Ecrivain

Catégorie : Coups de coeur et lectures (Page 8 of 17)

OULEBSIR Rachid, Le rêve des momies, Editions L’Harmattan.

L’auteur, rencontré au théâtre de Bejaia au cours de mon dernier voyage en Algérie, a quitté Alger (après des études en France) pour retourner au bled, loin de la capitale de l’hexagone et de ses allées du pouvoir médiatique. Un drôle d’oiseau au bel et bon vol original. Voici quelques extraits de la chronique de Nabila Guemghar parue dans La Dépêche de Kabylie.

« A la lisière d’une chronologie historico politique et d’un conte plus fantastique que merveilleux, un Poète raconte la tragédie Algérie ! […] L’incipit du roman plonge le lecteur dans l’allégresse de l’après indépendance, une euphorie de courte durée, car le fleuve est vite détourné. […] L’histoire est celle de ce Poète incarcéré pour avoir refusé de courber l’échine, après s’être un temps égaré. […] L’honneur de la tribu est aussi un principe avec lequel on ne badine pas et c’est Idir qui l’apprendra à ses dépends. Ainsi, refusant de voir se perpétuer une tradition séculaire jugée désuète, Idir, après son séjour en ville décide de « corriger les mentalités attardées ». Jugeant de la nécessité de la libération de la femme par tous les moyens, il décide, pour ce faire, d’embrasser sa voisine, déjà mariée, au vu et au su des villageois. Le code de l’honneur kabyle aura raison de lui […] Dans [le chapitre] : « le nombril de l’aube » R. Oulebsir revisite les événements du Printemps 1980 […] Avril et les siens voulaient « libérer l’horizon avec les clés magiques des ancêtres ». La beauté de l’écriture de R. Oulebsir réside dans ce savant mélange des genres ; des fragments de poésie dé-clamés par le rhapsode admiré, entremêlés de récits prosaïques pour aboutir à une écriture de la déroute […] Poète « témoin d’un monde en décrépitude ». […] L’écriture de R. Oulebsir est exutoire du mal, remède à l’injustice, elle semble être « une pratique de la résistance contre le reflux de l’intelligence, un barrage à la déchéance humaine » […] « Demain, l’éclipse recouvrira pour longtemps vos espoirs. […] Des tourbillons de poussière acides achèveront vos yeux myopes. Vos cerveaux troublés porteront la barbe et le kamis. Vos pieds bots traîneront les babouches du sacrifice. »

Il faut savoir marcher hors des sentiers battus pour lire ce livre. Je vous le souhaite.

ONFRAY Michel, Le Postanarchisme expliqué à ma grand-mère, essai, Ed. Galilée.

Réflexe, le triomphe électoral sans gloire m’a replongé dans cet essai prêté par un ami. Et bien m’en prit. Car ce philosophe si décrié vaut le détour, au moins pour ce livre. Figurez-vous que la question brûlante : Comment le pays des droits de l’homme et des conquêtes sociales peut-il voter au quart pour l’extrême droite raciste ? trouve ici en bonne part sa réponse qu’il ne faut pas éluder sous peine de ne rien comprendre. Médias, économistes, journalistes et autres « penseurs » comme les « Nouveaux philosophes » ont concouru depuis des décennies à récuser l’idéologie de la Révolution et celle de 1968 pour mettre en selle l’individualisme libéral économique. « Les libéraux de gauche s’activent avec les libéraux de droite avec lesquels d’ailleurs ils gouvernent en alternance » et aussi « il est temps d’en finir avec le hold-up marxiste » qui a récusé les autres socialismes que le sien, afin de rechercher un socialisme immanent, celui d’un postanarchisme où la révolution ne sera pas faite au sommet mais à la base par une multitude d’actions de « Lilliputiens » contre le géant en fonction de ce que l’auteur nomme « le principe de Gulliver ». Cela vaut que l’on se demande s’il s’agit là d’une réactivation d’un réformisme ou bien d’une redécouverte de l’énorme acquis des actions et pensées sociales françaises de tout poil. Je pencherais pour la deuxième option en lisant son grand principe emprunté à l’ami de Montaigne, La Boétie : « Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres. » Ce qui peut sembler volontariste… et, justement, peut être décisif ! Ajouté à cela, on découvre l’enfance humble et même difficile du prof de philo qui fit de lui un rebelle, et l’on est confirmé de sa riche culture où il connaît bien les mouvements et pensées socialistes et également l’analyse critique des Bourdieu, Foucault, Deleuze et autres Derrida, l’esprit critique de l’auteur n’épargnant pas – on le sait – la psychanalyse, tandis qu’elle est quasiment élevée par d’autres au rang de religion. Bien des raisons de se plonger dans ce dense mais simple petit essai.

