Ecrivain

Catégorie : Coups de coeur et lectures (Page 9 of 17)

MOSCONI Patrick, Seule la lie de ces caves, Ed. Le Temps qu’il fait.

Rencontré au salon de La Ferté sous Jouarre, Patrick m’apparut vite en aventurier vrai, de ceux qui ont du cœur. L’homme fut bien en place dans l’édition où, sauf erreur, il découvrit rien moins que Raynal, Pouy, Jonquet… fondant à ce qu’on dit le « néo-polar ». Il fut également scénariste et auteur. Mais il tranche dans le milieu prévisible de l’édition. Ni tâcheron commercial, ni courtisan campant au quartier latin. Emule et héritier de Guy Debord, si j’ai bien compris, il accomplit des virées vers les indiens, tout sauf touristiques*. Car l’homme qui écrit aussi pour la jeunesse a du ventre. Il n’écrit pas pour passer le temps. Pas de sang et de noir à la mode. Des livres courts, coupants, comme des cris. Des livres aussi en hommage, en héritage, à Jonquet, Debord, et autres. En mémoire et défense des indiens, surtout. Même des « indiens » d’ici que sont les SDF. Seule la lie de ces caves, outre l’art du titre, nous emporte dans une histoire banale et hors limites. D’abord un prologue où un gamin est enlevé… Banalité sublimée : « Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. » Quand un journaliste cherche un trafic de drogue, il trouve une « femme défaite ». Au lieu de traiter un « papier », il se met à la voir et à l’abreuver. Comme elle est lourde, la vie jouée alors. Et comme elle est épaisse, l’écriture chargée qui la rend : « Montcorbier ne peut s’empêcher de se demander si le policier fatigué est de la race de ceux qui raflent au Vel’d’hiv et jettent en octobre des cadavres dans la Seine. »  Je parlais d’un homme de cœur. Il faut dire aussi homme d’écriture. Une patte personnelle, à la fois dessinée et tranchée, pour des tableaux à vif : « Elle boit, et lui cherche à s’insinuer derrière ces yeux qui disent le néant. / Lui qui cherche à comprendre pourquoi il se trouve là. / Elle qui hurle en silence. » Pour finir, le flic clément lui apprendra qu’elle est « femme défaite »… depuis l’enlèvement de son fils. Un beau livre.

* Dont L’Agonie de Geronimo, Jean-Paul Rocher éditeur.

MORALI Laure, Orange sanguine, Ed. La Passe du vent (poésie).

« L’écriture est le seul pays que je connaisse où il fait bon se sentir étranger. » Telle est la formule liminaire de ces textes où l’auteur, née à Lyon, avec des ancêtres en Algérie, vécut son enfance en Bretagne et vit au Canada quand elle ne réside pas en France, en Haïti ou ailleurs. Mais tout en étant étrangère, elle est aussi autochtone du monde, de la nature où elle semble vraiment chez elle parmi la neige, les arbres et les lacs, les outardes et les papillons. Ce livre est un recueil de textes pour la plupart écrits en résidence à Vénissieux début 2014. C’est une sorte de partition composée d’une alliance de courts poèmes dans l’esprit du haïku japonais et de « longs poèmes narratifs épousant la route » et structuré en huit parties introduites par des haïkus de Kerouac à Michaux en passant par Bashô… Je laisse l’écriture à la poétesse Laure et à ses haïkus : « Rougeoyant papillon / Retourne à la feuille / Blotti contre moi / La nuit », « Papillon / Orange sombre / Du soleil » ou extraits de plus longs textes : « Mais ce matin / Ma propre respiration / M’apparaît comme un miracle », « Parfois / De rares fois / Le temps des rêves / Et celui de leur entrée / Dans la matière ne font qu’un ». Thierry Renard, éditeur de ce recueil, lui-même poète est également animateur de l’Espace Pandora qui insuffle depuis Vénissieux sa vitalité poétique à Lyon et en Rhône-Alpes. Dans l’entretien qui clôt cette édition, il assure : « Toi, on a l’impression que cette chose [la nostalgie] elle est devant. Tu n’as pas un poids. On te sent légère. » À lire pour se revigorer et aimer la poésie ainsi qu’elle le mérite.

MONTALBAN (Vázquez-Montalban) Manuel, L’Homme de ma vie, Ed. Points Seuil.

