Ecrivain

Catégorie : Coups de coeur et lectures (Page 16 of 17)

CAICEDO Andrès, Que viva la musica, Ed. Belfond.

C’est un livre que m’a offert un ami Colombien. Cadeau heureux car j’ai découvert un écrivain et un univers méconnu. Il ne s’agit ni de confidences banales ni de références convenues, monnaie courante de ce qu’on nomme littérature au quartier latin. Suicidé à 25 ans, cet auteur que d’aucuns considèrent comme un des grands du XXe siècle, a en tout cas commis un livre fort. C’est l’histoire d’une toute jeune fille de Cali, ville provinciale de Colombie, qui se lance dans une vie parallèle à un monde auquel elle est étrangère, une vie de musique, de drogue, de débauche… Passées les premières dizaines de pages où j’eus de la peine à entrer dans le personnage et le sujet, égrenant des évocations répétitives de concerts (disques et interprétations de chansons anglo-américaines des années 70) qui me sont pour la plupart  étrangères, je ne tardai pas à tomber en une sorte d’ébriété. Vers la fin, l’escalade littéraire suit celle de la défonce de l’héroïne, en convoquant, entre autres grands auteurs hispanisants, Camilo José Cela, son expérimentation littéraire audacieuse et sa passion sexuelle sublimée. Quant à l’écriture, elle tient à la fois de l’orfèvrerie et du lancer de bouteille à la mer : « le transistor […] a commencé à tendre un voile d’ombre sur les montagnes » ; « Nul doute que le lecteur connaît la hâte démentielle de celui qui marche au soleil, cherchant éperdument un mur au pied duquel pousse une frange d’ombre » ; « Non, nous étions impossibles à ignorer, nous autres, nous étions la vague ultime, la plus puissante, celle qui vous arrache au talus qui borde la nuit. » ; « Je lui indiquais comment s’en servir, comment l’enfoncer profondément sans se blesser, parce que à moi ça ne m’a jamais fait mal, et je ne me suis jamais épuisée, et jamais ils ne m’ont remplie, les pauvrets qui finissent si vides. » ; « Le 33 passé en 45, c’est comme si on te flagellait pendant que tu danses, avec ce besoin de tout dire et d’avoir besoin de le dire seize fois de plus […] enlever la bonde de l’esprit ». On pourrait multiplier les extraits, tant tout le livre est une suite poétique. L’ensemble est évidemment bien traduit, on ne rend pas une telle langue si l’on ne la possède et l’adore. Sacrée écriture, en tout cas, que l’on aimerait bien partager ! Allez-y, économisez l’achat d’un des gentils ou indigestes prix germanopratins et avalez à grandes bouffées ce morceau d’enfer-paradis latino !

CABRE Jaume, Confiteor, Ed. Actes sud.

