Ecrivain

Catégorie : Réactions aux actualités (Page 2 of 11)

QUAND UNE FEMME ECRIT LE MONDE :

Les Années, roman d’Annie Ernaux, ou le clou d’une œuvre humaniste.

Une fois de plus, le prix Nobel vient de couronner une œuvre que les prix littéraires germanopratins ont loupé (excepté le Renaudot). Je confesse avoir jusqu’alors omis de lire un livre de cette autrice. Illustration de la portion congrue qu’on donna (et que je donnai) aux femmes dans la littérature. Conseillé par des proches, je me suis plongé dans ce « roman ». Et bien m’en a pris puisque je ne tombai par dans un énième trajet nombriliste prétendant découvrir la lune au fond de soi-même. L’écrivaine y évoque la deuxième moitié du XXe siècle par une succession de notes, évocations à partir de photos ou en dérivant, semblant écrites de façon simpliste. Et pourtant, cet ensemble de « lambeaux » de récits qui tisse une toile apparemment sans canevas, hors formats en tout cas, transpire l’âme de décennies vécues. Après l’électro-choc de la nostalgie, on pourrait se lasser ou du moins trouver peu originales cette succession de choses vues, comme un air de déjà vu pour ma génération. Certaines voix s’élevèrent pour regretter que le Nobel aille ainsi à l’écrivaine du quotidien… au féminin. Pourtant, l’originalité en ce siècle, qui valait bien à mon sens les prix et fleurs obtenus, c’est que la société n’est pas absente et l’histoire encore moins, non pas soustraites de la littérature mais au contraire omniprésentes dans l’écriture dégagée de tout maniérisme précieux et de l’attendrissement réitéré pour soi-même. L’usage du « on » – si justement décrié dans le discours relâché – dit ici la similitude entre le je et le tu ou le il. « Je est un autre », clamait Rimbaud. Ernaux confirme. Les expériences ainsi écrites placent le lecteur en situation de les avoir vécues.

J’apprends avec intérêt qu’elle a qualifié cela d’ « autobiographie sociologique ». Et avec plaisir car il est ici profondément question d’écriture et de la vie en écriture, sans que cela évacue le reste : l’omniprésence de la société de marché et de son corollaire la société de consommation, avec un sentiment de ravage et de dégât causé par les nouvelles habitudes : Internet et l’étonnante transformation du monde en spectacle et surtout en discours.

Ce livre est tout sauf un livre d’introspection. Rien à voir du côté de Christine Angot ou des auteurs qui font de l’autofiction. C’est le meilleur éloge que j’en puisse faire. Quelques mots extraits parmi tant d’autres émouvants : « Elle était le centre d’un cercle qui n’aurait pu tourner sans elle, de la décision du lavage des draps aux réservations d’hôtel pour les vacances. Son mari est loin, remarié avec un enfant, sa mère morte, ses fils habitent ailleurs. Elle constate cette dépossession sereinement, comme une trajectoire inéluctable. »
C’est publié chez Gallimard et en Poche. Un beau cadeau d’étrennes pour le nouvel an, l’occasion de retrouver la lecture de livres, en ce temps où les écrans cachent la vie.

UN NOUVEAU NUMERO DE LA REVUE GIBRALTAR

Une revue dont la maxime est « Un pont entre deux mondes », paraît au Sud. Elle explore les avantages et les risques de cette région majeure pour l’Histoire. Ce numéro présente entre autres un dossier « littéraire » : Le roman noir des écrivains.

Gibraltar est de retour avec une carte blanche autour du roman noir avec cinq écrivains qui tissent le dossier de cette onzième saison. Pas de meurtres sordides ou de policiers à la recherche d’un tueur en série mais une autre façon de regarder ce genre – le “noir” – sous le prisme humain, social, des mondes méditerranéens :

• Interrogations métaphysiques et intemporelles avec le grand romancier espagnol Víctor del Árbol ;

• Trafic d’organes et décomposition sociale en Syrie avec Benoît Séverac ;

• Évocation de la folie et d’un mystérieux poisson en Corse avec Cécilia Castelli ;

• Récréation mafieuse et visite des splendeurs de Naples avec David Torres.

