Ecrivain

Catégorie : Réactions aux actualités (Page 1 of 11)

UNE FEMME TOTALE ?

Quand Marx prévoyait l’avènement d’un « homme total », être plein de savoirs et pouvoirs, il avançait sans doute trop vite dans le temps. Mais on se demande s’il avançait tellement, à voir la vie « totale » de certaine femme. Ainsi celle de Madeleine Riffaud. Morte tout récemment à cent ans, elle a conjugué tant de qualités : résistante, écrivain, journaliste et correspondante de guerre, elle était aussi poète, proche de Paul Eluard qui édita ses œuvres poétiques, mais aussi de Louis Aragon.

Connue surtout pour ses reportages, elle a publié entre autres : Les Linges de la nuit, prenant récit d’une expérience de fille de salle à l’hôpital, elle a vécu une vieillesse étonnamment lucide quoique devenue aveugle. Elle fut scénariste à 97 ans d’une BD réalisée sur ses exploits : Madeleine, résistante. Parmi ces hauts-faits, l’assassinat à 19 ans d’un officier allemand en plein jour sur le pont de Solférino. Et elle ne manquait même pas d’humour. Je me souviens qu’un jour, en conférence à Toulouse durant la guerre du Viet-nam contre les USA, à qui s’étonnait qu’elle ait pu vivre sous les tapis de bombes, elle rétorquait : « Dans la forêt il y a beaucoup d’oiseaux, mais c’est rare que l’un d’eux chie juste sur vous ! » Autre qualité qui résume les autres, c’était une femme insoumise qui épousa un poète vietnamien, en contradiction avec la loi locale à ce moment ainsi qu’avec l’idéologie dominante en France, l’ex-pays colonisateur non dénué de racisme.
Madeleine, s’il existe un paradis quelque part, nul doute que, dans un parterre de fleurs de lotus, tu dois t’y trouver insoumise à ses lois !

VIVE LE PERE UBU !


Passé le moment de n’y pas croire, je me rends à l’évidence, on vit en le royaume du Père Ubu. Après des élections, un gouvernement à l’encontre du choix des électeurs. Une ministre de l’Education ignorante, une ministre de la Culture inculte et qui le signe, et les maroquins à un cortège de jeunes loups aux dents plus longues que les idées, ainsi qu’à de vieux chevaux de retour. Tout cela pour quoi ? A qui réclamait justice et prospérité, répondre austérité et partialité
. Comme si cela ne suffisait pas, il est de bon ton de vanter la guerre et de dépenser pour elle ! Ou encore d’affirmer qu’il ne faut pas vendre d’armes tout en le faisant. Je viens de lire L’Exil et le royaume, un recueil de nouvelles de Camus où il est souvent question d’absurde. Quand est-ce que je cauchemarde, dans le livre ou dans la vie ? De quoi s’écrier comme Alfred Jarry : « Hourra, cornes au cul, vive le Père Ubu ! »

Que faire cet été ?

