Ecrivain

Catégorie : Coups de coeur et lectures (Page 5 of 17)

Groupe d’auteurs, Octobre rouge, nouvelles (Les Editions Arcane 17) :

Octobre 17, je ne sais ce que cela dit encore aux jeunes… et même aux vieux ! On nous rabat tellement les oreilles avec des « nouveautés » technologiques qui ne changent pas grand chose, rien que la distraction de l’essentiel : le bonheur. 28 auteurs ont écrit des nouvelles autour de l’évènement : pendant, avant ou surtout après. Des inspirations et des écritures fort diverses, toutes marquées quand même par l’importance de la chose, qu’elles en brodent sur les noirceurs ou bien sur les bonheurs. Ici, pas de soi-disant histoire à base de collection de dates et faits désincarnés, mais une volonté de comprendre. M’a frappé chez certains un désir de revivre l’intimité de Lénine et de quelques-uns de ses compagnons ou adversaires. Quelques autres ont évoqué le vécu des piou-pious, gens de peu ballottés par les cyclones et néanmoins humains. Je retiens surtout les textes de Jeanne Desaubry, Philippe Pivion, Hervé Le Corre, Christian Kazandjian, Pierre Dominges, Max Obione et Diego Arrabal. Il en est aussi de mes amis Didier Daeninckx, Antoine Blocier, Mano Gentil et Gérard Streiff, ce dernier ayant été coordinateur du recueil. Il y a encore un texte de moi-même. De quoi s’endormir, ou encore se réveiller, avec des histoires…

MALAPARTE, La Peau, roman, Ed. Folio :

Etonnant livre de « post-guerre » que ce roman où l’on s’attendrait aux éloges de rigueur pour les héros et pour les « libérateurs » américains et… qui est une fresque tout autre. En effet, non seulement sont pour le moins ambivalents les conquérants mais encore les Italiens. Et le tableau de la guerre plus horrible encore qu’il se doit, aggravé même par un humour récurrent qui tient plutôt du désespoir. Les Italiens vaincus à Naples sont certes écrasés, mais aussi ils se donnent avec veulerie et se vendent sans honneur. Je pense à Drôle de jeu de Roger Vailland, en plus sarcastique et moins existentialiste, moins amer aussi peut-être parce que plus précoce. Les deux auteurs furent d’ailleurs des connaissances et Roger aura séjourné dans la maison de Curzio à Capri, celle où plus tard Godard tournera Le Mépris. Porté au gré des évènements et de leur évocation dans des situations souvent paradoxales, on est dans ces pages néanmoins séduit par la grande culture et finalement l’humanisme profond de l’auteur. Dans cette peinture d’un désastre, les esprits sont plus touchés encore que les corps… puisque les femmes non seulement se vendent mais encore vendent leurs enfants. Certains jugements laissent coi : « Avant la libération nous avions lutté et souffert pour ne pas mourir […] Mais après la libération les hommes avaient dû lutter pour vivre. […] C’est une chose humiliante […] que de lutter pour vivre, pour sauver sa peau. » On appréciera la métaphore, peut-être aujourd’hui plus encore d’actualité.

ZOLA Emile, Une page d’amour, Ed. Livre de poche.

Ce huitième roman de la série des Rougon-Macquart, parut entre deux des œuvres les plus fortes et les plus célèbres de Zola, L’Assommoir et Nana. Il est pourtant d’un registre fort différent. J’ai découvert un Zola fin psychologue de la femme et assez moraliste. Car une aventure extra conjugale passionnelle se solde par la mort d’un enfant… L’auteur de Germinal ne fait pas dans la dentelle. Mais il est fascinant de suivre les pensées et émois d’une femme du XIXè siècle, comme si on y était. Au milieu de la prison sociale, l’héroïne Hélène est un monde de pensées et de passions… un être au plein sens. Alentour la belle société des épouses futiles et égoïstes de bourgeois est brocardée ; mais le personnage le plus ridicule et antipathique est un séducteur d’opérette. Hé oui, n’en déplaise à certaines, les hommes, surtout écrivains, ne sont pas toujours machistes ! Et puis, comme toujours, l’écriture de Zola, c’est quelque chose. Flaubert en personne lui écrivit son admiration pour ce roman : « La double scène du rendez-vous est SUBLIME. Je maintiens le mot ». Je ressens comme lui l’insistance mais aussi la beauté des tableaux urbains qui font penser à un peintre s’acharnant à saisir par les teintes l’âme d’une ville : « Ce matin-là, Paris mettait une paresse souriante à s’éveiller. Une vapeur, qui suivait la vallée de la scène, avait noyé les deux rives. C’était une buée légère, comme laiteuse, que le soleil peu à peu grandi éclairait. » Pour finir, ce livre bien mélancolique garde à mes yeux le pouvoir d’exprimer la force vitale de l’amour : « Oh ! disparaître dans une étreinte, vivre en une minute tout ce qu’elle n’avait pas vécu ! » Bonne lecture de vacances.