• Enfin, Francis Pornon nous transporte à Ibiza, pour une enquête express sur les pas d’une milicienne libertaire et de Raoul Villain, l’assassin de Jean Jaurès, en août 1936 durant la guerre d’Espagne…

Cette nouvelle me fut inspirée par un homme qui, au hasard d’un échange, me glissa l’anecdote de l’assassinat de Villain à Ibiza. Membre des Amis de Jean Jaurès à Toulouse, je voulus voir cette affaire reliée à l’acquittement de l’assasssin de Jaurès dans un procès scandaleux. Et il est question d’un jeune homme qui découvre une aventurière dans la vie de son arrière-grand-père…

GIBRALTAR est en vente en librairies et par le lien : http://www.gibraltar-revue.com

L’AVENIR A GRATTER

Lisez le roman d’Alexis RAGOUGNEAU :  Palimpseste, chez Viviane Hamy !

Un des multiples romans dystopiques paraissant actuellement, celui-ci confirme une vue pessimiste de l’avenir, assez partagée, au moins chez les auteurs. Jeune enfant d’un couple distordu (mère actrice de série et père historien), le héros est pris dans la rupture progressive du couple, en faveur de la mère qui remporte au début du succès. Puis, il l’est dans l’évolution du pays ayant viré au pouvoir d’une femme d’extrême droite dont le populisme retors fait réécrire l’histoire et rafler les livres pour les contrôler et interdire ceux dits dangereux. Sur une terre où il est difficile de vivre entre guerres et nature détruite, il fréquente une partie réservée de la tour des livres où il fréquente un ouvrage de son père sur un camp de concentration de nomades : le camp de Saliers (1942-1944). C’est alors qu’il se met à écrire sur ce livre même, entre les lignes, ce qui en fait une sorte de palimpseste. Nombre de pages du roman sont émouvantes par l’affection et à la fois le reniement du garçon envers ses parents et leur œuvre, tandis que, jouet d’un parti, il devient complice de calomnies envers son père et de fourberie envers sa mère. Sont brocardés au passage le voyeurisme et l’exhibitionnisme des réseaux, ainsi que bien des travers médiatiques contemporains, et surtout le révisionnisme. Avec des lignes fortes et simples comme ces ultimes : «Je marcherai vers la mer. J’y entrerai tout habillé. Le contact de l’eau froide me rappellera des souvenirs. Peut-être était-ce ici, sur cette plage-là précisément, que je me suis baigné la dernière fois. C’était il y a longtemps. Il y avait mon père. Il y avait ma mère. »  Belle histoire inquiétante, où l’on suit des rapports familiaux pris dans les démêlés du monde. L’insertion au long du récit d’extraits de textes concernant l’exclusion des indésirables, dérange souvent. De quoi justifier encore le titre de palimpseste à ce texte qu’il faut gratter pour en mesurer tout le contenu.

COMPRENDRE LE PRESENT AVEC LE PASSE :

Les éditions fourmillent de textes prétendant expliquer le présent. Par tous les petits bouts de la lorgnette, on raconte, on décrit, on commente. Etonamment, on semble ne pas se douter que notre temps est évolutif, du passé à l’avenir. Si bien que les littératures concernant passé ou avenir sont dites « de genre ». En est cause peut-être le désordre de faits et idées adoptant l’idéologie du « no future ». Or, cela est pourtant bien connu, l’Hisoire éclaire souvent le présent.

C’est ainsi que je me suis attelé à la lecture d’un roman d’Aragon : La Semaine sainte. De ce roman, l’auteur assura qu’il n’est pas un roman historique… ou bien que tous les siens le sont. Il relate la semaine de mars 1815 alors que Napoléon, débarqué de l’île d’Elbe, remonte vers Paris et que le roi Louis XVIII et l’ensemble de sa Maison décident de fuir la capitale. On y accompagne Sa Majesté, son entourage et son armée jusqu’à ce que le souverain décide de gagner la Belgique et l’on y suit des personnages historiques réels très nombreux, en particulier des maréchaux d’Empire ralliés depuis 1814 aux Bourbons, avec un personnage central : le peintre Théodore Géricault qui a renoncé à son art pour s’engager dans la carrière militaire.