Lire La Nouvelle Amazonie, par Patrick De Meerleer, roman aux Editions Lazare et Capucine. Vue une longue et étrange liste de personnages précédant le texte, on y entre avec quelque inquiétude, très vite oubliée dans la suite haletante du trajet d’une protagoniste dominant la première moitié du livre. C’est une jeune femme élancée, résistante et ascétique qui se révélera très volontaire quoique aussi très humaine. Elle rencontre des bûcherons, lesquels, tout en ne la menaçant pas, lui causent les craintes féminines que l’on sait face aux mâles toujours risquant de déraper. Cette jeune femme apparaîtra l’opposé d’un autre personnage mâle et âgé qu’elle recherche et qui pourrait un peu ressembler à l’auteur. Car l’écrivain est lui-même âgé et aux prises avec des questions existentielles (il vient de publier un livre sur sa fille disparue dramatiquement). Histoire de père à fille donc ? Sans doute, vus les questionnements réciproques. Mais c’est beaucoup plus complexe car cela se déroule au 22e siècle après une transformation du monde dont on ne possède pas l’explication, sinon à la toute fin du récit. En réaction à un cataclysme qui aurait vu la destruction d’une civilisation technologique, la nouvelle civilisation s’est récupérée dans une proximité de la nature et un ordre dominé par les femmes, ces fameuses Amazones. Car l’humanité se retrouve fortement influencée par la culture amérindienne, ce qui explique les surnoms des personnages comme la jeune femme appelée Longues-jambes. L’auteur a pensé opportunément aux indiens en tant que contre-culture. Venant d’ailleurs, il ne pouvait recourir aux Occitans, ces derniers des Mohicans de la France. Il émaille son propos d’étonnantes déclinaisons de noms et qualités d’une multitude de plantes. Connaissances en choses et sciences naturelles que j’explique par ses études mais aussi son origine chez les « bounhoumes » (paysans sans terre en Bourbonnais). « Ils les élèvent comme leurs propres enfants » écrit-il des plantes et animaux par les paysans. Ce roman dystopique, encore un, vient fort à propos en imaginant un dérapage du monde qui toujours nous menace comme l’épée de Damoclès et en proposant sinon un autre modèle du moins un état possible. De plus, l’imagination d’une domination féminine, qui se retrouve dans bien d’autres livres, est pour paraphraser Marx et Engels, un spectre qui hante aujourd’hui le monde. L’ensemble est conté en nouveau calendrier daté d’avant et après le début de l’ère amazonienne (2121). Bien des auteurs procèdent de même dans d’autres récits aussi dystopiques, témoignant de l’inquiétude et des réflexions actuelles. Étrange comme les esprits se rencontrent, d’autres (dont moi-même) rêvent aussi d’un salut au-dessus de la mêlée en montagne ! Il y a dans ce livre beaucoup d’explications qui pourraient être éludées, à mon sens faiblesses et envers de la médaille très informée, défaut… du « jeune » romancier. Qu’on se rassure, l’ensemble ne lasse pas grâce à la sincérité, la générosité et la finesse des sentiments. L’auteur n’est pas un faiseur, il joue sa peau. Il y a de quoi laisser le lecteur pensif de présent et avenir et aussi de quoi l’enchanter par l’évocation de bonheurs quand même possibles comme « parler aux abeilles » afin de conjurer le sort.

LE CIEL EST CHARGÉ…

Oui, le ciel est chargé de nuages de plomb. Tempête et déluge menacent. Et bizarrement, on crie peu, anesthésié. Englué sans voir qu’il fait beau quelque part.

La « gauche » que l’on crut à sa dernière extrémité, dont les médias chantaient l’extrême onction, renaît de ses cendres. Des candidats uniques pour un programme précis et complet. À peine sorti des algarades intestines, on n’ose y croire…
Mais qu’est-ce que vivre ? Sûrement pas laisser faire quand se rouvrent les serres de la bête immonde. Sûrement pas laisser flamber les prix, bloquer son SMIG ou sa retraite, déglinguer la planète, jouer à la guerre ? Sûrement pas laisser vendre le pays.

Qui peut sans sursaut jeûner devant des oncles Picsous qui s’engraissent ? Qui a sérieusement la trouille de quelques potes immigrés ? Qui veut encore survivre sans redresser la tête ?

Français, encore un effort pour être républicains !

MEMOIRE AU FUTUR :

Chien 51, roman de Laurent GAUDE (Ed. Actes sud) :

Le héros vient d’une Grèce en faillite et carrément achetée par un grand consortium. Il se retrouve dans un monde non seulement au climat déglingué sous des pluies acides et dans la chaleur écrasante, mais encore mis en coupe réglée et policée, où il tâche d’évoluer entre des castes, grâce à son laisser-passer de flic. Image terrible d’un policier humain trop humain, non pas alcoolique mais accro à une substance qui lui permet d’oublier le présent justement en retrouvant la mémoire de sa Grèce natale. C’est un polar « social » comme la littérature française contemporaine en a le secret, même si ce n’est pas l’exclusivité. Car voici encore un roman dystopique, tant l’actualité rend de nos jours les auteurs inquiets et pessimistes. Il ne s’agit plus ici, comme c’est le cas dans pas mal de polars, de crimes sous-jacents à une société prétendue sinon rose, du moins juste. Mais tout se déroule dans un monde futur, le nôtre qui aura viré au plus noir.

