Ecrivain

Catégorie : Coups de coeur et lectures (Page 6 of 17)

VAILLAND Roger, Drôle de jeu, Le livre de poche.

Dans l’arène de la Résistance, le drame est emblématique de la condition humaine et aussi intime : le vieux combattant libertin sera-t-il préféré par la jeune fille aux jeunes, l’un romantique et l’autre militant naïf ? L’aventurier savait de quoi il causait. Pour moi le plus clairvoyant et le plus courageux des romans sur ce moment. Car l’auteur, membre d’un réseau, prit soudain du recul pour une remise en question avant même la Libération. Bien des auteurs et des résistants, de la dernière heure ou pas, n’en ont pas fait autant !
J’ai découvert Vailland tardivement, lorsque je m’intéressai particulièrement au libertinage, avec Eloge du cardinal de Bernis*. Un grand auteur méconnu, ou du moins occulté. Un de plus. Car l’auteur, catalogué « réaliste socialiste » pour 325.000 francs**, écrivit aussi La Fête et La truite, d’une tout autre eau. Pour ne rien dire des nombreux films adaptés de son œuvre et ne citer d’autre que La Loi (prix Goncourt) et les Ecrits intimes***. Dans ces derniers il confie ne jamais plus vouloir travailler sous le portrait d’un homme (il avait décroché celui de Staline dans son bureau) parmi d’autres choses passionnantes sur la politique, la philosophie et l’amour. Ce qui m’emballe pour lui : son évolution dans une démarche d’une pensée originale, vraie, non pas consensuelle et acritique comme il est généralement de mise aujourd’hui. Quant à son écriture, par-delà des tableaux sociaux très informés, je reste ébahi devant la plastique théâtrale d’une concision hachée et ciselée.
« Mais je voudrais bien savoir ce qui, à vos yeux, n’est pas un jeu ?
― La vie, la vie toute simple.
― Comprends pas. […] »
« Nous sommes dans le temps du dégoût […] Ceux qui auront dormi pendant la nuit de la honte ne connaîtront pas le jour de gloire… »Conquis, je suis parti sur les lieux d’écriture de ses livres (dans l’Ain) pour écrire un roman de la route où j’évoquai l’écho de Vailland, père putatif, et en même temps de mon vrai père****.

* Les Cahiers rouges (Grasset) ; **Film éponyme de Jean Prat ; ***Gallimard.
**** Un homme seul, Ed. Paroles d’Aube, 1995 (épuisé, voir en bibliothèques mais ne se trouve pas dans les bibliothèques de Toulouse).

TRILLARD Marc, Eldorado 51, roman, éd. Phébus.

Ce roman, un prix Interallié, fait exception aux prix ayant couronné – sauf exception – de médiocres favoris du sérail.* Contrairement aux plumitifs du quartier latin, ou bien d’ailleurs en l’hexagone, l’ami Marc se distingue en partant travailler et vivre outre-mer. Cela donne un roman poignant où une française immigrée, installée avec son homme au bord de la piste Tranchaco, voit se déliter tout ce qui eût dû recommencer une vie. Après un départ comme tous, simple et terrible : « Revers de fortune, là-bas, au pays. », elle a monté un « petit » élevage de quelques milliers de bovins en Amérique du sud, dans le Chaco Paraguayen. Mais le temps et les siens la trahissent. Devant la catastrophe, elle veut s’échapper en vendant, mais c’est impossible. Les éléments rendent tout et tous liquides. Les bêtes crèvent. L’ « époux fossile » reste muet et inexistant. Suite à sa fugue pour tenter la vente, son propre fils lui casse les jambes. De plus, il la trahit en forniquant en silence sous son toit, tandis que la Guarani qu’il baise : « raconte tout et le reste, elle soulève et pousse et secoue furieusement le puissant corps qui lui cloue l’abdomen, ahane son formidable martyre, puis rit, s’étouffe, crie la gorge ouverte comme si elle entrapercevait sa fin. » Pour finir, Ida prépare l’incendie de l’estancia, mais n’accomplit pas son geste, en se demandant pourquoi. « Peut-être l’Indien qui vit sauvage et libre dans le monte pourra-t-il éclairer ma lanterne. » Et elle part en rampant sur les coudes et le ventre vers le territoire des Lengua ou des Nivaclé. « Je n’ai pas de préférence, pourvu qu’ils soient sincères. » Forte histoire, parfois délicate et sensible, souvent violente, en silence. Sacré roman, d’une lucidité extrême : « Chacun a son histoire, plus ou moins glorieuse, plus ou moins avouable, dont nous ne savons que des bribes […] » et aussi d’une émotion forte. Comme quand, son mari mort, l’héroïne lave « ce visage et ce torse, ces bras et ces jambes, ces mains qui m’ont autrefois tenue et caressée ».