De la plume d’un auteur dont on a dit pis que pendre en son temps, lui qui s’était fait champion des prolétaires et du communisme, voici que défilent des théories de noms et titres d’aristocrates pris par la débâcle devant l’Empereur Napoléon Premier, de retour lors des Cent jours. De quoi se demander comment l’auteur peut manier avec tant de connaissances tant de personnages. Et de quoi goûter la virtuosité et l’humanité des scènes de fiction, aventures personnelles de ces aristocrates pris dans les rets de l’Histoire. En suivant Aragon dans les arcanes de la pensée et de la sensibilité, on admire la parabole d’une société en déliquescence où les hommes cherchent à sauver leur peau dans le désastre, sorte de transposition du temps de la débâcle française devant l’armée nazie, voire de toute débâcle d’un pouvoir – passé et aussi présent, voire futur – dans laquelle certains cherchent une boussole.

J’avoue en outre atteindre l’admiration quand le narrateur prend du recul pour gloser sur l’art du roman capable de rétrospective mais aussi d’anticipation… Du grand roman, à notre époque où les confidences intimes tiennent lieu de littérature. Et de la grande intelligence.

Les Jeux Floraux (RMP 27/06/2022) :

Pour ma dernière chronique à la dernière émission d’ « Excusez-moi de vous interrompre », j’ai choisi un thème à la fois culturel et toulousain : les Jeux Floraux. Je puise encore dans mon Guide du promeneur curieux.

Le décor est situé place d’Assézat où une porte luxuriante ouvre sur la cour intérieure du plus magnifique hôtel du « pays de Cocagne ». À l’intérieur se suivent en étages, salons et bureaux de diverses académies savantes, depuis que le banquier Ozenne acquit l’hôtel et le légua à la municipalité pour les héberger. Au rez-de-chaussée s’étend une salle où se déroulent des manifestations culturelles, dont des salons littéraires (notamment celui de « Les Gourmets de lettres »), sous une statue de Clémence Isaure : patronne de la poésie à Toulouse. Cette figure est celle d’une femme ayant peut-être existé ou bien une allégorie très présente en la ville hantée par le mythe de la Dame belle et cultivée. Ici eut lieu l’aventure étonnante du négociant Pierre d’Assézat.

Au XVIe siècle, ce riche marchand de pastel, devenu capitoul, fit bâtir son hôtel en plein essor du commerce du pastel, cher et prisé en Europe car il servait à teinter en bleu clair : tissus, boiseries, etc.. Pierre étendait ses cultures dans tout le « triangle d’or » du Lauragais et c’est du port voisin de la Daurade qu’il envoyait ses productions dans de nombreux pays. Mais ce conte de fées a un envers que l’on évoque rarement. L’aventure se déroule au temps des guerres de religion. L’expulsion manu militari des « parpaillots » chasse de la ville le protestant Assézat qui intrigue, doit attendre des années le pardon du roi de France et se convertir au catholicisme. Mais arrive l’indigo, plante sud-américaine qui concurrence le pastel. La méfiance des banquiers lyonnais s’ajoute à de mauvaises années et, finalement, Assézat meurt ruiné, ses derniers biens saisis, mais redevient toutefois propriétaire de son hôtel. Splendeur et misère d’un négociant et d’un temps, inscrites dans les pierres d’un tel hôtel.

C’est sous le porche en fond de cour, qu’une porte donne accès au temple de la poésie séculaire : la fameuse Académie des Jeux Floraux. À Toulouse, malgré vacarme médiatique et prestige universitaire, on mesure la poésie à l’aune de trésors d’origine locale. Annoncée dès l’entrée de l’hôtel, reconnue la plus ancienne société savante d’Europe, celle-ci fut dotée du statut d’Académie en 1694 par Louis XIV. À l’origine Consistori del Gay Saber (consistoire du Gay Savoir), elle se veut héritière d’une tradition de sept siècles et prétend promouvoir la poésie et la littérature sous toutes ses formes. Chaque 3 MAI, elle remet salle des Illustres au Capitole, des « Fleurs » aux lauréats des différents concours qu’elle organise. Ainsi, des auteurs sont toujours couronnés à la suite de Ronsard, Victor Hugo et Chateaubriand. Selon la légende, Clémence Isaure aurait voulu par un legs, que l’Académie distribuât tous les ans ces « Fleurs d’argent pour inciter la jeunesse à l’éloquence ». Plus historique est la personne du troubadour Arnaut Vidal (originaire de Castelnaudary), le premier lauréat du Consistori, avec un sirventès (poème à sujet autre que l’amour) récompensé d’une violette d’or en 1324.