Presque 800 pages traduites, et dont moult éloges résonnaient partout… de quoi me dissuader. J’ai tout de même voulu voir par moi-même. Et bien m’en a pris ! Car il y a beau temps (depuis le Nouveau roman) que je n’avais pas lu un roman aussi innovant dans sa forme, fidèle à la définition baudelairienne de l’art qui doit étonner : les temps et les lieux se mêlent sans cesse tandis que JE et le IL se côtoient dans la même phrase… ceci avec le savoir-faire nécessaire pour que le lecteur ne soit perdu. Quant aux aventures artistiques et culturelles aussi bien qu’amoureuses, d’Adria le héros, elles sont bien typiques de celles d’un personnage de notre époque, marquées non seulement par son enfance mais par les grands événements dont la shoah et aussi par les héritages parentaux qui descendent des guerres récentes et même de bien plus tôt : l’Inquisition. En fait, on suit les arcanes de la pensée non seulement d’un auteur mais aussi d’un temps, des temps plutôt. C’est la culture de l’Europe qui veut être mise en scène, plus encore que celle d’un intellectuel barcelonnais pourtant très savant (il connaît quinze langues y compris pas mal de langues mortes…). Le professeur qui finira par rédiger un ouvrage sur le thème, est aussi artiste interprète et amateur malgré lui d’un violon de qualité extraordinaire. Le sort de cet instrument est une véritable métaphore de génies, de possessions, de vols, bref de rapports et de conflits inter-européens. Bravo donc. Pourtant, j’ai souvent éprouvé un sentiment de malaise. Pourquoi la guerre civile d’Espagne, quand même constitutive de tout ce qui existe au-delà et même en deçà des Pyrénées, n’est-elle évoquée qu’en quelques pages de la fin, certes en solution d’une énigme, mais aussi, il me semble, en mode d’alibi ? Pourquoi l’origine de la fortune d’une bourgeoisie catalane est-elle oubliée – car il s’agit de mémoire, tout le livre serait tentative de sauver la mémoire avant le naufrage dans la maladie d’Alzheimer – quand cette fortune procède entre autres de la traite des noirs et d’une industrie vendeuse aux deux côtés des belligérants de la Grande Guerre ? Mon malaise confine à l’agacement quand vers la fin est réitérée sans cesse la culpabilité du héros locuteur, culpabilité au sujet des femmes qu’il eut sans vraiment atteindre leur être, et bien sûr au sujet des événements où il put, ne serait-ce que par héritage, jouer un rôle de l’ordre du « mal ». Ce livre est profondément marqué par la perte actuelle de la pensée dans le désastre non seulement économique mais aussi scientifique et philosophique. Bien. Et les responsables de tout ça ? Pas de profiteurs, ni de sophistes, ni de prosélytes, mais « le hasard », tout simplement, ou encore un dessein divin ! Au bout du compte, pas étonnant que cela se termine par une identification à des moines. Dans la jungle contemporaine voici la terrible solitude idéologique : « Je ne sais pas où est Dieu. Ni le mien ni le tien, ni le Dieu des Epstein. Le sentiment de solitude est lancinant, mon amour, mon grand amour. » Par-delà une déclaration d’agnosticisme en première page, c’est un discours chrétien, sensible et fin, certes, parfois tempéré d’interrogation contemporaine comme la question de l’euthanasie en fin de vie, mais battant sans cesse sa coulpe de n’avoir pas su protéger les Juifs et sans dire grand-chose d’autres cultures. Comme celle des Lumières (les Droits de l’homme et de la femme), récusée en quelques lignes sidérantes expliquant qu’en ce temps non libéral on eut été forcé de porter perruque, bas et talons ! Le meilleur du livre est peut-être pour moi une vive lucidité sur l’art et la littérature, lesquels sont interrogés à plusieurs reprises : « La littérature n’est pas un jeu. Ou si c’est simplement un jeu, ça ne m’intéresse pas. » Il n’empêche que ce bouquin vous emporte au fil de ses pages. Si vous savez prendre du temps, profitez de ce moment de vacances d’été pour le lire. Vous en aurez tout le bon et peut-être aussi, comme moi, le « mal ». Pas forcément celui qui hante l’auteur…

BOUDOU Jean, Le livre des grands jours, Éditions du Rouergue.

Ce livre me fut une révélation avec son édition occitane (même éditeur) : Lo Libre dels grands jorns. Grâce à mes souvenirs d’enfance dans la rue et de cours de vacances, du temps où l’on ne s’intéressait pas qu’à l’anglais, j’ai découvert la littérature contemporaine en occitan, qui ne se réduit pas à des histoires folkloristes et nourrit de bons écrivains. Boudou en est un, méconnu comme les autres de sa condition*. Paradoxe de notre temps, que la surproduction de petits livres et la rareté des grands ! L’auteur vécut une vie de passion entre splendeur et misère paysannes et puis exil en Algérie où il mourut. Non sans s’être donné à l’éducation des jeunes algériens ni sans avoir bien sûr milité pour les cultures minoritaires, l’ occitane évidemment. Son acte militant le plus beau et le plus fort : une écriture sans pareille.