L’auteur est habile et sait émouvoir. On le sait de Gaudé, depuis son prix Goncourt. En vérité, ce n’est pas un enfant terrible de la littérature comme pas mal de « polardeux », mais plutôt un bon élève qui, après avoir fréquenté l’École alsacienne, formatrice d’une élite (et qui vient de défrayer la chronique), accomplit des études universitaires puis produisit pour le théâtre avec un succès renouvelé jusqu’au festival d’Avignon. Enfin il écrivit des romans avec un succès très rapide au début des années 2000, sachant qu’à 30 ans on est un « tout jeune auteur ». Passion et réalisme, cet écrivain continue à produire pour le théâtre avec des textes lus et mis en scène.

Avec ce livre, nous voici donc plongés dans un univers où des régions entières sont propriétés privées, administrées et policées par des sociétés commerciales et où des villes sont partagées en quartiers très différents selon la classe qui habite chacun d’eux. Quoi d’étonnant si une femme y domine puissamment le héros toujours macho, ce dans une relation bien sûr ambiguë ? La police (des « chiens »), plus proche d’une mafia au service d’une politique que d’une cohorte militante au service de la morale, est évidemment évoquée dans ses circonvolutions retorses provoquant tromperies réciproques et aveux des prévenus. Ces doubles langages, ou plutôt subornations mutuelles ont quelque chose de très actuel si l’on pense aux discours fallacieux des « informateurs », voire « influenceurs » se trompant les uns les autres dans notre monde présent. L’auteur aborde aussi le rôle fondamental d’une mémoire, sans peut-être pousser jusqu’au bout la question de son contrôle, sa propriété. Pour finir, on rencontre dans ces pages quelques questions fortes qui se poseraient :

« Est-ce que c’est moi qui ai quitté le monde ou lui qui s’est éloigné ? » « Est-ce qu’elle [l’héroïne] a fait le même trajet de la trahison, le même voyage du renoncement à ce en quoi ils croyaient ? » D’écriture « plate », conforme aux canons en vigueur outre-atlantique, à mon sens plutôt banale, cette aventure d’anticipation est à lire plutôt que bien d’autres choses vaines. Et tant pis si elle dérange ce que Kant appelait un « sommeil dogmatique ».

LA MALADIE DU SHOWBIZ

Parler de « livre de journaliste » n’est en général pas très laudatif. C’est pourtant le contraire pour un roman (Comme une chanson, roman, Ed. Arcane 17) extrêmement informé, voire docte en matière de chanson française, lequel égrène une foule de noms d’interprètes de ces dernières décennies ainsi que des arcanes (sans rapport avec son éditeur) de la technique, de la production et de la distribution. Il collectionne enfin les titres et les extraits de textes avec leurs références. C’est d’ailleurs le plus prenant pour moi de cette érudition, que les citations expriment la profonde sensibilité et la grande culture de l’auteur.

Cette aventure contée, qui pourrait bien avoir été vécue au moins en partie par le narrateur, est la banale course poursuite du succès d’un artiste en son âme mais qui tente longtemps de crever l’écran des obstacles du système sans jamais y parvenir. Le chanteur en herbe qui se raconte est un jeune comme d’autres, tâchant courageusement de « percer » en sa « Province », comme on dit à Paris. En fait, il n’a même pas accès d’emblée aux bons studios toulousains et court l’aventure dans des bleds voisins dont les producteurs ne parviennent même pas à mémoriser le nom. Or, il va tomber dans les rets d’un ami qui tâche lui aussi d’arriver en tant qu’agent et… ils vont bagarrer et malheureusement perdre tous deux.

Combien de chanteurs, d’écrivains, de cinéastes ou de peintres, voire de comédiens, pour ne citer que ces corps de métiers artistiques, qui se résolvent à exercer un autre emploi au bout d’un perdant parcours du combattant ? Reste à se consoler avec une philosophie de résilience comme fait l’auteur en dernière page dans une dernière occurrence de la citation : « Il fait beau, il fait bon / La vie coule comme une chanson ». Bien triste consolation quand on a travaillé d’arrache-pied et sacrifié des pans entiers de la vie pour tenter l’aventure : « J’irai au bout de mes rêves / Tout au bout de mes rêves / Quand la raison s’achève… » comme chantait Jean-Jacques Goldman longuement évoqué dans l’histoire.