Autre dessous de l’histoire, cette institution fut jadis l’occasion d’une controverse au conseil municipal toulousain. Charles de Fitte, socialiste blanquiste, protesta contre la subvention à l’Académie composée de notables, selon lui « un foyer de réaction ». L’adjoint au maire Jaurès argua cependant que cette académie « est une vieille société littéraire et artistique qui a jeté un grand éclat à Toulouse et au dehors et a produit des œuvres vraiment remarquables » et qu’en conséquence il fallait poursuivre l’aide communale à cette société.

Sept « troubadours » auraient retrouvé la tradition en édictant des leys d’amor (lois d’amour). Il est certain qu’aujourd’hui participent à l’activité de l’académie, au titre de « Maître-es-jeux » ou « Mainteneur », des poètes contemporains en français et en occitan, intellectuels de talent et de conviction. Et parmi les prix attribués, nombreux sont ceux qui récompensent les productions de jeunes poètes aux concours et en actions de promotion de la poésie dans les établissements scolaires. Salutaire espérance – utopique ou volontariste – que restent présents et vivants, la langue et l’esprit du trobar (poésie d’amour) de leurs prédécesseurs troubadours des grands XIIe et XIIIe siècles.

INVITATION A TOULOUSE (RMP 21/06/2022)

 

L’Humanité magazine vient de publier cet article signé de ma main et dont je livre ici la plupart du contenu.

« Si tu viens à Toulouse, tu vas voir comme on peut aimer les façades en briques roses et comme on peut y ressentir l’aventure. Vieille capitale vibrante de vie, de jeunes la bouche en chœur et de mémés qui aiment la « castagne », aux terrasses des cafés résonnent à qui veut l’entendre, l’Histoire de héros anonymes et celle d’amours flamboyantes.

À l’envers du Capitole, le square de Gaulle recèle la mémoire du résistant Ravanel humilié, Jaurès et la rocambolesque récupération de son effigie, le bronze de Nougaro qui réécrivit la chanson Ô Toulouse. Passons place Wilson au jardin Goudouli, un poète occitan, phare dans la grande nuit tombée longtemps sur la langue d’oc. Ne ratons pas, sur telle façade Art déco, la mémoire de trois jeunes étrangers qui aimèrent tant la patrie des droits de l’homme qu’ils moururent d’apporter une bombe au cinéma Les Variétés où l’on projetait le film nazi « Le Juif Süss ». […]

Suivons le boulevard jusqu’au carrefour où se font face le bâtiment moderniste des Architectes associés et les hôtels bourgeois de la dynastie du papier à cigarette JOB. Écoute l’écho des Fabulous trobadors chantant en occitan révolte et amour courtois au quartier populaire Arnaud-Bernard.

Poussons vers la Garonne parfois turbulente, canalisée de quais oranges ou chocolat selon le temps, toujours emmitouflée de longues grappes de jeunes jusqu’aux aines des ponts. Et sourions à l’image du dôme vert-de-gris de La Grave, histoire du premier centre anti-cancéreux et de médecins résistants avec Joseph Ducuing, grande Histoire aujourd’hui galvaudée en opération immobilière !

Voici la façade des Beaux-Arts aux muses dévêtues devant le lieu de grandes grèves d’ouvrières des tabacs. Et l’hôtel d’Assézat que fit édifier l’éponyme négociant en pastel… banni dix ans en tant que protestant ! […]

Frissonnons devant la maison de l’Inquisition et la plaque au philosophe Vanini amputé de la langue et brûlé en place du Parlement. Rions dans la ruelle de L’Homme armé, baptisée « du sauvage » pour son appendice ma foi fort civil. La tour de l’ex-prison Furgole nous murmure l’épopée des communards toulousains et celle de résistants de tous poils ou imberbes puisque comptèrent parmi eux nombre de femmes. Histoire d’amour encore avec Jean Cassou, futur commissaire de la République parvenant à composer au cachot (uniquement de tête, sans papier ni crayon) des poèmes à ses pairs : Trente trois sonnets composés au secret, préface de François la Colère (Louis Aragon), paru aux Ed. de Minuit, 1944.