*  L’Interallié mérite l’indulgence depuis qu’il avait jadis couronné Drôle de jeu de Roger Vailland.

TISON Marc, Les Paradoxes du lampadaire, éd. Contre-poésie.*

Un exergue de Ferlinghetti, poète et éditeur de la beat generation newyorkaise était pour moi un bon passeport. Le contenu de cette brochure tient cette promesse. Ce sont des textes déjà publiés en revues, poésie de la ville dite avec amour mais sans flatterie. « Mille cohabitations de solitudes ». Maintes villes, Paris, Barcelone, New York… saisies en clichés, par bribes, par éclats, éclats de rire, même : « des sino-américaines se la pètent / en bande cucu au parc Guëll / Elles ont des chapeaux roses dégoutants / et des petites fesses ». « Les communards prennent les trains de banlieue », « La ville appartient aux enfants sauvages ». Depuis Lorca on sait New York aussi ville de poème. « A NY, j’ai entendu les voix des poètes le long de Bowery me courir après à n’importe quelle heure. » Une autre brochure est aussi belle et plus personnelle, intitulée « L’Equilibre est précaire » : « Ta langue cicatricielle lèche ma langue de mots… » Où est passée la poésie en France ? Pas sur les ondes officielles, en tout cas ! Fermons radio et télé et lisons… « le chant frotté des mains, poignant des chairs » qui conclut : « Il y a tant de révolutions à faire ». À petites et fortes doses, la poésie soigne du tapis de bombes médiatiques.

*Chez Marc Tison : mc.tison@orange.fr

TINEL Anne-Christine, Tunis par hasard, éd. Elysad (Tunis).

Une jeune française se retrouve à Tunis seule avec son enfant. Elle a fui une douleur due à un homme. Elle refuse de lire ses lettres. Et elle ouvre toute grande son âme blessée sur le pays. Quant à la situation des femmes, en butte très jeunes à l’homme, parfois fille haïe par le père… Stupéfié, on veut espérer qu’il ne s’agit que de certaines là et que de toute façon ce prototype de père fait preuve de l’homme qu’on n’est pas ! Le livre vaut aussi pour des notes générales : « Là-bas, [en France] les femmes peuvent croire se faire belles pour elles-mêmes. Ici, c’est impossible. Impossible de ne pas se souvenir que les hommes réclament la beauté des femmes comme un dû. Difficile de passer au travers des regards. » Tout ceci conté dans ce poids du vécu tragique, parfois brûlant de l’affrontement, parfois glacé de la perte culturelle, englué souvent dans cette lourdeur de l’âme éperdue : « Aujourd’hui, ce qui m’est ravi, c’est cette appartenance immémoriale […] Je suis une étrangère, irrémédiablement. » Dans les odeurs, les goûts, les visions, les sons, et aussi dans la chair : « La nature aussi me travaille. Un matin, sans crier gare, j’ai envie d’aimer. » Parfois logorrhée appliquée, celle de l’agrégée qu’est l’auteur, cette démarche creuse pourtant l’émotion, résonnant de sa propre culture, mais par-delà les idées reçues sur le Maghreb. Quant à l’écriture, je peux lui appliquer la phrase de Genet : « Ma victoire et verbale, je la dois à la somptuosité des termes. » : « Ces derniers temps, souvent, il m’a fallu sortir, retrouver la lumière de fin d’après-midi qu’on goûte dans les rues avoisinant les ports puniques ; c’est que ma peau aspire à ce bain bleu et rose. » À la fin, l’héroïne locutrice va lire les lettres…

TIBOUCHI Hamid, Portées (notes d’atelier)*.