Montalban, à la saveur sans pareille, cuisine ses livres en Espagne, pas celle des touristes mais la sociale. Il inventa en sus (ou su en hériter) un genre de polar latin « réflexif ». Il fallait le faire, dans un petit monde où l’hégémonie du polar yankee est cultivée même par les anciens « gauchos » ! Parmi la dizaine de livres de lui que j’ai goûtés, celui-ci n’est peut-être pas le plus magistral, mais le plus émouvant. Le dernier publié de son vivant (sauf erreur), il renvoie, comme une boucle à boucler, à Les Mers du sud, un de ses premiers. Pepe Carvalho, est chargé d’un service de renseignements pour un secret réseau européen qui sent le virage à droite très serré. Sa Charo (incarnation de la femme fantasmée : splendeur, prostituée, aimante et disponible mais majeure et indépendante), s’est éloignée. Le voici harcelé consentant par une ancienne amour qui lui envoie de longs et brûlants fax. De quoi se retourner sur le temps et sa résultante, depuis Les Mers du sud où cette Yes l’avait séduit plus de vingt ans auparavant. Où l’on voit que le polar européen n’a rien à envier à l’existentialisme d’un Ellroy, ni même à la littérature dite blanche, prisée au quartier latin. Quant à la peinture de la cité, Barcelone est élevée au rang de décor fétiche, autant que Chicago, N.-Y. ou L.-A…. et même que Paris ! Il existe un circuit des « restaurants de Manuel » dans le « quartier gothique ». Il n’empêche qu’elle est brocardée après les J.O. : « en s’efforçant de faire une relecture de Barcelone, de se réconcilier avec sa décision de devenir une ville pasteurisée en odeur de gambas de toutes les fritures dégorgeant de la métastase de restaurants qui avaient envahi la Ville Olympique […] Toutes les métaphores de la ville étaient devenues inutilisables. » La métaphore et la parabole, sont pourtant mets et crus favoris de ce gros buveur et mangeur, tandis que l’écriture minimale anglo-saxone se fait maigrir en carême. Et que le héros brûle des livres, Henri Lefebvre cette fois, qui « a découvert très tard le rôle du quotidien au regard de l’histoire »… Bien belle histoire d’amour ou de solitude, au locuteur ballotté entre attirance et répulsion pour la Femme, l’Autre… Il n’écrit pas pour passer le temps : « Tes silences mêmes sont langage. Il faut, pour te connaître, connaître l’ensemble de ta vie, et alors on te connaît complètement ; c’est comme un  jeu magique dans lequel tu te recomposes avec chacune des pièces […] »

MONDOLONI Jacques, jeteveux.com, nouvelles, éd. Le Temps des cerises.

Peu d’éditeurs français se risquent à éditer des nouvelles. Le Temps des cerises a même fait mieux, il a mis « la nouvelle à l’honneur » en publiant des textes courts de contemporains : Patrick Besson, Roger Bordier, etc. et de classiques : Gorki, Desnos… L’éditeur diffuse aussi une toute petite gazette où, à côté d’éloges de la nouvelle, on peut lire une belle historiette de Desnos. L’écriture de Mondoloni me rappelle certaine presse soixante-huitarde, tant elle fleure l’instantané et le sincère. Pour le meilleur, elle croque des instants vrais de notre vie si déboussolée, éperdue parfois : « Sa vie pouvait s’organiser autour de l’esquive […] » Textes courts pour brèves rencontres. Ce qui n’exclut pas la profondeur : « Qui a dit qu’avant d’aimer une femme il faudrait connaître son passé ? ». Ni l’humour, quand le « nègre » d’un homme politique est en délicatesse avec lui : « Je suis devenu le nègre, la bête noire qui lui rappelle qu’il n’est pas l’auteur […] ». Ni même quelque désinvolture dans de brèves fictions expédiées en guise de vœux annuels, telle « Christmas pudding » où le tueur est guidé par « l’odeur lourde du pudding qui colle à la rue, l’odeur de la graisse de rognon, de cognac ou de bière brune qui s’échappe par les fenêtres grandes ouvertes. » Le texte le plus poignant pour un auteur est évidemment Le Nègre et le Blanc. J’ai aimé aussi la nouvelle qui donne son titre au livre : jeteveux.com. Un peu mode peut-être, cette histoire de communication érotique et pornographique par Internet ! Mais justement, quel désarroi, et quelle justesse, à s’apercevoir que dans cette « com » si efficace, croît-on, l’on reste profondément berné ! Sans oublier l’autodérision du nègre qui sait écrire avec « ellipse digne de Flaubert ». Un ouvrage offrant de bons moments, avec un avantage du texte court : multiplier le plaisir.