Allons sous les logis de Jean Jaurès, Pierre-Paul Riquet, Jean Calas (martyrisé puis réhabilité grâce à Voltaire), Mermoz aviateur et politique, […] sans oublier la « Belle Paule » qui subjugua le monarque, ni le Jardin des plantes commémorant les Justes et aussi les toulousaines tuant le chef croisé Simon de Montfort qui assiégeait la ville. Au pied des murailles de brique des Jacobins […] se télescopent présent aux couleurs mandarine et tant et tant d’histoires depuis le couvent, le clocher déquillé à la guerre de religion, le culte de l’Ētre suprême, l’armée et la cavalerie d’Espagne sous Napoléon, le congrès de l’unité du parti socialiste et… le lycée de vieux toulousains !

Viens encore au Vieux temple déserté depuis que les « parpaillots » survivants furent bannis dans les villes voisines, à la chambre de Saint-Exupéry en l’Hôtel du Grand Balcon, lieu de repos des « as » de l’aéropostale… et aussi de leurs bringues et de leurs amourettes.

Car c’est l’Amour, le fil rouge de notre balade […] en cette ville de […] la fin’amor. Ici, quand les rois de France étaient encore illettrés, troubadours et troubaïritz (femmes poètes) apprirent à l’Europe médiévale un nouvel humanisme, celui où la femme est au plus haut pour l’homme, objet de culte et de quête. Écoute en ces rues les chants occitans médiévaux, les raffinées poésies gasconnes et languedociennes, les chanteurs de nos jours et les voix de la Belle Paule, Clémence Isaure, dame Richarde, Azalaïs de Toulouse, la Dubarry et encore celles de tant de femmes contemporaines, actrices et témoins, amoureuses de notre temps. « C’est peut être pour ça qu’on te dit ville rose… » chantait Nougaro. Que tu soies dròlle (jeune) ou bien papé, femme fleur ou quelque peu macho, la ville te reçoit tout juste entrouverte et pourtant érotique, parée de toutes ses couleurs. À peine as-tu pris pied dans le désordre et les tons de ses trottoirs et de ses quais, sous ses façades de briques, que tu te sens déjà en « pays de Cocagne ».

LA DÉMOCRATIE (RMP 13/06/2022) :

En France, depuis plus de 2 siècles, tout discours politique qui se respecte, qu’il se situe à gauche, au centre ou à droite, se réfère à la Démocratie. La Démocratie (pouvoir du peuple) aurait d’abord été expérimentée sur l’agora (place publique) de cités Grecques. C’est pourtant en Europe que l’on veut voir la naissance de la politique moderne sous la forme de la démocratie issue des révolutions contre des régimes inégalitaires et pour des droits humains, ce sous l’éclairage des Lumières avec Rousseau, Voltaire et compagnie.

Deux siècles et un tiers après, cette démocratie n’est pourtant toujours pas garante du bonheur de tous. Notre quotidien qui devrait être fait d’égalité, se débat dans un monde de plus en plus inégalitaire. Or, l’histoire progresse parfois d’un bond. C’est ce qui se produit dans les révolutions, avec l’instauration du vote dit universel (soit de tous les citoyens), et aussi celle du vote des femmes. Et ce furent encore des bonds que l’acquisition des droits d’expression, de la limitation du temps de travail, des augmentations de salaires, des protections sociales, etc.

On sait par exemple que les traminots de Toulouse, devaient accomplir 16 heures de labeur par jour pour un propriétaire privé. Le patron refusant une amélioration, les employés brûlèrent abris et voitures et tuèrent des chevaux. Jaurès pesa alors pour un accord à 12 heures. Ce qui aujourd’hui nous semble encore bien trop, du fait que l’on en est à 8 ou même sept heures et que l’on pense à la semaine de quatre jours. Mais n’empêche que reste une terrible mal vie : pauvreté, chômage, indigence, exclusion, frustration, etc.