OBIONE Max, Sœur fouettard, Ed. Ska (Skaediteur en ligne *).

Je déroge déjà, à l’égard des poètes, au principe d’une chronique par auteur. Qu’on me permette d’en faire autant pour un texte publié par des amis sur Internet, d’autant que l’auteur est également l’éditeur (avec l’amie Jeanne Desaubry) d’une belle collection érotique baptisée « Culissime ». Quand Éros rencontre l’Histoire, surtout celle de la Commune, cela fait forcément assaut du ciel … Et c’est le cas dans ce récit en 3 épisodes. Tout commence avec un rapport de police de l’Empire (le second) sur Marie-Louise Berthet, pensionnaire d’une « maison de plaisir » fréquentant aussi le club libertaire « Union des femmes »… Celle-ci se retrouve, durant la terrible répression du printemps 1871, cachée dans un couvent par un jardinier qu’elle remercie en lui faisant l’amour. Au cours d’aventures reflétant la réalité du temps, misère des courtisanes populaires et noyade des communards dans le sang, elle sera conduite par la sœur supérieure à faire état sur elle de son savoir particulier acquis en maison, ce qui la fait agréer pour devenir sœur Visitandine… On l’aura compris, l’auteur ne s’abandonne pas seulement à la gaudriole mais trace un tableau des mœurs de l’époque, tableau acide comme ceux des anticléricaux classiques, la religieuse allant faire état d’ : « une mystique tendance sardanapalesque, amoureuse frustrée comme tant de bondieusards », tableau lucide aussi à la manière d’un Victor Hugo, Les Misérables étant d’ailleurs cité. J’ajoute que l’écriture, teintée parfois d’une pointe de vocabulaire d’alors, respecte l’érotisme en lui conférant correction et même beauté sans oublier quelques onces d’humour : « le berlingot en folie, j’en tremble, de toutes les parcelles de mon corps »… « Soudain sa tête bascule, elle a atteint le point culminant de la grâce » On n’oublie pas, bien sûr, de citer la chanson Le temps des cerises : « Et le souvenir que je garde au cœur. » Un vrai plaisir !
* Pour consulter le catalogue des titres mis à disposition taper sur votre moteur de recherche : Skaediteur.net

OBIONE Max, Gun, éditions Krakoen.

J’ai tout aimé de ce petit livre, sauf le titre (pourquoi pas Flingue ?). Une « écriture canaille » pour servir son héros : canaille au grand cœur. Pas le pastiche obligé des grands nord américains grossièrement traduits ! Non, l’esprit et parfois la lettre des truands de Paname, pour dire le génie d’une vie et de sa langue : « Ginette, c’est ma gagneuse, un béguin à douze piges ça laisse des sentiments. Elle aussi elle en pince pour mézigue depuis la communale à Rocroi. » Un mac déjà bien mûr emballe une jeunette qui vient de l’Est. Histoire peut-être banale (« elle avait la dalle ») mais aussi métaphorique du choc des générations. Car de nouveaux trafiquants de chair vont faire payer une note salée à l’ancien. Au-delà du drame commun du héros devenu pépé, formulé avec hauteur de la dérision : « c’est pas toujours le drapeau en haut du poteau », un tableau simple et juste : « en période de chomedû, il y avait des radasses, des indépendantes qui cassaient le marché de la chair ». Pas de moralité ni de nihilisme forcé, une note complice, plutôt : « Ici on baise sans honte, on soulage la misère tout court, le veuf, le reubeuh, le crépu, le malbâti et j’en passe ». Et nuance, l’auteur libertaire n’oublie pas de nommer le responsable, non sans une touche d’humour : « J’étais victime du capitalisme sauvage, d’une OPA hyper hostile de la part de bandits, d’anciens cocos de l’Est. » C’est ma première lecture d’Obione. Pas la dernière sans doute. Qui croit la nouvelle genre mineur ?

La collection « Petit Noir » (une nouvelle par petit livre à 2, 80€) compte déjà une dizaine d’opuscules avec des signatures amies : Desaubry, Blocier et Membribe, et des talents comme Noce. Elle mérite amplement d’être lue et encouragée, d’autant que les éditions Krakoen changent de statut en passant la vitesse supérieure.