ZOLA Émile, La Mort d’Olivier Bécaille, nouvelles, Ed. Librio.

De plus en plus intéressé par des textes brefs, j’ai acquis ce volume et, pour 2 euros, on a plus de cent pages de ce maître en écriture sans effet de style apparent. Ces quatre nouvelles démontrent que le texte court vaut bien le long malgré la mode chez nous et elles sont de plus une anthologie pour qui veut réapprendre à écrire, justement par-delà les effets de mode. Un homme est pris d’un malaise, on le croit trépassé et on l’enterre. Parvenu miraculeusement à se libérer, il revient chez lui pour entendre qu’on approuve sa femme de se consoler avec le voisin ! La nouvelle suivante dresse un tableau désolant d’un mal d’amour et d’une réussite sociale conjoints sous le second Empire, qui s’achève par une note optimiste à laquelle on peine à croire. Il y a bien un dernier texte où l’on sourit d’un couple adultère qui conçoit au cours d’une partie de pêche tandis que le mari trompé croira en la vertu des coquillages qui l’auraient rendu fécond. Le texte le plus fort et le plus d’actualité, c’en est un autre qui se déroule durant de graves inondations dans la région de Toulouse (c’était en 1875), atteignant le comble du tragique. L’art du conteur ménage les rebondissements provoquant espoirs et effrois… et finit de dresser un tableau terrible. Tout semble dans la peinture dite naturaliste : nature, société, gens, avec leurs joies et leurs douleurs. C’est en effet bien documenté. Mais c’est plus. La Garonne qui noie sauvagement et inéluctablement les gens est peut-être une métaphore de la société d’alors. En fait, c’est écrit avec l’apparente simplicité d’un art possédé et mesuré, parfois frôlant quand même le lyrisme : « Notre ferme en travail chantait par toutes ses fenêtres […] la rivière fait le gros dos, comme si elle était furieuse, et elle s’apaise en une nuit, elle rentre chez elle […] les vagues arrivaient en une seule ligne, roulantes, s’écroulant comme un bataillon qui charge […] Nous entendions le gémissement sourd de la maison pleine d’eau […] Et moi je vis, ainsi qu’une herbe mauvaise, rude et séchée, enracinée aux cailloux ! » Je décèle quelques petites fautes de couleur locale : dans les patronymes ou avec la mention du « vin cuit » (ici on buvait du « vin doux naturel »). Preuve que le naturalisme n’est pas l’essentiel. Et cela n’y change rien, c’est du grand art.

XIAOLONG Qiu, Mort d’une Héroïne rouge, Ed. Liana Lévi.

Il s’agit d’une jeune femme assassinée, alors qu’elle était un modèle de travail et de vertu « rouge » en Chine dite communiste. Et bien sûr, l’enquête va découvrir la victime très différente de son image officielle. Je fus conquis d’emblée. Même si l’auteur vit aux States, l’écriture (autant qu’on en juge par la traduction de l’anglais) ne singe en rien les yankees auteurs de noir. C’est un monde décrit non sans œil critique, mais aussi avec l’empathie pour sa propre culture : «  Certes, Guan Hongying avait vécu pour les intérêts du Parti. Ce n’était que logique qu’elle soit morte aussi pour les intérêts du Parti. Et c’était dans son intérêt à elle qu’on étouffe l’affaire […] » Jusqu’aux citations philosophiques ou poétiques : « ― Tu te rappelles le poème de Dayu : J’ensevelis la fleur aujourd’hui, mais qui m’ensevelira demain ? ». D’ailleurs, l’inspecteur est poète et critique. Cela change des semi truands, pervers et alcoolos de surcroît ! Regard d’autant plus ouvert qu’il l’est aussi sur le passé, l’Histoire. Entre autres l’évocation de la « rééducation » à la campagne au temps des Gardes Rouges [qu’encensaient alors des « prochinois » français…] où « ils apprirent un certain nombre de choses, mais sans doute pas ce que le Président Mao avait voulu. Les usages de l’amour chez les Thaïs par exemple. » Sur fond de Chine du début des années 1990 où le capitalisme se constitue sous la houlette du Parti « Communiste », avec ses contresens, coulage dans les entreprises, favoritisme pour une nomenklatura, fortunes privées, etc. Peu de positif, pour l’auteur émigré et interdit de séjour. Mais une passion pour les gens, les pauvres et les cultivés, parfois les mêmes, vieux sages et jeunes femmes instruites. Avec des croquis forts et noirs, comme cette rue de Canton où sont exposés vivants les animaux que l’on va déguster : « La cuisine cantonaise était célèbre pour son imagination débridée. Soupe de serpent, ragoût de chien, fondue de cervelle de singe, chat sauvage, rat palmiste. » J’ai pris un grand plaisir à la peinture d’une Chine où mécanismes et décor sont contés avec talent :