Car cette histoire qui commence comme un hommage à un ami défunt est aussi et surtout écrite comme personnelle : « je pleure sur toute une époque, je pleure sur moi-même… » Parfois écrit avec quelque aigreur, c’est conté non sans tenter le recul de l’ironie et même du trait d’esprit, voire de la charge qui cherche à se blinder contre les faits. C’est pourtant souvent haletant, quelquefois dans la douleur : « Elle court elle court ; la maladie du showbiz… les mots dans cet univers absurde n’ont pas la moindre valeur mais ils causent un mal de chien. » De quoi perdre ses illusions et peut-être redescendre de ses rêves – et de quoi en apprendre sur cet univers, si présent et si prenant en France où tout finit, paraît-il, par des chansons.

Un Goncourt « anormal » :

LE TELLIER, L’Anomalie, roman, Gallimard Ed.

Ayant assisté par hasard à une présentation par l’auteur à Céret, j’ai repris une note que j’avais rédigée sur un coup de tête à la lecture de ce prix Goncourt.

Il est rare que je reste circonspect dans un roman, sans savoir s’il m’a ou pas intéressé. Il ne m’a en tout cas pas séduit d’emblée. Dommage, pour une fois qu’un prix Goncourt ne paraît pas se prendre pour chantre définitif du monde ! Et parce que j’aime bien l’Oulipo présidé par l’auteur, quoique je n’adhère pas à son pessimisme ontologique du : « tout est dit ». Le défi pour l’auteur (et le lecteur) est d’assumer un événement arbitraire : l’atterrissage d’un même vol avec les mêmes passagers à trois mois d’intervalle. À quoi conduit cette affaire, sinon à l’intolérable de doubles existences ? Je reste circonspect devant les chapitres courts (conformes au format des séries ?) aux références pointilleuses, lieux, jours et heures. Est-ce pour farder l’aventure en polar ? Que les lecteurs aient acheté le livre en masse en 2020, signifie que l’on ne résiste pas trop mal à la pandémie. Mais que penser de l’attribution d’un Goncourt ? On peut glaner ici ou là quelque indice d’interprétation : « Vivons-nous dans un temps qui n’est qu’une illusion, ou chaque siècle apparent n’est qu’une fraction de seconde dans les processeurs du gigantesque ordinateur ? » Aimable jeu existentiel ou conscience en terrible désarroi ?
En fait, je n’ai pas retrouvé les célèbres Exercices de style de Queneau ou ceux de La Disparition de Pérec où la pratique d’un énorme lipogramme a supprimé le E, la lettre la plus fréquente en français. J’attendais banalement ce qu’on attend généralement d’un roman, soit du romanesque, chose qu’en oulipien l’auteur cherche ici à dépasser dans un jeu formel. Car pour l’école, la littérature serait en retard sur la musique et la peinture qui, elles, ont su depuis longtemps jouer des répétitions, réponses, fugues etc. À mon sens, seul le résultat tranche : le texte fait du bien ou dérange ou bien laisse circonspect. Des exercices que je pratique en ateliers d’écriture avec des stagiaires confirment que l’on aboutit parfois à du beau, parfois à du médiocre. Ce roman est-il excellent ? Aux lecteurs de le dire.

Autre chose de plus fort m’avait échappé, moi qui ne consomme aucune série télévisée : la volonté d’écrire en scénarisant à la manière de ces séries. Ainsi, alors que pour moi le monde des séries filmées est un autre monde, produit d’opérations techniques et de standards fabriquant une réalité fictive dans une sorte de caverne de Platon où l’on ne voit que des images et non le réel, voici que l’on nous propose d’importer cette démarche en littérature. Gonflé et compétent, voire virtuose ! Mais où cela nous mène-t-il ? Comment et quand mesurer où conduit une découverte ? Pour certains, l’humain est la faculté de dépasser la mesure. C’est tout le mérite de l’auteur qui, ainsi qu’il se plaît à le souligner, publiait depuis trente ans dans l’anonymat avant la reconnaissance de ce Goncourt. À sa charge, il semble tellement accro à la collaboration – et la négociation – pour préparer des séries à partir de son livre, que le moins qu’on puisse penser est qu’il n’est pas désintéressé. Et puis, la revendication d’une révolution littéraire ne devient-elle pas suspecte quand elle devient consensuelle ? À lire pourtant, bien sûr.