Dans ce roman, un rural sudiste condamné par la maladie part en voyage « au nord ». Il aboutit à Clermont-Ferrand où il rencontre un prêtre, une pute et la romane Notre-Dame du Port. Après des aventures rocambolesques à « Marxilhat » (évocation de péripéties marxisantes à l’école d’agriculture de Marmillat dans les années 60), il finira seul comme toujours, mais chantant la croisade et le rossignol, et surtout l’amour :
« Beau doux ami baisons nous moi et vous/ Là-bas au pré où chantent les oiseaux… »**
« Maintenant, je suis tout seul sur la route. Bas-côtés de part et d’autre. Mais non, il ne faut pas m’effondrer […] Pour tenir, ne penser plus à rien. En chanter une. Celle du merle. De toute la vie qui me reste :
Pourtant encore il chante/ Le pauvre merle, merle. (E mai encara canta/ Lo paure mèrlhe, mèrlhe. »
Terrible bémol : ses livres sont quasi introuvables en librairie et en bibliothèques*** !

CQFD.

* Il avait eu son heure de gloire dans les grandes manifestations au Larzac (début des années 70) où le chanteur occitan Claude Marti chanta certains de ses textes (La caça de la quimèra…)
** Citation du troubadour Marcabru : L’autre jour sous une haie…
*** excepté à Rodez (librairie « Maison du Livre » BP 707 12007 RODEZ Cedex 05 65 73 36 04 fax ; 05 65 73 36 05).

BOUDJEDRA Rachid, Le Démantèlement, Ed. Denoël.

J’avais particulièrement aimé Les 1001 années de la nostalgie et Timimoun. Un ami m’ayant questionné sur  Le Démantèlement, je viens de m’y plonger. J’avoue avoir peiné comme les héros y peinent à y décrypter la mémoire. Il est des livres qui ne cherchent ni à rassurer ni à distraire. « Je suis plus réaliste avec mes phrases de 8 pages que ceux qui écrivent avec Sujet, Verbe, Complément ! », déclarait l’auteur en présentant récemment sa dernière parution (Le Figuier de barbarie) à la librairie Ombres blanches. Dans cette écriture dont la puissance est qualifiée parfois de  « cinématographique », se succèdent descriptions, cuts, champs et contrechamps, dialogues hors champs, etc. La démarche me rappelle le « Nouveau roman »,  pas loin encore à la parution du livre (au tout début des années 80), avec ses mérites et peut-être aussi ses manques, privilégiant une science du regard ou de la pensée au détriment de la poésie, trop rare à mon goût : « On aurait dit à ce moment-là que son visage s’était recouvert de cette poudre safranée que laissent les papillons de la mélancolie sous les doigts de celui qui la tient. » Mais quel monument ! On y découvre des faces cachées de l’histoire véritable traquée au-delà des silences et langues de bois, avec un souci de véracité tel que l’écrivain communiste va jusqu’à mettre à jour des erreurs des camarades algériens durant la guerre. La première : « Pourquoi vous n’avez pas pris l’initiative d’allumer la mèche de la guerre avant tout le monde ? Pourquoi ? N’était-il pas là le rôle d’un parti qui se disait d’avant-garde ? » Et surtout un leitmotiv sur la vision arrangée de l’histoire : « Comment l’ombre peut-elle être droite quand le pilier est tordu ? » Symbole qui revient tout le long du livre, inadmissible pour le matheux philosophe. Comme le révoltent « les siècles de la décadence ! Merde ! Merde ! Écoute, notre littérature s’est émasculée, notre musique frelatée, notre identité a été expropriée. » Et de citer (en arabe), des vers d’un poète persan, qualifiés d’ « obscènes ». En Occitanie, après les troubadours, on dit : « érotiques »…

BLOCIER Antoine, Maëlys et le joueur d’échecs, Ed. Krakoën.

