Ecrivain

Catégorie : Coups de coeur et lectures (Page 4 of 17)

SVAHNSTROM Svante, Navigateur au sommet du vide, poèmes, Ed. L’Harmattan :

Svante écrit en diverses langues, en premier lieu évidemment le suédois, sa langue maternelle et le français, sa langue d’adoption. Je cite sa postface : « Il compose également des textes avec des mots de l’ensemble des langues de la Terre et nomme cette écriture « universification ».

Sa poésie tient ainsi parfois du jeu, au sens noble, comme il est juste de jouer sa vie avec des mots. Je note en outre que ses descriptions de la nature évoquent souvent des parties du corps humain et même carrément de la physiologie, résultante de son étrange cour d’amour où se mêlent érotisme et pruderie.

Je sais que par ailleurs il tient à chanter sa qualité de tolosenc (en écriture occitane normalisée s’il vous plaît). « Je me love dans ses valeurs/leialtat fiseltat et paratge/et me sens quasiment troubadour ».

Ici, il faut le suivre dans ses pas multilingues où se retrouvent élevés au rang de littérature ces parlers éliminés en France, pas seulement l’Occitan, de grande histoire et de grand espace, mais encore d’autres traduits du gascon, breton, corse, catalan… : « Erba dindan pede camperol… ». À découvrir.

GENOVESE Andrea, Dans l’Utérus du volcan, roman, Maurice Nadeau éditeur :

J’ai connu par Christian Saint-Paul, Andrea qui fréquente Toulouse alors qu’il est Lyonnais depuis le milieu de sa vie. Stupeur de lire ce livre à l’écriture savante, belle et personnelle en langue non maternelle tandis que l’on rebat les oreilles d’ouvrages sans écriture pondus par des Français de France. J’ai été parfois un peu perdu, toujours porté par la passion avec laquelle il évoque le monde vu de sa Sicile, évocations tantôt triviales et tantôt savantes, souvent élevées dans les sphères célestes bien qu’il soit aussi question de terre et de feu, de volcan entre autres. Je ne suis pas sûr que cette lecture soit « populaire » et d’ailleurs l’éditeur prestigieux diffuse timidement, trop pour une littérature digne de ce nom. Je laisse l’écriture à l’auteur : « et c’est seulement quand son regard trouva la fracture du ravin qu’il reçut le choc de la masse gigantesque, pyramidale et absurde de l’Etna… » ; « Comment garder une juste mesure et un équilibre, quand toutes les certitudes s’effritent autour de soi, quand la malice et le meurtre deviennent des lois non écrites mais inspiratrices des rapports humains… » Merci l’ami, d’écrire ceci ainsi.

MAUPASSANT Guy, Fin de siècle, nouvelles, Ed. diverses 

J’ai toujours été fasciné par la maîtrise de la nouvelle chez cet auteur qui fit passer la peinture – critique – du monde avant son orgueil de plumitif. Il existe bien des éditions de divers choix de nouvelles, certaines avec fiches pédagogiques. J’ai choisi un volume hérité de ma mère, aux éditions d’art Lucien Mazenod, où l’on peut entre autres trouver le fameux : « La maison Tellier » et aussi des textes évoquant l’occupation prussienne après la défaite de 1870. Parmi eux, le tout aussi célèbre « Boule de suif ». On ne paraphrase pas ce que l’écrivain a si talentueusement produit dans un art dont pas mal d’« auteur(e)s » actuell(e)s feraient sans doute bien de s’inspirer, elles et eux qui oublient le monde pour borner leur vision à leur nombril, quand elle n’est pas fixée plus bas. C’est l’histoire d’une fille dite de joie qui, sous la pression des bourgeois et bourgeoises voulant être libérés, va se soumettre à l’officier prussien pour finir par ne récolter que le mépris. Aventure exemplaire qui pourrait être contée plus tard sous l’Occupation nazie ou encore aujourd’hui car on peut douter d’un progrès dans l’égalité et le respect de l’autre. Le meilleur hommage est de laisser la place aux mots mêmes de l’auteur : « Beaucoup de bourgeois bedonnants, émasculés par le commerce, attendaient anxieusement les vainqueurs… » ; « Il y avait cependant quelque chose dans l’air, quelque chose de subtil et d’inconnu, une atmosphère étrangère intolérable, comme une odeur répandue, l’odeur de l’invasion. » Et, dit par la religieuse qui prêche pour que la fille se donne au Prussien : « Une action blâmable en soi devient méritoire par la pensée qui l’inspire. » Un bijou.