« […] regardant rouler la houle jaune foncé, chantant des airs d’opéra de Péquin avec les oiseaux dans des cages suspendues aux arbres. » 

 

VIVAS Maxime, Chicharra et les vautours, Ed. Le Griffon bleu.

Dans l’univers de la montagne, hors des turpitudes du monde, vit chichement et laborieusement Pierre, un adolescent orphelin vendeur sur les marchés. Un ami croyant avoir la bosse du commerce, les deux jeunes vont monter une grande entreprise commerciale. Lancée sous le parrainage du chanteur Chicharra, vedette de la chanson contestataire et mécène humanitaire d’enfants, elle va se heurter pourtant à la sauvagerie de la jungle capitaliste… C’est à la fois un conte moral et un petit roman d’aventures que nous donne ici Maxime, plus coutumier de textes politiques et connu comme animateur de l’émission « Excusez-moi de vous interrompre » à l’antenne toulousaine de « Radio Mon Pays ». Quand il ne s’essaye pas aux paroles de chansons édifiantes comme ici : « Moi je t’embrasse / Sans dégoût / Malgré la crasse / Sur tes joues… » Il y a les méchants : un voisin menaçant d’acheter la grange où vit le héros, les marchands du temple dans le monde et surtout celui qui, jeune loup formé dans les écoles internationales de la modernité marchande, reprendra l’entreprise pour organiser une fin révoltante. Mais il y a les gentils, parmi eux deux filles, à peine côtoyées sans oser même les convoiter. Je ne sais si c’est ainsi que font encore les adolescents d’aujourd’hui, mais cette vision fugitive m’évoque en tout cas des souvenirs : « Une jeune fille apparaît, juchée sur une monture blanche. Elle-même est blanche, de peau, d’habits. » Enfin, il y a la montagne, avec son paysage, emblématique de la situation de certains ados : « il est hors du monde et de la modernité » et avec son atmosphère à quoi je ne savais pas l’ami Vivas si sensible : « Ici, tout est silence, quiétude et transparence. » Ce ne sont pas les gentils qui gagnent, comme dans la vie, mais la morale est quand même sauve puisque un tel livre est produit et lu, vendu avec 50 centimes en faveur du projet Tsarahofana à Madagascar. Comme quoi on peut écrire et éditer en « province » et surtout on peut intéresser la jeunesse autrement qu’en la faisant s’évader ou – pire – en la faisant se délecter de ce qui est pourri dans le royaume de France… et du monde.

WELLENS Serge, in la revue Les Cahiers des poètes (L’Ecole de Rochefort-sur-Loire) N°3.