Alors, l’humanité peut-elle progresser d’un nouveau bond en France ? La question est survenue soudain comme imprévue dans la situation actuelle. Sous le capitalisme mondialisé s’accélèrent les injustices sociales et humaines et se précipitent les risques, écologiques, guerriers, sanitaires, etc. Un président liquidateur élu « par défaut » devant la montée de l’extrême droite, le Trafalgar des forces de gauche hors la France Insoumise, a poussé les autres au réflexe de s’allier avec cette dernière. Pas d’une alliance seulement électorale, mais sur un programme pour un gouvernement – peut-être pas parfait – mais quand même radical. Dès demain peut être réalisé le SMIG à 1500 €, la retraite à 60 ans, des renationalisations, le blocage des prix, etc.

Toute notre histoire le montre, quand la gauche s’allie sur un tel programme progressiste, elle l’emporte. Or, au lieu d’applaudir et d’aider à cette NUPES (nouvelle union populaire écologique et populaire) qui peut être majoritaire, des caciques ont constitué d’autres listes. En Occitanie en particulier, certains et certaines, se revendiquant « démocrates » et « de gauche », se présentent ou s’allient contre les candidats étiquetés NUPES.

« Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots », signalait Jean Jaurès. Mais il n’est plus du tout le temps de se payer de mots quand l’intérieur tourne au désastre et l’extérieur à l’apocalypse. Voici qui nous renvoie à une définition de la politique. Lorsque j’employais ce mot avec quelque tonalité péjorative, mon père me rappelait jadis que « politique » signifie : gestion de la cité, au sens nécessaire et noble.

Hélas, il est aussi un sens plus restrictif et plus pessimiste : celui de la basse politique ou politicaillerie. Se présenter aujourd’hui hors la NUPES en prétendant s’opposer au pouvoir néfaste, est un croche-patte. Car, désuni, un mouvement est affaibli non seulement en voix, mais surtout en crédibilité, en capacité d’éveiller l’enthousiasme. Au contraire, l’union ne totalise pas les voix, elle les multiplie jusqu’aux abstentionnistes dont peut se réveiller l’intérêt.

Alors, quelles sont les raisons de ceux qui refusent de se rendre à la raison ? Hélas, on peut soupçonner des calculs égoïstes et bas pour tenter de garder ou faire garder la main. Aujourd’hui où le monde brûle en tous sens, quel intérêt d’être élu hors un projet radicalement démocrate, sinon son propre intérêt personnel ? Je rappelle simplement qu’il est dans la notion de démocratie l’idée que l’intérêt général prime sur l’intérêt particulier. Au cas où cela serait oublié…

Et comme ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, j’affirme que, pour cette élection de députés, les seuls candidats ou candidates clairement et honnêtement en faveur de la démocratie, sont ceux de la NUPES.

TOULOUSE : « VILLE CINEPHILE » 2 (RMP 30/05/2022) :

« La place Wilson reste un « centre géodésique» du cinéma commercial. Des nombreuses salles de cinéma disparues à Toulouse (il y avait 32 en 1960), subsiste le complexe de salles Gaumont-Wilson qui offre en plein centre la plus grande salle d’Europe équipée du système Dolby. Là s’ouvrait depuis longtemps le traditionnel Gaumont, devenu cinéma après avoir été Théâtre Lafayette, près de la très grande salle du Plaza qui projetait des super-productions Paramount, puis Métro Goldwyn Mayer, aujourd’hui effacée au N°6. À quelques pas de là, le café « Cosmopolitain » (1 rue des Trois Journées) serait bien connu de noctambules toulousains. Sous cet auvent en dent de scie était le cinéma « Zig-Zag » où l’on projetait des films d’auteur avant qu’il fût cinéma « porno », ce dont le prix Goncourt 2019 Jean-Paul Dubois se souvint dans son roman : Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon. À quelques pas dans l’autre sens, (24 rue Montardy ) se trouvent aussi les salles de cinéma d’art et essai : « American cosmograph », antérieurement  » Utopia  » qui s’était appelé  » Le Rio « , à l’origine salle de cinéma de la Paroisse Saint-Jérôme. Tél : 05 61 21 22 11.