Cet ouvrage comporte aussi des reproductions de peintures. Hamid fut il y a beau temps mon élève, en philo au lycée Ibn Sina de Béjaia en Algérie. Ne l’ayant suivi que de loin, je le retrouvai il y a peu à Paris où il accepta de me donner un dessin en couverture d’un de mes romans**. Homme toujours réservé, Tibouchi, sait écrire en poète affirmé : « maintenant que la mort/nous met un peu plus de noir dans l’œil/un peu plus de neige aux cheveux/qu’avons-nous gardé des étreintes/des lacis nus de nos nuits/[…]*** Mais il place en exergue de Portées une citation de George Braque : Écrire n’est pas décrire. Peindre n’est pas dépeindre. Tout est dit… Lui qui côtoya Jean Sénac, sait le prix des désillusions. Le sort du poète solaire, comme celui de Tahar Djaout et de tant d’autres, lui apprit aussi le prix de la douleur. Tibouchi, qui naquit entre le français, le kabyle et l’arabe et devint prof d’anglais, passe sa vie à chercher un langage vrai entre la poésie et la peinture. Ses signes doivent beaucoup « au poids d’une fausse culture du Livre et de la non représentation qu’il conteste tout en respectant celle, véritable, qui a généré le soufisme. Pourtant, toujours contre tout et à contre courant » (ainsi qu’il me l’a écrit), il ne peut que passer outre. Certains de ses pareils devenus cadres de la nation, lui reste en un recul qui me le rend très proche. Quelques clés dans ses notes : « Il existe deux catégories de choses : celles qui font du bruit et celles qui parlent en se taisant. Paradoxalement, ces dernières disent bien plus de choses que celles qui font beaucoup de bruit. Il en va de même pour les hommes, c’est bien connu. » Et : « Je prépare patiemment, en retrait, en silence et en secret, un grand voyage dans le Minéral et le Végétal. »


* In Hamid Tibouchi, L’infini palimpseste de Pierre-Yves Soucy, Éd. La Lettre volée, 2010.
** Algérie des sources, Éd. Le temps des cerises.
*** Kémia, Le Figuier de Barbarie, 2002.

THIRION, Jan, La Soupe Tonkinoise, Ed. TME.*

J’avais lu en son temps Ego fatum. Roman noir bâti à la perfection et qui m’a surpris par une écriture très maîtrisée se jouant du crime avec quelque désinvolture. J’avais confié à l’ami toulousain ma circonspection de ce huis clos ultra noir. De plus, je pense souvent à Pierre Bourgeade déclarant un jour que « s’il manque l’Histoire et le sexe, ça ne vaut rien ! » Hasard ou pas, Jan a publié il y a peu La Soupe Tonkinoise. Des filles sont assassinées férocement à Hanoi et l’on charge d’enquêter quelqu’un, tout en l’ayant à l’œil… L’histoire se déroule en Asie au début du XXè siècle. Mais c’est celle d’un parent Thirion. Alors, cette fois, ce n’est plus du jeu. La virtuosité de l’écrivain se retrouve dans la façon de conjuguer les dictons asiatiques et ses propres aphorismes qui, parfois en disent fort long : « Faute de bonne vie, on fait des rêveries. » Aussi dans le rythme de sa prose, assénée et coupée pour mieux porter, avec des moments d’évocations romanesques comme les tableaux de rue, les bagarres musclées, les scènes érotiques… donnant lieu encore à des formules magiques dont l’auteur à le secret : « Durant ce quart de seconde magique, il touche du doigt la vérité suprême […] » Mais le tragique est vraiment là, dans cette colonie avec ses horreurs, le bagne de Poulo Condor et les tortures policières entre autres. Aussi dans la moralité particulière : « Assassinat de jeunes prostituées dans un but d’intérêt national ». Et encore dans l’amour toujours vache, digne de Fleurs du mal plutôt : « Ses doigts se rêvent d’être les larves de la teigne pour ronger les étoffes, trouer et créer ce passage idéal qui mène au but. » Avec tout ça, l’ancêtre est fantasmé, un peu super homme physiquement et mentalement qui se tire de tous les mauvais pas, convoité et goûté par les belles dames. La documentation y est bien, sur l’état de la colonie en ce temps, avec l’armée surtout, les chants, les croyances, les villes… et les bordels relevés comme le Pavillon du Lotus où se trouvent bien sûr de pauvres filles mais aussi, plus inattendues, les réunions de la loge maçonnique… Dans ce roman, très noir par son sujet et son traitement, l’auteur pratique une alchimie de tout ce qui anime et déchire l’homme en ce monde : « Annamite et latin se mélangent sous le plafond peint de rosaces, de rinceaux et d’acanthes en trompe l’œil. » Métaphore du vertige dans lequel il nous entraîne. Je sens ce livre comme le grand ouvrage de Thirion.

* Editeur en Midi Pyrénées (Collection Noire d’Histoire).

TEYSSEYRE Michèle, Moi, Véronica Franco, courtisane à Venise, Ed. Clairsud.