NOZIÈRE Jean-Paul, Un été algérien, roman, éditions Gallimard jeunesse.

Peu enclin à la lecture (et encore moins à l’écriture) de « littérature-jeunesse », concept et réalité flous, il n’y a pas ou bien il y a littérature… j’ai eu envie de lire ce livre réédité. Bien m’en a pris, car l’auteur écrit de ce qu’il sait pour l’avoir personnellement expérimenté comme prof à Sétif, en tant que coopérant*, j’imagine, étant de la même génération. De plus, le locuteur est un jeune algérien qui a pris parti pour l’indépendance – et donc contre la France – ce qui change des éternels regrets de nostalgiques de la colonie et/ou des leçons acides de qui croit tout savoir sans avoir compris grand-chose à la guerre et encore moins à la suite. Voici une histoire entre deux garçons, un fils de colon et le fils d’un ouvrier indigène, à la fois emblématique et réaliste, à la fois fraîche et rude. La toile de fond n’est pas rose, durant cette guerre où les indépendantistes incendient les récoltes et où les militaires offensent, voire violent les jeunes filles, tandis que le racisme ordinaire est la règle dans les familles. Ce qui n’empêche une expérience captivante entre les deux jeunes. Je tire mon chapeau devant l’écriture, à la fois vulgarisatrice d’une situation vécue : « Esclave. J’étais un esclave. Je ne voulais pas travailler dans les champs comme Tayeb, Lakhdar, tous les autres. Je ne voulais pas être vêtu d’oripeaux. Ni de vêtements donnés. Les pantalons de Paul. Je ne voulais pas répéter toute ma vie : « Oui, Monsieur Barine ». Je ne voulais pas. » Et à la fois capable de restituer la force particulière qu’il faut avoir vue pour la dire : «[…] le marché couvert. Lieu répugnant où régnaient les bouchers adipeux et les marchands de volaille roublards. À l’odeur des mèches-mèches** murs succédaient l’exhalaison fade de la mort, les piaillements des poulets hystériques. » Ainsi, plus rarement, que d’exprimer la beauté : « Le ciel, lui aussi, se modifiait. Il n’avait plus la transparence du bleu pur de juillet, mais il était balayé de traînées blanchâtres. » J’offre le livre à mon petit-fils. C’est tout dire.

* professeur (ou technicien) français employé en Algérie après l’indépendance dans le cadre d’une convention issue des accords d’Evian.

* * Abricots (terme pied-noir).

NEGROUCHE Samira : A l’ombre de Grenade, éditions Lettres Char-nues.

Ce recueil de poésie est publié avec le soutien de l’ONDA (Office national des droits d’auteurs et droits voisins). Il s’ouvre sur une citation de Pasolini et se referme sur un long poème en référence à Rimbaud. Tout un programme que des mots pesés et chargés pourraient bien accomplir dans un ouvrage posé aussi à l’ombre de la grande culture d’Al Andalous. Une bonne part du livre est écrite en vers d’une concision extrême où notes vues s’entremêlent aux mots nus. J’y ressens la couleur du sud mais davantage la métaphysique. L’auteur excelle à chanter l’amour de la femme et surtout la douleur de l’aimer : « Je crois la vie injuste à me donner à toi en amour rejeton. » Le dernier texte : « A chacun  sa révolution », a paru d’abord dans J’ai embrassé l’aube d’été, sur les pas d’Arthur Rimbaud chez La Passe du vent. On passe alors au lyrisme, presque à l’épique, pour coller au tarissement du temps : « Leurs villes sont prisons/à la sclérose des fontaines » et surtout à une conscience exacerbée que l’écrivaine veut transmise de Rimbaud en répétant le titre : « Rimbaud m’a dit/A chacun  sa révolution ». Samira est une jeune femme qui déjà possède une expérience du monde puisque elle est également médecin, et fut aussi éditée en France et stagiaire dans le lyonnais pour l’association culturelle et éditoriale Pandora, tandis qu’elle organise des manifestations de poésie à Alger. Tout poète se reconnaîtra en ses mots :
« Rimbaud m’a dit/N’est pas belle la poésie/elle n’est pas toile de salons/les oreilles étroites/la laisseront s’échapper/dans les égouts obscurs/ n’est pas belle la poésie/qui s’arrache de nos chairs. »

NAUDY Michel-Julien, Zone frontière Figueras, Ed. Mare nostrum.

