de lucidité. Il y a des pages merveilleuses, depuis l’évocation de sa naissance précaire près d’Annaba, imaginée plutôt que décrite. L’auteur, sa jeunesse, marquée des reportages en Kabylie affamée*, peut ensuite reconstituer la condition si dure des premiers colons envoyés jadis, dont ses grands-parents : « Ils n’avaient pas fait la Révolution [de 1848 : N de l’A] pour rien. C’était le genre à croire au père Noël. Et le père Noël pour eux avait un burnous. Eh bien, ils l’ont eu leur petit Noël. Ils sont partis en 49, et la première maison construite l’a été en 54. Entre-temps… » Des passages fortissimo comme le départ de son père, mobilisé pour la Grande guerre dont il ne revint pas, moment évidemment reconstitué (l’enfant avait un an) : « l’embarquement du soir pour la France qu’il n’avait jamais vue, sur la mer qui ne l’avait jamais porté ». Sans oublier les typiques et admirables notes camusiennes : « le bleu du ciel se coagulait et devenait de plus en plus dur sous la cuisson de la chaleur. » « Au dehors, le soleil pouvait hurler sur les murs fauves ». Du grand Camus.

* Publiés dans le journal Alger républicain en 1939.

CAMPARIOL Fernand, Corbières, carnets de route, illustrations de Michèle Teysseyre, éd. Clairsud*.

Depuis Stendhal et Mérimée** (et même bien avant), on n’en finit pas d’écrire sur les Corbières***, mystérieuse et sauvage terre entre montagne et mer, tache blanche entre histoire et géographie. Ce beau petit livre est joliment illustré de lavis sur papier (en encre sépia et noire) par Michèle Teysseyre qui, en artiste double (elle est aussi auteure de livres), a saisi les atmosphères des lieux évoqués successivement, de Tuchan et Salses à Padern et Bugarach. Rien de plus singulier qu’un pays à la fois aussi riche et désolé, rien de plus différent selon l’âme du spectateur ou du conteur. L’auteur dit autrement de cette « terre ardente et rebelle », les Corbières, qu’ « elles se déchiffrent avec le cœur ». Comme cette Notre Dame des Auzils sur La Clape, lieu de foi protecteur des marins par sa chapelle et à la fois zone païenne de son nom : auzil (chêne vert) signant la marque de yeuses séculaires car là « les chênes kermès frissonnent dans un doux cliquetis de médailles ». Comme Cucugnan, le vrai, celui de Gougaud et pas celui de Daudet, « nid de tuiles roses », ou encore comme la Montagne d’Alaric où « le souverain aurait été enseveli avec ses femmes, ses éléphants et ses coffres remplis de fabuleux trésors. » Le tout est complété en postface par Pierre Yves Péchoux, avec une carte d’Elysée Reclus (fin XIXème), en complétant d’une vision plus historique : « Cependant ces campagnes largement vidées des hommes qui les ont façonnées et des paysans qui les entretenaient ne sont pas vacantes. Car une quatrième métamorphose les affecte… ». Lectrice, lecteur, bon voyage !

* clairsud@free.fr 
**
l’Aude traversière, Jean-Michel Devreau, Ed. L’atelier du gué.
***
Chant général, de Francis Pornon, Ed. Encres vives.

 

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