HUMANISME ABSENT A L’APPEL ?

SWEIG Stefan, Un mariage à Lyon, nouvelles, Ed. Livre de poche :
Je chronique rarement des ouvrages écrits en langue étrangère car, excepté pour l’espagnol, je ne saurais juger de l’original après traduction. Pourtant, il est certains auteurs incontournables, dont celui-ci. Le titre est celui d’une des nouvelles, la plus frappante peut-être par le tragique d’une aventure au temps de la Révolution, de ses excès provoquant les massacres de Lyon rebelle, et où furent mariés en prison deux jeunes condamnés par l’outrance répressive. « Dans la neige » est un texte terrible, glaçant, qui évoque un massacre de juifs en fuite au Moyen-Âge, pas sans rapport avec les massacres contemporains de l’auteur. « Au bord du lac Léman » évoque le trajet éperdu d’un soldat russe qui se retrouve au dit lac après avoir été trimballé depuis la Russie par Vladivostok pour se battre sur le front français en lui « faisant parcourir la moitié de la terre ». Justement informé, l’auteur donne tout au long du volume une leçon de culture aujourd’hui où l’on tend beaucoup trop à oublier l’histoire. Le dernier de ces sept textes : « La contrainte », sans doute le plus violent intérieurement, évoque les affres d’un pacifiste allemand qui, réfugié en Suisse, cède à la pression sociale pour se rendre au consulat en répondant à une mobilisation qui viole ses convictions. Enfin, lumière dans les ténèbres, il réagit devant un blessé : « Jamais, criait en lui une voix d’une puissance venue du fond des âges, ignorée jusque là. » Comme quoi, une des consciences les plus aiguës de son siècle (voir sa correspondance avec Romain Rolland), celui qui finit par se suicider après le déclenchement de la première guerre mondiale, accablé par ce qu’il considère comme « la faillite d’une civilisation », n’exclut pas un relatif optimisme : « leurs cœurs s’élançaient joyeusement vers la liberté éternelle des choses, délivrés de la confusion des mots et de la loi des hommes. » De quoi s’élever au-dessus des événements tragiques en réalisant que les drames moraux et existentiels n’épargnent pas les « ennemis » et que, en fin de compte, les véritables ennemis ne sont peut-être pas ceux ainsi désignés. Et de quoi retrouver, parmi l’abondant fatras des publications actuelles, un esprit humaniste devenu par trop absent de nos jours.

ADHÉMAR Maylis, Bénie soit Sixtine, roman, Ed. Pocket :