Il est des livres pour lesquels sonnent les trompettes de la renommée et qu’on oublie sitôt la dernière page tournée. Celui-ci est autre. J’eus le plaisir de présenter l’auteur à un café littéraire des « Gourmets de lettres » à Toulouse. Plaisir sincère car je respecte qui recherche et écrit sur un autre temps, exercice difficile du « roman historique », rarement réussi car rarement authentique, sinon lorsqu’il est pratiqué par de très grands comme Hugo ou Flaubert. L’héroïne, Veronica Franco, courtisane à Venise, fut au cœur de la vie amoureuse, intellectuelle et artistique de son temps (le 16ème siècle, dit 15ème en Italie). La documentation est sérieuse et surtout la compréhension du temps et de la société est profonde. Sans oublier l’entente de ce que put être une telle femme, à la fois libérée avant l’heure et mondaine et aussi critique, voire combattante pour les droits de femmes en difficulté. Car elle était également poétesse et musicienne. Michèle possède aussi plusieurs cordes, peinture et cinéma entre autres, la littérature semblant toutefois son point constant depuis qu’elle publia de la poésie dans sa jeunesse. C’est conté à la première personne. « J’ai suivi cet itinéraire qui se confondait avec celui de mon héroïne. Peu à peu nos voix se sont juxtaposées ; elle a emprunté ma langue, j’ai parlé avec ses mots. » L’écriture témoigne de maîtrise et de passion, sans quoi il est vain de tenter d’écrire. « j’avais baissé la garde ; l’amour était entré en moi comme un orage et y avait tout dévasté. » Elle n’est évidemment pas exempte de féminisme et de fierté : « Car à ceux qui ont tout l’honneur n’exige-t-il pas de montrer un visage de souveraine ? » Sans oublier, évidemment, la teinte érotique : « Il exigeait que je les chausse après m’être dévêtue : cela le mettait dans une fureur amoureuse extrême, leur taille élevée m’obligeant à un déhanchement qui l’émouvait au plus haut point. » Lisez, c’est un élixir paradoxalement rafraîchissant en plein été !

SEPÚLVEDA Luis, Les Roses d’Atacama, Editions Métailié.

Je me suis jeté sur ce cadeau familial car j’avais entendu du bien de l’auteur, sans l’avoir jamais lu. Bien m’a pris de lire ces nouvelles ! Loin des tribulations autour d’un nombril, sont là écrites des aventures réelles vécues un peu partout de par le monde. C’est que l’auteur, contrairement à qui n’a pas quitté sa chambre du Quartier latin, partit autour du globe, libéré après avoir été condamné à de longues années de prison par Pinochet. L’importance de ses récits de voyage, du Chili à Moscou en passant par pas mal d’autres pays, réside surtout dans son regard pour une réalité, non seulement humaine, mais tout autant sociale et historique, et encore écologique. Impossible d’évoquer chacun de ces trente cinq textes dans lesquels, malgré vents et marées, coups d’état et attentats à la nature, il « continue à noter les merveilles du monde ».  Je pioche, un peu au hasard les roses d’Acatama fleurissant brusquement au désert, métaphore du retour de la vie, l’histoire de Balboa qui découvrit au XVIè siècle le futur Honduras en épargnant les indiens, le plaidoyer pour la culture lapone en Suède, l’hommage à un auteur chilien martyrisé, le rêve d’un ciel « plein de jolies filles qui ne disent jamais non » et « où Papa Hemingway reçoit tout ceux qui ont été nobles », le souvenir du « pirate de l’Elbe » résistant en 1400 et les jeunes qui veulent rebaptiser une rue de Hambourg à son nom, la photo des « Roses blanches de Stalingrad » : filles d’un temps oublié où elles formèrent une escadrille combattante contre la Luftwaffe d’Hitler… Il faut parcourir ces pages pour se laisser étreindre par l’émotion humaniste d’un regard à la fois révolté, aimant les autres, fier et heureux des résistantes, jamais replié derrière un bouclier d’égoïsme, toujours convaincu de « parmi tant d’ordures universelles, la dignité de ceux qui gagnent vraiment le pain qu’ils mangent ». Regard enfin d’un auteur écrivant malgré tout avec talent : « Notre langue, c’est notre patrie. (…) car les blessures des héros de la littérature sont rapidement guéries par le baume de la littérature. (…) Lectrice, lecteur, quand tu regarderas une statue sculptée dans le marbre de Carrare, pense aux cavatori et aux marbriers de Pietrasanta. Pense à eux et salue leur digne anonymat. »

SALVAYRE Lydie, Pas pleurer, Ed. Seuil.