RENARD Thierry, Il neige sur ta face, poèmes, Ed. Le Bruit des autres :

Une surprise en cache une autre, ce recueil trouvé par hasard dans une librairie bordelaise (ainsi que deux autres de ses livres : Canicule et vendetta et Un monde à l’envers), me révèle un Thierry que je côtoyai un peu trop en mal voyant. Éditeur de quelques uns de mes textes dans les années quatre-vingt-dix, et animateur de la vie poétique locale et internationale, ce livre me le révèle alors comme écrivant angoissé et hyper conscient, et aussi espérant en l’écriture, rien qu’en elle, sinon en l’amour. Ému surtout par les notes de notre temps commun à Vénissieux où, plus que moi sans doute, il sentait venir le désastre, lui en vue de la crise de la quarantaine que j’avais déjà bien dépassée : « l’horloge du temps a déjà descendu toutes les marches » ; «peut-être n’ai-je plus rien à dire plus rien ». Rassure toi, Thierry, tes livres suivants démentent, le poète nous est nécessaire : « Ton havre est un havre de paix / j’aime me perdre en ton delta » ; « j’écris tout simplement pour vivre » ; « Le jour arrive éclaire notre rêve ».

BARDOU Franc, Feu dans les yeux j’ai soif de braises, Poésie, Ed. Tròba vox :

Lire la poésie de Bardou (Fòc als uèlhs ai set de brasas en occitan), c’est un coup de fouet, tant il ravive la conscience, hélas anesthésiée, du temps présent : « Nous n’entendons qu’un chant d’esclaves / Contents d’aller gagner leur soupe… ». Ses mots illuminent là où la maladie du sommeil règne, notre monde, et ce dans une langue morte – heureusement traduite – sinon pour quelques dinosaures. Cette langue occitane des troubadours, qui apprit l’amour à l’univers pour les siècles des siècles, luit donc dans ce recueil bilingue : « Vèlha tostemps, ma doça, a l’amor sempre vèlha […] (Veille toujours, ma douce, à l’amour toujours veille […]». La force et la valeur de ce poète est de ne pas s’abandonner à la nostalgie du temps des grand-mères sudistes, en formulant au contraire l’avenir, sombre sous les clinquants. Il chante de même les douleurs et exultations de l’amour, ce terme occitan passé dans la langue française. La passion, seule valeur de vivre : « La souffrance en chemin s’efface / devant la loi d’amour d’aller se perdre en elle […] (Lo patir sul camin s’escafa / davant la lei d’amor de s’anar pèrdre en ella […] ».
Gérard Zuchetto : spécialiste, chanteur et promoteur des troubadours classiques, fait aussi office d’éditeur avec l’ambition de faire connaître également des troubadours du 21ème siècle. Il édite celui-ci dans une collection Votz de trobar de très beaux livres illustrés et présentés luxueusement. Merci les artistes.

DRIEU LA ROCHELLE, La Comédie de Charleroi, Ed. Folio

 