La renommée sudiste de Naudy avait précédé notre rencontre à Fronton. Il s’y était montré tout à la fois pensif et fidèle à son passé d’ouvrier et de militant « gauchiste ». Respect, pour la fidélité ! Et aussi pour l’art de conter que je retrouve avec bonheur dans ce recueil de nouvelles situées dans le triangle : Toulouse-Perpignan-Catalogne, durant les années 70-80. La passion du cinéma se retrouve aussi dans ces trajets traités en road moovies. Les tranches de vie et de pensée d’un homme des années de lutte aussi, tant certains textes exsudent une aventure en fractures dont le passé n’est pas, surtout pas, absent. L’« Histoire de Georges Maury Stern » commence durant la non-intervention lors de la guerre d’Espagne…  Mais pas de grands mots. De petites vies en grands spectacles, plutôt. Tel ancien guérillero revient après l’échec de la Reconquête du Val d’Aran, les mains déchiquetées par une grenade, muni de désespoir et d’obstination : « Maintenant, il faut vivre plus longtemps que Franco. »  Tel autre, ancien résistant, renonce à faire justice à un ancien délateur : « ― C’est lui ? / ― C’est lui, oui. C’est lui et c’est pas lui. C’est un vieux, maintenant. Tout disparaît. » Et quel bonheur, de retrouver une Toulouse, à la faveur de tel ou tel texte où un « héros » regarde au-delà de la rue du Taur. Là où moisissent quelques derniers bouquinistes empêchant sa livraison au tout rénovation du fric, tandis que se dresse la basilique Saint-Sernin. « Elle aussi est faite d’un peu tout : romane, byzantine, arabe de Cordoue. Elle ne sent pas la messe, le sabre et le goupillon comme la cathédrale Saint-Etienne, ou le musée comme les Jacobins, non, elle invite à la rêverie, à la liberté, elle y entraîne le quartier, puis la ville, puis le Midi […] »

MURATET François, Le Pied rouge, Ed. Serpent noir.

Voici un livre qui m’a emballé car il conjugue des qualités rarement réunies : information historique, composition originale, engagement et écriture personnels. On est loin des recettes de best seller ! Le Prix Polar SNCF l’a récompensé à très juste titre à mon sens. Je l’ai relu avec passion pour ce coup de cœur, tant il est plein de sensibilité et en même temps d’enseignements. Dans cette histoire s’entrecroisent comme dans une symphonie un récit majeur et d’autres mineurs. Elle commence de façon à la fois banale et violente, le meurtre d’un père sous les yeux du petit garçon. Et peu à peu, la quête par ce personnage devenu homme éclairera une affaire de règlements de compte qui met en jeu un passé passionnant et passionné, celui de français en Algérie pendant la guerre et au début de l’indépendance, soldats aux destins divers, parfois opposés, tortionnaires et déserteurs, ex-partisans de l’OAS et « Pieds –rouges ». On y apprend (ou confirme), entre autres, que des « Pieds –rouges » participèrent à l’administration et même au pouvoir des premiers temps de l’Algérie indépendante. Et surtout, on suit le trajet d’un homme perdu qui, ayant pour amante (par hasard ?) Nadia, d’origine Maghrébine, va tenter de remonter dans sa mémoire et aussi dans l’imbroglio d’une affaire criminelle et encore dans les arcanes d’un temps de gauchisme militant. Un ancien camarade responsable étant tué tout près du héros en vacances, il va se remémorer et aussi décrypter la vie du dirigeant de l’ex-groupuscule fasciné par le communisme chinois de même que par des méthodes clandestines : « il se souvenait d’une des règles apprises à l’OCP : changer le jour et l’heure en décalant d’une unité, en plus ou en moins. Ne jamais noter le chiffre exact. » Tout ceci écrit avec la douleur humaine, mais aussi avec un certain détachement du dissident et encore avec la beauté de l’amour : « il regarda un moment le grain délicat de sa peau, à l’intérieur de ses cuisses, mis en valeur par la lumière rasante, puis il s’avança pour l’embrasser. Il n’avait pas envie de faire l’amour, juste envie de l’adorer. »

MUNRO Alice, Secrets de polichinelle, nouvelles, Ed. Points.