MIMOUNI Rachid, Une peine à vivre, Ed. Stock.

Roman prémonitoire qui date déjà de vingt ans. Y est contée l’ascension puis la solitude d’un dictateur d’une lignée où l’on se succède assez vite par coups d’état militaires, comme dans la patrie de l’auteur algérien. Celui-ci mourut réfugié en France, assez jeune. Prémonition encore que le temps si court dans ce roman ? Je n’ai pas toujours été emballé par l’écriture, description de mécanismes d’oppression systématique jusqu’à la fantasmagorie. Moins emballé, en tout cas, que dans Le Fleuve détourné. Mais cette écriture hallucinée peut captiver le lecteur dans un tableau de la folie d’un héros ambitieux : « Notre armée n’est pas destinée à se battre contre une autre armée. Les maréchalissimes qui dirigent les pays voisins ont la même conception que la mienne. » Force du simple constat. « … rien de plus immonde que le pouvoir. C’est la perversité absolue, le mal intégral, la vilenie pure, l’horreur au quotidien, la pire des calamités. » Aussi la prise de position. Et même prédiction : « Qui peut prédire ce que nous réservera demain ? Tout change. Des armées réputées invincibles se retrouvent défaites par une poignée d’amateurs barbus mais obstinés. […] Les régimes connus pour être les plus stables se font balayer en quelques heures. » Pourtant, limiter le livre à cela serait n’en lire que la surface. Car il y a la 3è D : le drame du protagoniste envers celle qu’il aime, la condition de l’homme tout puissant sauf face à la femme. Regard assez perçant au sud de la mer pour passer outre la condition féminine locale et atteindre à une tendance universelle : « Dans les yeux d’un homme, une femme n’y cherche que son reflet. » Et retrouver la grande culture amoureuse héritée de l’érotique arabe et troubadouresque : la Dame peut être visée suprême : « Cette fille représentait pour moi un don du ciel qui cumulait toutes les revanches ». À noter toutefois qu’il s’agit ici d’une top model à la fois intellectuelle… et calquée sur les modèles européens ! Mimouni fut de la génération ayant précédé celle des auteurs algériens actuels, si nombreux, si talentueux et si reconnus en France. Il fut aussi l’un des  écrivains des plus primés. Curieuse algérophilie sous l’algérophobie hexagonale ! La fin du livre évoque l’art de fomenter un vote « démocratique » élisant le dictateur successeur…

MERAHI Youcef, Je brûlerai la mer, roman, Casbah Éditions.

Ce livre édité en Algérie, œuvre d’un poète algérien, Secrétaire général du Haut commissariat à l’Amazighité (berbérité), est intitulé « roman ». Je l’ai lu plutôt comme une série de scénettes de la vie algérienne actuelle, écrites avec tendresse et acidité à la fois, non sans profondeur: « Quel est donc ce peuple qui ne chante plus son pays ? » « … il y a bien trente six millions de frères et de sœurs. Voilà donc une nation bâtie sur un immémorial inceste. Si c’est le cas, je comprends le côté mongolien de l’Algérie. Il y aurait donc le phénomène de consanguinité qui nous mine tous et toutes. » Il est question des tares et trésors de cette société où des personnages survivent dans la débrouille et le désespoir, non sans amour, même s’il est parfois triste : « l’amour se fait comme si on a honte et dans l’utérus de nos femmes se perpétuent nos fatigues de la journée.» Un des personnages finira par mettre à exécution son rêve de « brûler » la mer, mais, « harraga » plutôt dorés, au lieu de s’embarquer sur un frêle esquif, il partira en avion à Paris. Une face de l’Algérie que nous sommes loin de deviner de ce côté-ci du Grand fleuve. Non plus l’image d’Épinal d’un pays terrorisé, encore moins celle d’une terre écrasée d’islamisme. On y découvre même l’existence d’une « fleur du mal », une fille sortie d’un catalogue de mode, exerçant une charge élevée dans l’administration et renversant la domination masculine. Un bon livre à lire si l’on tâche de se le procurer…

MEMBRIBE Franck, À la poursuite du masque d’Odor, Ed. Rouge Safran.