Voici une chronique envoyée par un ami, Pierre-Dominique Parent, spécialiste de poésie  contemporaine :

« Cette très belle publication ne se contente pas d’évoquer René-Guy Cadou et les fondateurs de l’Ecole de Rochefort (1940-1945). Ils honorent cette fois Serge Wellens* qui fait partie de la deuxième vague de cette fameuse école (« buissonnière » comme on la nomme souvent) et dont les échos se sont prolongés au-delà des années de guerre jusqu’à Paris. Elle réunissait  un groupe d’amis, poètes essentiellement, à la sensibilité proche, et amoureux de la nature. Ce groupe répondait à la nécessité non seulement de fuir Paris occupé mais aussi de confronter les expériences de chacun à l’écart des modes parisiennes comme le surréalisme. Serge Wellens est né en 1927 à Aulnay-sous-Bois et décédé en 2010 à la Rochelle. Son parcours poétique commença dans le cadre d’un groupe anarchiste intitulé « Les Cahiers de l’Orphéon ». On aurait pu croire que Wellens allait cultiver cet esprit libertaire d’une façon durable tant était fortement ancré en lui un sentiment de révolte contre la société. Or, au grand étonnement de certains de ses amis, il n’en n’a rien été. Avec l’âge et l’expérience, Serge Wellens rencontra d’autres inspirations, notamment celle qui le fit accéder à un dieu qui n’est certes pas le Dieu conformiste de certains croyants, mais une sorte de compagnon d’infortune à qui l’on peut confier sans peine la dure réalité du poème et de la vie. « La solitude est hérésie » écrit Serge Wellens. C’est cependant l’ humour qui chez lui est demeuré une constante, ainsi qu’en témoignent certains de ses poèmes, tel celui-ci: « À présent / il nous donne bien de l’inquiétude / il dort mal / il rêve fort / il se retourne / et l’on entend le monde / craquer de tous ses ressorts / Est-il malade de vermine / de solitude / on dirait qu’il parle mais quoi / Va-t-il se réveiller encore une fois / Et faudra-t-il encore une fois / le mettre à mort ? »


* Parmi les ouvrages de Serge Wellens cités par l’ami, les premiers : Les dieux existent et Méduses, (tous deux aux éd. Millas-Martin 1966), et les derniers : Il m’arrive d’oublier que je perds la mémoire (éd. Folle Avoine, 2006) ; Poèmes de l’inconfort (éd. Folle Avoine, 2010) ; Tout doit disparaître (éd. Folle Avoine, 2012). »

VELTER André, Tant de soleils dans le sang, poèmes, Ed. Alphabet de l’Espace*.

Ceci est un livre-objet, en beau papier « Brut de Centaure ivoire », avec DVD d’un récital avec le guitariste Pedro Soler et aussi des dessins d’Ernest Pignon-Ernest sur « poèmes-tracts ». L’auteur est de ceux que j’aime et admire, écrivant pour dire – et disant – et aussi plus familier de l’Afghanistan et autres Orients que des salons parisiens. Il dit aussi à la Maison de la Poésie et à France-Culture, mais n’est pas de ceux qui gardent la chambre en prétendant connaître le monde. Quoique Descartes suggérât que les voyages ne forment pas la jeunesse mais la distraient tout au plus, on sait bien toutefois depuis les encyclopédistes que l’altérité nourrit la pensée. La poésie, en tout cas, qui nous offre ici de si beaux moments : « bête ou fauve / fils ou frère / du vieux Minotaure / on ne sait au fond de soi / à quel mystère / se raccorde le trouble, le désir / le vertige »  ; « J’ai dévoilé ce qui m’aveuglait / commandé un peu au jeu des reflets, /  mais un peu seulement / J’aurai vécu comme un train lancé dans la nuit » ; «  Décidément, décidément / plus de civilité, / plus de sursis de complaisance : / on va jeter le sac d’un coup / et d’un coup le vider […] Décidément, décidément / plus de réticence, / plus de survie ni d’habitude : / on va reprendre l’utopie au bond / et d’un bond l’embraser […] jusqu’à raviver un blasphème de Khayyam / une indécence de Théophile / un travelling de Hugo, / un bras d’honneur d’Apollinaire, / et d’Alberti le grand galop, / sans pactiser à jamais ». À qui souffre et ne se résout pas, un objet-baume et un livre tonique.

* www.alphabet-espace.fr

Vautrin Jean, Le Roi des ordures, Ed. Rivages noirs.