En notre temps où se pose la question d’éditer certains textes nauséabonds de Céline, je ne puis adhérer à leur interdiction, pas plus qu’à la privation de prix de la musique de certain rappeur au motif que certain de ses autres textes serait machiste. La chose se combat mieux en la sachant… Je voulus alors lire au moins un des livres de Drieu, sachant qu’il s’est suicidé après la Libération, ayant été « socialiste-fasciste » comme Doriot, quoique on lui attribue d’avoir aidé durant l’occupation des auteurs comme Sartre et Paulhan. Bien m’en a pris car les personnages sont multiples et les auteurs encore davantage. Ce petit roman, fort bien écrit, conte l’histoire d’un jeune homme embauché par une dame pour se rendre sur le lieu où fut tué son fils à la Grande guerre. C’est l’occasion pour le locuteur de revivre et penser la guerre. On sent, entre autres, l’espoir fou de changement par ce moyen fou : « La libération de la caserne, la fin des vieilles lois, l’apparition de possibilités pour moi, pour la vie, pour de nouvelles lois toutes jeunes, délurées, surprenantes. » L’illusion de la jeunesse s’opposant aux « vieux » revient à la fin, renvoyant dos à dos gauche et droite… et conduisant à l’impasse, hier et aujourd’hui, la « bête immonde » couvant toujours dans l’ombre. Le livre est pourtant constellé de jugements philosophiques ou du moins existentiels, forts et interpellant : « Nous n’avions pas de but, nous n’avions que notre jeunesse. » « Les hommes n’ont pas été humains, ils n’ont pas voulu être humains. » « A quoi ça sert de vivre si on ne se sert pas de sa vie pour la choquer contre la mort, comme un briquet ? » On sent aussi, par-delà les déceptions nationales, la fascination pour le « miracle allemand », gros de menace, mais qui relevait alors cette nation vaincue, écrasée et offensée (le livre fut publié en 1934). Pour finir, le héros refusera l’aide de la dame à le propulser en politique. Il est, ainsi que l’auteur, un homme abattu par la vision du monde tel qu’il est : « Sous les orages de la Science et de l’Industrie mon orgueil a été brisé. » Un petit bouquin pas drôle mais édifiant.

BORVO-COHEN-SEAT Nicole et COHEN-SEAT Patrice, Réinventer la gauche,essai, Ed. Demopolis :

Les bouleversements politiques actuels en France et dans le reste de l’Europe ont invité les auteurs à se pencher sur la question. Entre le PCF et les Insoumis, ils déplorent que l’on passe autant d’énergie, sinon plus, en polémiques qu’en efforts d’union. Les Cohen-Seat reconnaissent l’état de délabrement de la gauche, notamment française et la montée d’extrêmes droites en maints pays. Pourtant, ils reconnaissent aussi des signes d’une forte dynamique de la gauche antilibérale en Grèce, Espagne, Belgique, Grande Bretagne et aussi chez nous. Le score de Mélenchon aux présidentielles est le plus important depuis Jacques Duclos en 1969, il y a… presque 50 ans ! Partant de là, ils déduisent la persistance d’une gauche d’opinion mais notent le dépérissement des partis qui ne correspondraient plus aux besoins. La population a évolué et l’organisation verticale n’aurait plus d’efficacité, tandis que c’est une stratégie de luttes organisées horizontalement qu’ils préconisent pour fédérer un vaste mouvement capable de devenir majoritaire. En fin de compte, l’idée est celle d’une forme nouvelle d’organisation politique à inventer. Voici qui ne va pas manquer d’intéresser tous ceux qui veulent sortir du musée au discours stérile pour tenter de trouver une issue à la situation qui devient de plus en plus inquiétante. Bien que l’époque soit dangereuse, on peut espérer. Lisez, lisons ce petit livre, il fait du bien !

BOUDET Martine, Les Hymnes et chants identitaires du grand Sud, essai, Ed. Institut d’Etudes Occitanes* :

Rien ne semble plus suranné et n’est pourtant plus familier qu’un hymne entendu depuis l’enfance et chanté à l’occasion. Il manquait une étude qui recense ceux du Sud et surtout en extirpe le sens. Martine Boudet a réussi ce travail dans ce petit livre comportant en deuxième partie les textes des principaux chants. On aborde d’abord les troubadours, entre autres en citant la revue Europe : « ils ont eu l’audace, qu’ils en aient eu conscience ou non, de laïciser en quelque sorte la culture ». La situation au Sud est contradictoire. La langue occitane qui véhicula sa grande culture un millénaire durant, est actuellement en extinction tandis que, comme le cite Martine, cette culture regagne pied à pied quelques parts : croix occitane comme emblème, appellation « Pays cathare », « calandretas » (écoles occitanes), etc. L’auteure définit les hymnes comme « un chant poétique, à vocation religieuse, politique, culturelle ». Le paradoxe est que, s’il n’a guère bonne presse en tant que souvent belliqueux, il nous habite pourtant aux grands moments. C’est ce qui montre son importance. L’étude de plusieurs de ces chants confirme. Pour preuve le fameux Se canta (S’il chante), qui subsiste dans tout ce Sud, y compris des zones hors frontières comme le val d’Aran et des vallées alpestres italiennes. Son origine supposée (composée par le comte de Foix Gaston Phébus au XIVème siècle) est contestée. Reste son sens codé : référence au rossignol exprimant la passion du cathare dominé et aussi « l’amour de loin », valeur courtoise et à la fois valable pour l’émigré. Pour résister aujourd’hui, piochons dans notre culture, même en extinction ! Je recommande cette lecture.
*Contact : boudetm@wanadoo.fr