Peu enclin à lire les livres primés, j’ai éprouvé émotion et joie avec celui-ci, authentique et fort, des rares prix Goncourt qui devraient rester à la postérité. On peut avoir des difficultés à entrer dans cette langue, sensée être parfois estropiée par la mère, entrecoupée même de mots espagnols, mais souvent forte et distillée avec délicatesse. C’est là un livre non fabriqué pour plaire, qui dit la passion d’un temps et de personnages lors des évènements libertaires de 1936 en un coin d’Espagne aux « innombrables villages transformés en communes collectives libres et autogérées », et aussi ce qui s’en suivit de difficultés et douleurs. Notamment à cause des dignitaires catholiques espagnols qui se déshonorèrent à encourager les dits nationalistes supportés par Hitler et Mussolini, franquistes champions du « viva la muerte ». Et aussi, il faut bien le lire, à cause des guerres intestines entre républicains où les agents de Staline visaient les objectifs propres du « petit père des peuples ». Sans oublier les enjeux internationaux où la France et l’Angleterre portent la lourde responsabilité d’une « non intervention ». Le vécu de la mère est alors une parabole, guide plus ou moins aveugle, amnésique en tout cas, puisqu’elle a oublié toute la suite, tandis que revient un leit motiv douloureux et honorable, celui de Georges Bernanos à Palma de Majorque, condamnant les exécutions et leurs auteurs nationalistes, bien que « ce projet lui harasse l’âme » car « Il pensait avoir touché le fond de la hideur ». Heureusement, il y a les heures de bonheur initial de la jeune-fille, qui vécut avec un poète français un baiser de la durée d’une projection de film et puis la nuit suivante, et en deviendrait mère de la sœur aînée de l’auteur. Il y a aussi l’art de celle-ci incluant entre autres mots d’ordre et chansons : « QUEREMOS VIVIR ! » (Nous voulons vivre !) « Si tuviera veintisiete/Tres horas más te querría » = S’il (le jour) avait vingt-sept (heures)/ trois heures de plus je t’aimerais. Et enfin cette langue si respectueuse et humaine ainsi qu’à la fois si artistique, littéraire vraiment, où elle dit le vécu de sa mère en « cet été où tous les principes se renversent, où tous les sentiments se renversent, faisant basculer les cœurs vers le haut, vers le ciel, ma chérie, c’est ce que je voudrais que tu comprends et qui est incompressible. »

SAINT-PAUL Christian, Vous occuperez l’été, poèmes, Cardère éditeur.

J’ai rencontré ce poète qui m’invita à plusieurs reprises dans son émission « Les Poètes » sur Radio Occitania*. J’ai ensuite tenu à eu lui dire combien j’appréciais son attitude, humilité de l’écoute, sérieux de l’entendement et aussi sympathie lucide. Ce recueil comprend deux parties. Tolosa melhorament est un long poème bilingue franco-occitan. Rien d’étonnant à ce qu’il soit introduit par un texte de Félix-Marcel Castan : « La première poésie d’Europe, au XIIème  siècle, a déplacé l’axe de l’amour, l’a ramené du ciel sur terre, vers l’être individuel, vers la femme […] » écrit de ce texte le philosophe qui replace aussi le centre de la culture là où il fut, à Toulouse, tout en invoquant ses Grands de jadis, naguère et tout de suite, les peintres, poètes et musiciens, richesse locale moins connue que l’aviation : « Les briques fêlées par les siècles / honorent d’un même élan l’âme toulousaine / ivre de la puissance érotique des cours d’amour / et de la décence des Cathares allant au déclin / sans tache de boue ». Par-dessus tout, ce sont les auteurs descendant des troubadours qui apprirent au monde le culte de la Femme, qu’il chante : « Un cheptel d’écrivains engrange des émotions de contrebande ». Rien d’étonnant qu’Aragon, Tzara et autres se fussent retrouvés dans ces rues au temps où l’honneur était au bout de la plume autant qu’au bout du fusil. La seconde partie regroupe d’autres textes, écriture d’amour pour la plupart, envers des femmes surtout, sa compagne, ses filles… « La femme enfante le plaisir périssable du coquillage », « Je construis des diadèmes pour vos fronts »… avec aussi des textes plus politiques, dans l’esprit des troubadours également, tels l’hommage à Jean Sénac, la critique de la communication évinçant le poète, ou l’éloge de la langue sudiste : « Flamme occitane, bûcher ardent de la Parole. » et l’écriture du désarroi de qui traque l’essentiel sans être reconnu pour tel : « s’en tenir à faire le guet / de lueurs cinglant les ténèbres ». Un bel et bon livre à déguster.

* Les jeudis de 20h à 21h sur 98.3 et en permanence sur le site : http://les-poetes.fr/emmission/emmission.html

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