Une lecture à Polars du sud (Toulouse au début de l’automne) par la comédienne Danielle Catala m’a révélé ce livre que je ne connaissais pas. Sacrée lacune, heureusement comblée par l’achat séance tenante et la lecture qui s’ensuivit. D’entrée de jeu, on sait où l’on se trouve. À Mexico, cette mégapole digne de toutes les villes « polardesques », et aussi dans la Littérature avec un grand L, celle qui ne met pas le monde au congélateur. Dans l’introduction, l’auteur assure : « le roman noir, à l’envers de nos nombrils de Français bien nourris, continue à porter les germes d’une critique sociale comme il n’en existe à aucun étage de notre littérature en col blanc. » Et nous voici embarqués dans cette ville folle, aux bas quartiers peut-être encore plus bas qu’ailleurs. Sur une énorme décharge règne un « roi », prototype de l’infect parvenu exploiteur dans l’ordure, violeur incestueux, etc. La règle du jeu sera pour le héros de parvenir à le liquider, autant par jalousie que par haine et par intérêt. Pas tout à fait le « héros positif », on le voit, mais un type si touchant, invoquant tour à tour son père, le Marlowe de Chandler et aussi, et surtout, l’amour… Intrigue loin du jeu d’échec classique des anciens romans policiers, aussi des arcanes plus ou moins troubles des thrillers contemporains. Une occasion de brosser un coin du terrible tableau de la société mexicaine, gouvernée comme toutes par le fric et le pouvoir. L’occasion aussi de décrire avec un talent inouï : « Labyrinthe d’autoroutes embouteillées, d’échangeurs saturés d’hydrocarbures, au fil du temps Mexico a pris le goût des amours interlopes. Et puisque les conquérants ont laissé leur semence dans ses flancs, elle a choisi, terre d’asile, d’aimer tous ses fils, produits d’une alliance forcée par le feu et par le sang. » Vautrin joue si peu qu’il tire les ficelles pour donner de l’amour à une énorme dame en mal de ça : « C’est si facile de rendre un avenir à quelqu’un ! » Sans compter que l’histoire n’est pas absente, sans quoi l’écriture est toujours myope, par l’évocation du riche et douloureux passé précolombien avec Tenochtitlan, Tlaloc, etc. Impossible de rendre compte d’un pavé de 350 pages où chaque ligne étincelle. Que dire ? Sinon qu’on aimerait avoir écrit cela : « Maquillée de néons, crêpée de buildings, couchée sur le limon de la vallée […] la ville-lune dort dans son lit de lave […] beauté aztèque au sexe fouillé par les enfants de Cortès, elle geint dans son sommeil. »

VARENNE Antonin, Le Mur, le Kabyle et le marin, roman noir, Ed. Viviane Hamy.

Rien de commun a priori entre un boxeur flic et casseur et un jeune ouvrier contre la guerre. À plus forte raison entre des appelés envoyés dans un DOP, centre de torture des « bérets noirs » du deuxième bureau en Algérie, où certains excellent tandis que d’autres cherchent à se planquer, et des « Arabes » (dont « le Kabyle ») auxquels ils ont affaire. J’avais tardé à lire ce roman primé plusieurs fois, n’étant que rarement au diapason avec les goûts communs, même ceux de polardeux gauchisants. J’ai aussi mis du temps à épouser l’écriture qui m’apparut éclatée entre plusieurs récits. Enfin, malgré la douleur de l’histoire quotidienne en guerre d’Algérie, inspirée de la confidence que le père de l’auteur lui fit avant sa mort, je me suis laissé embarquer. C’est écrit tantôt comme on frappe : « Respire George. / Cinq… Six… / La tête qui tourne. / Sept… / L’autre qui m’attend… / Huit. / Debout. », tantôt en charge classique : « Des reliques de temps révolus, de vieux mythes de héros sabre au clair, [il s’agit des officiers] écrivant des confins de l’empire des lettres graves à de lointaines épouses » et tantôt avec poésie : « La ville, très vite, est une silhouette sur un ciel de nuit orangé, piquée de petites lumières jaunes. Puis une aura de minuscules étoiles ». L’hétérogénéité des actions et du mode de narration exprime sans doute les brisures des personnages, partagés et tiraillés entre la guerre et la torture, la lutte sociale et le combat de boxe, et une humanité moyenne malgré tout. Au bout du compte, on se retrouve aujourd’hui où se rattrapent et se confrontent les protagonistes vieillis. L’embarqué malgré lui dans une sale guerre a eu soin de la mettre aux oubliettes tandis que le tortionnaire s’est acheté une belle planque. Le Kabyle, lui, voudrait faire justice mais le pacifiste et le flic ripoux ne savent plus ce qu’ils veulent… dans une valse hésitation bien typique du marigot moral où patauge notre temps présent, pour finir par une sorte de happy end, si on veut. Un livre qui révèle une époque.

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