Peu d’ouvrages méritent à mon sens le premier terme de la dite « littérature-jeunesse ». En voici un dont le second terme de ce mot-valise ne peut en tout cas pas être contesté. Car il est rédigé d’après le travail de groupes d’élèves d’une classe de 5è au collège Kervihan de Fouesnant (Finistère). Après un premier tome de son seul fait (Maëlys et ceux des caravanes), l’ami Antoine Blocier, lui-même auteur de polars – disons sociaux – a réussi pour ce deuxième de la série à « piocher dans l’imagination des élèves », sans négliger qu’ « il faut surtout qu’ils valident ce que l’on en a fait. » C’est un bonheur de lire des indications recherchées – et trouvées – par les enfants sur la condition des Bangladais, laquelle ne vaut guère mieux que celle des Roms, ni chez nous, ni chez eux, ce qui récuse évidemment la validité de leur renvoi… Où l’on voit que perdure toujours la xénophobie, notion datant des Grecs anciens et signifiant le rejet de l’étranger (ainsi qu’il est expliqué) : « On les montrait du doigt, prétextant qu’à cause d’eux des familles entières risquaient de perdre leur travail et n’avoir plus rien à manger. » Quant au ressort du scénario, il met en scène des enfants, dont évidemment la jeune Maëlys et ses copains, avec désir et courage d’agir seuls, et quand même avec des réflexions humanistes… d’adultes qu’ils sont en devenir. L’affaire se corse d’une aventure de jeu d’échecs, à la fois moyen de reconnaissance d’un petit étranger et occasion de suspense, ainsi que d’une lutte contre la reconduite dans l’avion du petit héros étranger. De quoi faire se passionner les jeunes scénaristes de cette histoire et aussi, espérons-le, les jeunes lecteurs de ce livre. Car la lecture, sur livre ou tablette, est des biens les plus précieux à préserver ou conquérir chez nos jeunes.

BIBERFELD Laurence, Le Furet, nouvelle, Ed. Numérique Ska.*

Dans la collection intitulée chez Ska – non sans esprit – « Culissime », j’ai été emballé par ce texte de femme, d’amoureuse et d’auteure. Je déroge donc encore à ma règle en chroniquant cette nouvelle (courte et en édition électronique) en plus d’un roman du même auteur. Il s’agit d’une fille qui va la faim au ventre : un « furet » dormant dans l’estomac, comme en est filée la métaphore si évocatrice. Une histoire non pas de Grands ni de petits, ordinaires, mais de ceux qui se sont noirci la plante des pieds sur le trottoir et dont la crinière est mal démêlée, et à la fois une aventure d’amoureuse folle à ne pas louper l’épice et la chair de la vie. Elle offre d’abord sa chatte à Rémi, qui a les moyens de calmer le furet et aussi les sens de la belle, mais elle va le congédier brutalement, sauvagement, même, dans ce monde aux « truands qui avaient relooké le dieu pognon ». Le répudié est vieux, seule réserve que je ferais à ce beau texte (même si, à la réflexion, le type est riche) qui se poursuit par un feu d’artifice sensuel, boulimique même, avec un jeune émigré de passage, élu amoureux (même réserve, quoiqu’il soit pauvre…). La pauvreté d’Ifser sent bon et la fille s’ouvre tout grand. Quelle folie d’amour, quelle écriture ! La rue à « l’odeur triviale de graillon, de linge chaud et d’essence ». La rencontre : « Sa tête sentait comme la laine. » Le comble : « elle s’assoupissait gavée d’homme jusqu’aux yeux, les muqueuses épanouies, cirées, gonflées, vermeilles ». La folie : « et que c’était bon, bon, bon, et il la fendait aimablement jusqu’au plexus ». Qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas là gaudriole, mais bien tragique, ou bonheur. Amour, valeur suprême trop perdue aujourd’hui, retrouvée dans cet épisode marginal. « Elle ne trouva pas une parcelle de lui où elle n’eût pas envie de s’enterrer vivante ». Dans la touffeur ou un orage de cet été, je vous souhaite un beau temps à lire ces beaux mots.