J’avais beaucoup aimé Ultime tercio à Salamanque* de cet auteur qui venait de découvrir ses origines espagnoles et en fit un roman de règlements de compte et d’amour… et de mémoire recouvrée dans une région d’Espagne bien « propre », nettoyée de tout souvenir gênant. J’ai acheté à Franck le titre ci-dessus (car j’achète les livres de mes pairs ! ), roman pour enfants que je destine à mon petit fils. Je viens de le lire, avec la bonne surprise d’y trouver non pas une « littérature » rabaissée au niveau enfantin comme il en est trop souvent, mais de la littérature tout court. Bien ficelée, l’intrigue donnera aux jeunes l’envie de suivre les deux héros sur les traces d’un trésor convoité par des malandrins. Bien documentée, l’histoire apprendra des tas de choses sur l’Histoire. Bien didactique (les termes difficiles sont expliqués en notes), le propos devrait être suivi sans peine par des jeunes de l’âge d’Alex et Alioune (en 6è de collège). Bien écrit, par-dessus le marché :
« C’est si rare que la mer se taise, retienne ses vagues pour se faire miroir d’un ciel chargé. Alex se sent comme dans l’œil d’un cyclone […] (note en bas de page : « L’œil du cyclone est la zone de calme qui se trouve en son centre »).
Les noms de famille des protagonistes (Sagakis et M’Bangue) et leur lieu de vie (Port-de-Bouc) ajoutent une touche de réalisme sympathique et non xénophobe. Je compte bien que mon petit-fils sera passionné et je vous conseille d’acheter aussi ce petit livre à vos enfants ou petits enfants pour une lecture de vacances.


* Ed. Mare nostrum.

MAUPASSANT Guy, Bel ami, Ed. Pocket.

J’ai lu in extenso ce grand classique et ce avec délice. Du coup, je fais exception en chroniquant un deuxième livre en prose du même auteur. Le premier est un petit recueil de nouvelles, genre à encourager ainsi que la poésie puisque le sacro-saint marché ne l’avantage pas. J’avais déjà lu pas mal de nouvelles et des romans comme Mont Auriol, mais seulement vu le film adapté de ce Bel ami. Belle leçon de littérature où tant de qualités sont réunies, à commencer par une documentation fournie sur les milieux affairistes et politiques mêlés du Paris du XIXème siècle. Sont brocardés entre autres les ministres et leurs affidés qui s’enrichissent énormément dans un délit d’initiés. Ce passé un peu lointain a un étrange parfum d’actualité… La qualité de l’écriture de ce roman paru en feuilleton n’est pas la moindre, parfois teintée de romantisme : « et il entendait une rumeur confuse, immense, continue, faite de bruits innombrables et différents […] le souffle de Paris respirant, dans cette nuit d’été, comme un colosse épuisé de fatigue. » Monde bourgeois que l’auteur connaissait et dévoilait bien en montrant des hommes avides de pouvoir et de richesse et des femmes privées de droits politiques mais intriguant dans l’ombre des alcôves. Quant à l’évocation des moments d’amour, elle est souvent estompée, le sujet étant plus souvent l’ambition où l’amour n’est hélas qu’un alibi. Pourtant, l’art de l’auteur laisse quelques moments bien forts : « Ce fut un très long baiser, muet et profond, puis un sursaut, une brusque et folle étreinte, une courte lutte essoufflée, un accouplement violent et maladroit. » Et même des moments ambigus, émouvants ou dérisoires, comme quand la femme mûre et « honnête » séduite croit devoir dire : « Je vous jure… que je n’ai jamais eu d’amant », tandis que le narrateur ajoute : « Comme une jeune fille aurait dit : – Je vous jure que je suis vierge. » Il y a peu d’optimisme dans tout cela mais beaucoup de lucidité, surtout quand un vieux poète résume l’arrivisme : « Tant qu’on monte, on regarde le sommet et on se sent heureux ; mais lorsqu’on arrive en haut, on aperçoit tout d’un coup la descente, et la fin qui est la mort. » Voici un panorama édifiant de la haute société française du siècle suivant la Révolution, où l’argent remplace toutes valeurs, et à la fois une peinture très sensible. L’auteur masculin est aussi sensible à la féminité. J’ai retrouvé ici la longue ascension intérieure féminine vers l’explosion sensuelle déjà en œuvre dans Mont-Oriol. Cette féminité qui, se cherchant tout en maintenant l’amour, peut faire le bonheur de l’homme ou bien son malheur. Autre actualité…