Munro couronnée du prix Nobel de littérature, j’ai pensé aussitôt à Szymborska, la poétesse polonaise, ou même à Claude Simon, l’auteur de nouveau roman de ma jeunesse, pour lesquels les libraires de l’hexagone ont soudain cherché fébrilement à s’approvisionner… Voici un livre d’écrivain, sensible et cultivée, brossant un tableau du monde et des gens et relatant leurs joies et douleurs, plus que ses propres états d’âme. Livre de femme, aussi, tellement proche de ses protagonistes féminines qu’on se demande si elle n’est pas douée d’une capacité à revivre en elles. Il faut se laisser aller dans cette société canadienne si opaque au premier abord, où l’on entre peu à peu en suivant les trajets, parfois tragiques, quelquefois rocambolesques, toujours violents sous des dehors policés. Les lecteurs ne pourront résister à la sympathie envers ces femmes parfois méprisées, souvent malmenées, toujours mal reconnues, qui pourtant font une vie. La note : « Avoir des enfants vous changeait » ne dit surtout pas si c’est en bien… d’autant qu’elle ajoute : « Le travail, le mariage, ne faisaient pas tout à fait la même chose : ils vous faisaient seulement agir comme si vous aviez oublié certaines choses. » J’avoue que l’homme que je suis est bousculé, atterré même, par les scènes de sexe. À la fois pudiques et très évocatrices, elles disent en général des femmes qui ne prennent pas de plaisir, voire sont violentées, passives pour complaire à l’homme : « tout accepter avec cette faculté secrète, encore et encore. » C’est parfois en limite du supportable pour qui ne passionne guère le masochisme : « les halètements, les grognements, les brimades de maître Stephens, le sifflement de mépris avec lequel il commandait à Mauren de faire ceci ou cela, la façon dont il la pilonnait tout à la fin […] qui témoignaient tout de même avec éloquence, tels des bruits de cabinets, du point extrême où il en était arrivé. » Que cela ne rebute pas ceux qui croient en l’amour. Car la langue est parfois évocatrice d’espoir, nous emportant dans des histoires enivrantes, des aventures parfois confondantes, toujours humaines : « Milicent les vit, lui et Dorie, juchés très haut, sur des éléphants […] « Il vous emmènera partout. Il fera de vous une reine ! ». Un beau petit livre d’une grande auteure.

MURAKAMI Haruki, Au sud de la frontière, à l’est du soleil, Ed. 10-18.

Peu enclin à me passionner pour des livres traduits (les éditeurs gagnent plus sur les traductions qu’ils préfèrent à l’édition d’auteurs français), je me suis laissé tenter par ce roman encensé par Elle il y a une dizaine d’années. L’histoire est banale, un homme qui retourne à son amour de jeunesse, écrite assez platement si la traduction est bonne. Mais elle est traitée avec finesse, sans machisme, avec respect et même culte de la femme énigme pour l’homme. L’obsession qui étreint le héros revêt même parfois une dimension tragique. Pourtant, je suis sidéré qu’on ne rencontre pas la condition des femmes – ou même des hommes – du japon. Il y a bien l’évocation du milieu des affaires, plus ou moins louches comme partout, en la personne du beau-père. Mais nulle indication de décor ou à plus forte raison de culture. Pas de géographie ni d’histoire ! L’aventure eût pu se passer aussi bien en Europe, et pourquoi pas à Paris, dans le quartier de la revue féminine qui déclara : « L’heure est enfin venue de porter l’auteur en triomphe » ? Bizarre, sachant ce que je crois savoir du Japon où l’économie galopait sans doute mais où les employées se prosternent toujours devant le patron ! on dit la culture occidentale prisée chez eux, mais quand même, les références musicales ne renvoient qu’au jazz ou au classique : « Il s’agit de Roméo et Juliette, en fait. Ellington et Strayhorn avaient composé cette musique pour le festival Shakespeare de l’Ontario. » Il est vrai qu’il s’agit ici de classes supérieures, aisées et oisives. Ceci dit, je n’ai pu refermer le livre avant la fin, tant est tendu le récit, entre petits événements et grands états d’âme, ceux d’un homme entre deux âges, déchiré entre son foyer et ses rêves, fantasmant dans une passion étrange et généreuse pour une fille boiteuse et peu jolie de son enfance. Je vous en conseille quand même la lecture pour quelques jolies notes : « Deux corbeaux […] jetaient un cri dur et perçant pareil à un reproche dont l’écho se répandait comme un frisson glacé » et aussi pour la fascination de l’érotisme féminin libéré : « Elle prit alors mon sexe dans sa main gauche et se mit à le lécher. Ensuite elle glissa son autre main sous sa jupe. » Enfin pour l’humanité et la sensibilité du héros : « Pourtant, depuis que Shimamoto-San avait disparu, j’avais l’impression de vivre sur la lune, privé d’oxygène. »

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