*accès à cette nouvelle et aux autres (0,99 cts d’euro chacune) par le lien :http://skaediteur.net

BIBERFELD Laurence, Qu’ils s’en aillent tous !, éd. Baleine.

J’ai entamé cet ouvrage, avec sympathie pour son auteur et curiosité pour cette collection. Mon intérêt fut soutenu tout au long de ses 377 pages ! Pas tellement par un suspense que je prends ici comme prétexte. Pas plus pour l’évocation de viols d’enfants, étant peu friand de ce genre d’épice. Un peu plus pour le refrain récurrent d’un anarchisme aimable, daté mais aussi intemporel… Cette histoire de grèves déclenchées et gérées à la base est peut-être plus visionnaire que surannée. Un officier de marine « suicidé », deux détectives privés voient leur enquête croiser aussi un groupe d’enfants ayant fui les turpitudes sexuelles auxquelles ils étaient soumis. Pourquoi situer ces sévices à Alger ? Pour ce lieu commun que la ville blanche symboliserait aujourd’hui l’enfer ? Quoi qu’il en soit, les deux drôles de protagonistes détectives nous valent aussi des saynètes de théâtre, situant le livre hors les formats obligés. J’ai vraiment aimé la peinture d’un monde des ports et des marins en lutte.

Les images fortes consacrent une artiste du verbe : « […] la sirène d’un bateau se fit entendre avec la mélancolie d’un butor sur les marais […] ». Ici est la langue, nous sommes chez un auteur vrai. Avec de nombreux termes, inconnus de moi jusqu’alors comme « un vraquier » (transporteur de vrac : minerai, etc.), à enrichir le vocabulaire. Surtout, c’est dans une alchimie personnelle du verbe que l’on trouve l’écrivaine : « les éternuements de l’eau », « la bave verdâtre ou cuivrée d’algues », « les poissons traçaient des parenthèses lumineuses au ras de l’eau ». La sensibilité féminine, même rude en peignant un monde sans pitié, ne secours pas les victimes mais les tire au moins des bas fonds anonymes. Et puis, elle laisse parfois échapper une note tendre, en tout cas fine : «  La première fois [qu’il vola en parapente] il eut l’impression que son esprit se dépliait, se décollait et gonflait brusquement, comme les poumons des nouveaux-nés à leur première inspiration. » Un beau bouquin.

BENEDETTO André, Urgent crier, Le Temps des Cerises.

L’auteur et homme de théâtre est connu pour avoir fondé le théâtre des Carmes et initié le Off en Avignon. Je l’avais, pour ma part, ponctuellement côtoyé dans une remontée en camionnette sur la Fête de l’Huma il allait jouer. Avec son incomparable attitude de chevalier au verbe étincelant en scène et de penseur taciturne en privé. Son discours, teinté d’une touche méridionale, fait de conviction et de lyrisme, collait à merveille avec son écriture. J’ai tant aimé entre autres ses « couilles » aux côtés des viticulteurs dans Ballade à Montredon ! Le Temps des Cerises a eu la bonne idée de rééditer Urgent crier et Les poubelles du vent dans ce volume de plus de 300 pages sur un joli papier, avec photo initiale de l’auteur. Pour savoir qu’un tel écrivain célébra à la fois Bessie Smith, les beatniks, Che Guevara et Maïakovski, brocarda parfois le festival d’Avignon et chanta mai 68 dans : « L’imagination n’a pas pris le pouvoir mais on est content quand même. »

(Note en bas de page : « Phrase tracée à la peinture bleue en juillet 68  dans la cour intérieure d’un caravansérail »). Il y aurait grand dommage à oublier que la poésie fut aussi revendicative et épique en même temps que lyrique chez nous, vers 68 notamment grâce à  Benedetto : « Écoutez prenez une plage / Étendez-vous au soleil sur le sable / C’est plein de vide autour de vous / Il y a le vide de l’espace / Et ces étoiles qui nous narguent / Et il y a le vide des rues  / Devant tous ceux / qui ont besoin […] ».  Grand dommage surtout à ne pas garder mémoire d’un tel poète : « C’est déjà d’un autre / que je parle / de celui qui portait un nom / que vous avez connu peut-être […] »

BÉLANGER Paul, Répit, poèmes, Editions du Noroît.