Place ou allées Mitterrand se dresse une façade Art-Déco qui détonne entre les immeubles classiques : baies vitrées et lignes arrondies. Elle fut édifiée dans les années 30 sous la direction de l’architecte Robert Armandary. Le lieu avait d’abord été un théâtre destiné aux opérettes et grands spectacles avec revues. Plus récemment, cette devanture originale orna un complexe de salles de cinéma très fréquenté à Toulouse sous les trois lettres UGC qui marquaient le fronton. Souvenir de la grande salle de cinéma « Les Variétés » aux fréquentes files d’attente s’étirant longtemps pour la projection de « Et Dieu créa la femme » avec Brigitte Bardot, ou bien encore de « Jeanne d’Arc », sous un lyrique affichage en carton-pâte. »
Souvenir encore d’un attentat résistant contre la projection d’un film raciste sous Vichy… à retrouver sur la plaque évoquée dans le guide en question.

Pour cette évocation des salles de cinéma commercial à Toulouse, j’ai sollicité la contribution de l’ami Jean Tutenges, chroniqueur de cinéma à Radio Mon Pais.

Jean, merci de ta participation, que peux-tu ajouter à ma brève évocation de quelques salles dans la ville ?

TOULOUSE : « VILLE CINEPHILE » 1 (RMP 23/05/2022)

Il était une fois des amoureux de cinéma à Toulouse, qui en animèrent la vie intellectuelle. Les locaux du 69 rue du Taur respirent cette passion depuis qu’à la Libération la ville fut marquée par un enthousiasme cinéphile, pas seulement spectateur. Après un éphémère ciné-club du Comité national des intellectuels (avec Charles Pornon*) rue des Trois journées, se développa une vague de ciné-clubs d’adultes (avec Marcel Tariol) et de la jeunesse (avec Roger Clerc) en diverses salles, entre autres celle de L’Espoir, ici-même.

Fondée en 1964 par des passionnés autour de Raymond Borde*, la Cinémathèque de Toulouse projeta de même d’abord dans l’ancienne salle de L’Espoir et aussi au CRDP rue Roquelaine. Se créa également un groupe de producteurs et réalisateurs de courts-métrages hors circuit commercial : les « Cinéastes indépendants » dont la cinémathèque conserve des archives et les productions qu’elle a numérisées et projette à l’occasion. Inaugurée en février 1997 en ce lieu, cette Cinémathèque de Toulouse assure des projections, rencontres, expositions, activités éducatives et culturelles, ainsi que la bibliothèque dans l’ancienne chapelle du Collège, et aussi (dans des locaux annexes à Balma), la conservation des films et de documents annexes. Une des principales cinémathèques d’Europe, elle organise ou héberge divers festivals tels Cinespaña et Cinelatino). Tél. 05 62 30 30 10.

* Charles Pornon  (1917-1965) cinéaste, essayiste enseignant en esthétique du cinéma, président des Cinéastes indépendants ; Raymond Borde (1920-2004) : critique de cinéma, fondateur et conservateur de la cinémathèque de Toulouse.

(extrait de Toulouse, petits secrets et grandes histoires ; guide du promeneur curieux,) qui vient de paraître aux éd. Sud-Ouest.

A propos de la cinémathèque de Toulouse, j’invite aujourd’hui : Guy-Claude Rochemont : Professeur d’anglais, élève des lycées Fermat et Bellevue, il fut membre actif dès les petites classes du mouvement des ciné-clubs de Toulouse et participa à la création de la salle d’Art et d’Essai ABC. Co-fondateur de la Cinémathèque de Toulouse, il en fut le président et siège aujourd’hui au Conseil d’administration. Par ailleurs, il intervient auprès des lycéens, des salles et des festivals.

Cher Guy, nous vous avions déjà invité il y a quelques années. Nous aimerions évoquer maintenant avec vous l’histoire et la dimension de cette cinémathèque de Toulouse. Mais j’ai d’abord envie de vous poser cette question : quoi de neuf dans le cinéma à Toulouse ?

L’utopie et son contraire (RMP 11/04/2022) :

Les encyclopédies nous enseignent que l’utopie, mot forgé par l’anglais Thomas More dont le livre est titré : L’Utopie, du grec οὐ-τόπος « en aucun lieu ». Il s’agit d’une représentation d’une société idéale, opposée aux sociétés réelles imparfaites. Sont aussi des exemples d’utopie : la Callipolis de Platon, l’Eldorado de Voltaire dans Candide ou encore le bonheur et l’harmonie à l’abbaye de Thélème dans Gargantua de Rabelais.