BAQUE Gilbert, Fin provisoire, poèmes, Délit Editions :

Je lis ce recueil après un autre postérieur. Nulle importance, les mots du poète sont durables, même après lui. Difficile pour moi de critiquer un livre d’un homme que j’ai tant aimé et admiré. Aîné de quelques années, il avait tout fait avant moi et mieux… Quand il est mort, on a pas mal déclamé. Quant à moi j’ai perdu un grand frère que je voyais peu, tant il était avare de lui, bien qu’aimant tout le monde. Une dizaine de publications seulement, ajoutées toutefois aux poèmes dans la revue « Action poétique ». La parole est mesurée, les actes sont prenants et les enfants à instituer occupent. Mais quelle écriture, la vraie, pesée, soufflée comme ce vent d’autan qu’il a évoqué et aussi le trombone dont il jouait. On reste pensif et vibrant à le lire. On a cité son épitaphe prématurée. Il y a tant de prémonition de la fin et pourtant d’un dur désir de durer : « J’ai l’âge de vieillir / Je vous laisse mon nom ». Il y a en son œuvre et en lui, surtout, entendement et sentiment de l’amoureux, amoureux du pays, de ses femmes, de vivre : « J’ai écouté le monde ». Je lui laisse la parole : « Toi qui lances d’un cri les boules bleues de tes cocagnes/Toi qui halètes à midi dans le feu des garrigues/Toi qui fouilles sous la robe l’humidité des filles » ; « Il y a plus à lire dans les brisures du langage que dans la pierre des sentences » ; « Poète es-tu prêt/à rencontrer l’inconnu/ que tu fus naguère ».

 

LASSAQUE, Aurélia, En quête d’un visage, poèmes, Ed. Bruno Doucey :

Editer chez un tel éditeur de poésie est déjà un titre pour une jeune femme. Lire ce texte confirme que la reconnaissance est méritée. Belle aventure que ces invocations de l’homme absent, censé être parti comme Ulysse à la guerre, celle de la vie, complexe sans doute : « Moi j’irais bien rejoindre Ulysse avec les sirènes […] ». L’ensemble ne manque pas de souffle ni de culture, ni encore et surtout de talent. On y vogue au gré de l’amour, du souvenir, pas celui rétréci de l’enfance familiale, celui, ample de la connaissance : « il n’est pas de territoire plus vaste que ma / mémoire […] ». Découpée en chants et répons, cette sorte d’Odyssée chante la passion blessée mais toujours affamée de celle qui attend, tandis que Lui ne songe que conquêtes : « moi je veux le glaive, je veux le glaive et une entaille / tendre où glisser ma chair raide […] ». Elle en vient quand même à : « c’est à moi maintenant de porter le coup / te saisir à la racine / et te planter dans mon corps, ce fruit […] » On le voit, ce n’est pas pudibond. La poésie d’amour vrai peut-être délicate et violente. Ce petit livre l’illustre. Il a de plus l’audace et le savoir d’être bilingue en occitan et en français, rendant ainsi ses lettres de noblesse à la langue des troubadours, si occultée en France. Peut-être Elle a-t-elle un nom occitan ? « Dona-me un nom, Ulisses ».

« Older posts Newer posts »

© 2024 Francis Pornon

Site créé par Couleur Nuit - Thème de Anders NorenUp ↑