Je connus Paul et sa bonhomie au festival « Parole ambulante » où le pianiste Alain Bréheret et moi nous participions à Lyon ainsi qu’une brochette d’auteurs (Kenneth White, Marie Bélisle, Fabienne Swiatly, Alessandro Perisinotto…). Il venait du Québec où il est le plus important éditeur de poésie. J’ai découvert un poète, un de ceux qui ne chantent pas pour passer le temps. Ses textes m’ont secoué. Pointus comme des coups de semonce et aussi arrondis par l’humanité. Pas de préciosité mais des mots pesés au trébuchet ou bien plaqués tels quels pour dire cet être au monde, le même au fond – à ce que je lis – par-delà l’océan et hors la météo. Présomptueux de critiquer le poète. Je lui laisse la parole : « Il ne reconnaît plus rien / et mesure mieux ce qui le sépare / d’une mémoire plus antique ». « Je suis vide dit-il il y a trop de bruit en moi. » «  Si près du néant si bien / que la mort tu l’entends respirer ». Il dit pourtant aussi l’espoir : « Tu n’es jamais si loin / de parler avec le ciel bleu / pas d’autres voies que les mots ». Écriture malgré tout et sur tout : « mon histoire histoire d’occuper le jour / de comprendre l’arrière des façades ». Une écriture clairvoyante, solide et noueuse comme des aphorismes : « tout homme n’a devant lui / que son reflet à contempler […] tel qu’il est sans projet / et sans futur agité seulement par l’instant ». « quel sillage mènera donc jusqu’au jour suivant ». Merci, Paul !

BAUD Denis, Alfred Nakache le nageur d’Auschwitz, éd. Loubatières.*

Exception confirmant la règle, j’évoque ici un livre d’histoire. Biographie d’une vie à la fois marquante à Toulouse et internationale, puisque y est évoquée la vie du champion de natation originaire de Constantine, qui vécut successivement à Paris, Toulouse et La Réunion, avec un terrible intermède en déportation à Auschwitz. On suit l’ascension sportive d’un gamin d’origine juive et pied-noir qui apprit à nager dans un bassin au fond des gorges du Rhummel avant de participer aux fameux jeux olympiques de Berlin, puis de devenir champion du monde. Ce qui n’empêcha pas sous Vichy une terrible chute. Raflé à Toulouse avec sa famille, il connut Drancy puis le camp d’extermination dont il réchappa grâce à des coups de hasard. L’histoire de cette vie retrace à la fois la grande Histoire et aussi l’histoire locale toulousaine. Car, alors qu’on ne savait pas encore si ce déporté en reviendrait, le nouveau maire Badiou, issu de la résistance, soutint la proposition du conseiller municipal communiste Jean Weidknnet de baptiser du nom d’Alfred Nakache la piscine municipale d’hiver. Extrait de la relation par l’historien des formules du discours de Weidknnet :
« Il remarque sa « probité sportive », son « sérieux, » son « travail opiniâtre » et son désintéressement qui le fit payer de sa personne » […] et il conclut : « Le 9 octobre 1944, elle (la municipalité ) décide donc de donner le nom du recordman du monde […] un symbole incontournable de la vie locale. »
Je me prends à rêver, aujourd’hui où le passé ne rapporte guère, d’enfants apprenant à nager et apprenant aussi l’histoire de leur piscine…

* Les Nouvelles Editions Loubatières, à Portet (31), combinent le traditionnel intérêt de cette maison pour le régional avec l’ambition d’être un véritable éditeur généraliste.

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