MAUPASSANT Guy, Les Caresses, nouvelles, Ed. La Part commune.

Ce livre est un bijou de tout petit format rassemblant trois nouvelles parmi plus de trois cents de l’auteur. Maître en la matière, Maupassant donne chaque fois un plaisir renouvelé, celui de l’écrivain qui privilégie parfois le noir, fantastique ou réaliste, mais aussi excelle dans le tableau social vivant tracé d’une écriture apparemment effacée. Ici, le premier texte (qui donne son titre à l’ensemble) est fait de deux lettres, dont l’une est censée être de la main d’une dame pudibonde et l’autre, signée « Henri », lui répond en vantant les plaisirs et bonheurs de la chair. Dans cette situation toute banale on mesure alors combien l’écrivain est davantage qu’un viveur plus ou moins débauché, même bien plus qu’un peintre de la société. Lui qui écrit dans la presse et lit les philosophes, il conteste aussi la morale conservatrice, en l’espèce ici celle du rejet des sens. Car cette morale sent à plein nez la bondieuserie défendue par les réactionnaires qui fusillèrent les Communards peu avant. L’argumentation s’ouvre sur une citation de Musset : « Je me souviens encore de ces spasmes terribles […] / S’ils ne sont pas divins, ces moments sont horribles. » On comprend bien quel est le choix de l’auteur. « L’amour c’est pas la gymnastique », chantait Jean Ferrat. « La caresse, Madame, c’est l’épreuve de l’amour. Quand notre ardeur s’éteint après l’étreinte, nous nous étions trompés. Quand elle grandit nous nous aimions. » « Les femmes caressées à satiété n’ont besoin de rien, ne désirent rien, ne regrettent rien. » Joli programme, non ? Un tantinet machiste, peut-être, quoique… Prenez quelques instants à lire cela pour un peu de bonheur.

MARTEIL Jean-Louis, La Chair de la Salamandre, La Louve éditions.

Après avoir publié ailleurs plusieurs ouvrages, l’auteur réédite chez la Louve ce beau roman historique. L’affaire se passe à Cahors en 1221. Un usurier, sa famille et ses proches se trouvent entraînés dans une tragédie où tuent successivement chacun des quatre éléments, à commencer par le vent. « Mais qui est le vent ? » Les éléments se révèleront évidemment tenus par une main et surtout une tête. On vit à l’heure (sonnée par les prières : « matine, prime, etc. ») en un temps et un lieu bien connus de l’écrivain, quelquefois très enclin à décliner ses connaissances. Mais il parvient à nous plonger en ce monde avec ses décors : «  Au bas du Pech de Magne, la boucle de l’Olt enserrait Cahors, se glissait entre les collines, en léchait le pied », ses clairs obscurs : « Bientôt d’autres lueurs, celles des hautes torchères du port, remplaceraient ces lucioles fugitives [les éphémères ] »  et aussi ses odeurs, comme celle d’un héros tombé à l’eau et puant le poisson pourri… Avec surtout ses lois étranges et sauvages, ses crimes enfin. On découvrira peu à peu des rapports affectifs en fait assez modernes, pour ne pas dire psychanalytiques. L’intérêt du livre, outre une histoire bien conduite, c’est de voir vivre et aimer (et aussi crever) ces gens d’un autre temps mais du même monde que le nôtre, usuriers et banquiers tenant le haut du pavé. Pas de prétendu puritanisme en une époque et un lieu qui ne pouvaient connaître ni Calvin ni Victoria : «  Ils firent l’amour… Avec fureur, comme pour arracher un éclat de lumière à cette nuit des âmes […] ils se fouillèrent, se touchèrent, s’aimèrent ». Belle lecture de vacances !

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