C’est de même, me semble-t-il, que fut décrit un futur à l’Est dans de nombreuses publications au XXè siècle, faisant notamment d’une URSS future améliorée, un paradis sur terre. Peut-être peut-on comprendre ainsi (et a contrario) le succès d’un candidat sur un électorat orphelin de l’utopie communiste. En l’absence de grands projets sociaux en rupture avec la logique économique actuelle, quel soulagement d’entendre promettre la possibilité d’un bonheur simple tout de suite et ce dit justement par le représentant d’un parti orphelin d’utopie !

Mais une utopie peut désigner également une réalité difficilement admissible : en ce sens, qualifier quelque chose d’utopique consiste à le disqualifier en le considérant comme irréalisable. Cette contradiction qui fait varier la définition entre texte littéraire à vocation politique et rêve irréaliste, atteste de l’opposition entre deux croyances, l’une en la possibilité de réfléchir sur le réel par une représentation fictionnelle, l’autre sur la dissociation radicale du rêve et de l’acte, de l’idéal et du réel. En termes simples, «utopique» peut signifier soit : idéal, soit irréalisable !

Aujourd’hui, hommes et femmes politiques se situent ailleurs qu’en rapport à une utopie. La plupart agissent tacitement comme si les modèles des Lumières, régimes humanistes et égalitaires, semblant récusés dans les faits, l’étaient aussi forcément en théorie. Ce qui justifierait la politique de bouche-trou qu’on nomme realpolitik. Plus, toute tentative de concevoir un autre système politique et idéologique est conçue comme utopique, au sens de pas sérieux ou du moins pas possible.

L’étonnant est que ces dirigeants se comportent comme si n’existait pas la menace de plus en plus pressante du monde en proie à une dégradation qui compromet l’avenir même proche pour tous. Ainsi, qui se veut réaliste est en fait irréaliste puisque passant à côté de la réalité la plus grave et à la fois urgente, autant et plus encore que la misère et même que la guerre.

Comment expliquer ce déficit étrange d’audace politique, voire même cette incapacité à comprendre pour changer ? Certes, la défaite et la duplicité du « socialisme » prôné par les partis communistes dans les ex-pays de l’Est en sont-ils probablement un facteur déterminant. Il faut toutefois y ajouter les expériences dites socialistes, en France notamment.

Ainsi assiste-t-on paradoxalement à une vacuité de projet différent, doublé pourtant d’un refus du système actuel. S’il n’y rien de nouveau maintenant à l’Est, il n’y en a pas davantage ailleurs… alors, le champ est libre pour des tours de passe-passe, manipulations idéologiques élevant des boucs émissaires et des dangers imaginaires afin de détourner les énergies. Dans ces manipulations d’extrême-droite, voire simplement de droite, la navrance remplace l’espérance.

Pour le sourire, le parti communiste ayant renoncé à se référer à une société, sinon modèle du moins meilleure, il se contente de propositions ressorties du vieil arsenal de cette grande organisation qui jadis pensa et agit tant pour l’intérêt des citoyens. C’est ainsi qu’il propose la pratique de l’apéro et celle du steak en famille, programme baptisé « les jours heureux ».

Le sourire se fige pourtant, si l’on tient compte des prédictions renouvelées du GIEC : l’humanité, d’ores et déjà « très vulnérable » (avec une augmentation de 1,5 degré, frappée par des canicules, sécheresses, tempêtes et inondations qui se multiplient), en cas de non-changement de système, elle va subir un réchauffement de + 3,2 °C d’ici à la fin du siècle, soit un bouleversement difficile à décrire mais à coup sûr catastrophique.

C’est ainsi que, tandis que les candidats préconisent des mesurettes, ou généreuses ou exclusives, en lieu et place d’utopie, paraissent des romans dits de « dystopie », soit prédisant des fléaux terribles et inéluctables. J’avoue ne les lire qu’avec crainte, et ne même pas oser en recommander la lecture à mes petits-enfants.

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