Toujours un peu prudent face aux premiers romans censés révéler le génie du siècle, je me suis cependant plongé dans la lecture de celui-ci car l’autrice habitait près de chez moi. J’avoue avoir été saisi d’emblée par l’atmosphère ultra-religieuse, plus que bigote, presque conventuelle, témoignant d’une bonne connaissance de ce monde rythmé par les prières et enclos par des murailles de préjugés. Il fallait sans doute l’avoir plus ou moins vécu pour l’évoquer si fortement, et s’en être évadé pour en saisir si justement les mécanismes. Surtout, il fallait trouver une intrigue porteuse d’un statut si terrible de la femme, ce que Maylis a su faire justement en femme, investissant un personnage de jeune épouse mère éperdue dans une famille où les règles écrasent sa personne. A-t-elle forcé le trait en inscrivant aussi cette famille dans un cercle d’extrême droite : « Les Frères de la Croix » où la vertu du jeune mari est tout simplement de casser (et tuer) du gauchiste sous couvert de valeurs « françaises » et ultra-catholiques ? Vue la conjoncture actuelle, j’en doute et je pense cette lecture recommandable aussi pour cela. On pourra ainsi dans ce livre découvrir les arcanes des agissements d’une ultra-droite ultra-catho, étonnantes pour le quidam républicain, non seulement par ses références théoriques mais encore par ses actes militants au sens propre (militaire). La guerre sainte n’est pas, loin s’en faut, seulement le fait de musulmans ! Au demeurant, on est porté par la fuite à la fois désespérée et optimiste de la jeune mère s’échappant avec son bébé pour rencontrer des marginaux dans une campagne salutaire. Tout en restant interpellé par la foi et la culture profonde et corsetée de l’héroïne. Et aussi par le déficit inouï d’amour dans un univers dénué de cette valeur et où il faut la trouver au hasard d’une pérégrination rocambolesque. Epouse et mère sans plaisir, avec douleur et navrance en fait, l’héroïne connaîtra la jouissance seulement lors d’une brève rencontre. Je trouve l’écriture parfois un peu facile, notamment dans les suites de dialogue. C’est pourtant très maîtrisé et chargé de sens, bien sûr dans l’évocation de l’amour enfin connu, mais aussi et surtout dans l’évocation du délire fidéiste : « Ce soir, douze femmes résisteront au vice pour l’amour de Dieu. Sixtine est fière. Elle fait partie de ces nouveaux apôtres du nouveau temps. Une joie pure s’immisce dans son cœur. Elle n’est pas seulement une femme sur le point d’enfanter, mais une résistante, une combattante de Dieu, une héroïne de la chasteté. »

ENFANTS EN GUERRE (LEVY Marc, Les Enfants de la liberté, Ed. Pocket) :

Je n’ai pas l’habitude de lire un auteur adulé des médias tandis que tant d’autres se morfondent dans une méconnaissance navrante. Ce livre est réédité – et distribué – très largement par France-Loisir, rivale déloyale des librairies. De plus, certains critiques, tel Patrick Besson, trouvent dans ses lignes des « idées toutes faites ». Mais ce roman, tiré de la bibliothèque de ma mère, évoque des événements qui ont eu lieu à Toulouse pendant la Résistance où s’était engagé mon père. Deux raisons particulières de se plonger dans sa lecture… ce qui n’exclut pas toutes les autres.

Comment ne pas être ému par ce récit évoquant la toute jeunesse du père de l’auteur, Raymond, résistant à dix-huit ans (au pseudo de Jeannot), qui hante les rues de la ville rose avant d’être emprisonné à la prison Saint-Michel puis de s’évader du « train fantôme » errant plein de déportés vers les camps. Surtout, le parti pris de conter à la première personne en une pseudo autobiographie, est touchant, même s’il est plus ou moins réussi. On y retrouve des épisodes marquants de l’Histoire de l’Occupation à Toulouse, un dispositif artisanal pour lancer des tracts depuis les toits au passage de Pétain en visite, l’affaire Marcel Langer, guillotiné à la prison Saint-Michel, puis l’attentat contre le procureur qui l’avait fait condamner. Et encore l’attentat manqué au Cinéma les Variétés, dont furent victimes leurs auteurs évoqués malgré une étrange omission, celle du chef du commando : David Freiman. La Résistance est et reste pleine de mystères…

J’ai pris plaisir à suivre péripéties et états d’âme contés d’une écriture simple, sans effet, parfois confinant toutefois au banal de l’oralité (« un truc aussi vieux que le monde »), on l’a déjà dit. Si ce livre est prenant, je regrette pour ma part qu’il soit un hommage au père un peu sage, voire édulcoré, dans l’évocation d’une situation pourtant sauvage où les jeunes en question vivaient des péripéties et des passions souvent extrêmes. De plus, à voir l’abondance des « réussites » de Marc Levy (livres, films, BD…), je me demande si la place de ce père évoqué et invoqué, écrivain et éditeur, n’expliquerait pas, en partie au moins, la notoriété du fils. À sa décharge, l’auteur avait déjà largement acquis sa notoriété lorsqu’il entreprit ce livre inattendu.

Rien qui vaille d’en bouder la lecture pourtant. Cette histoire, celle de nos parents et aïeux, c’est la nôtre, tout simplement. Et rien ne serait pire que de l’oublier.

Francis Pornon.

« Older posts

© 2024 Francis Pornon

Site créé par Couleur Nuit - Thème de Anders NorenUp ↑