Ecrivain

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La promotion de croyances au rang d’évidences (RMP 11/10/2021).

Dans un entretien publié dans L’Humanité, le philosophe Jean-Paul Jouary déclare : « L’un des cancers de notre époque est la promotion de pures croyances au rang d’évidences. »

Selon Larousse : « est évident ce qui est immédiatement perçu comme vrai ». Que se passe-t-il, au pays de Descartes où depuis des siècles, nous tâchons d’éviter l’évidence en cherchant la preuve ? Voici que se télescopent des foules de nouvelles qui se succèdent ou se contredisent. De la diffusion de ces données sans retenue ni contrôle, sont avant tout responsables les médias et autres réseaux sociaux. Avec bien sûr la responsabilité ou la complicité des récepteurs et des scripteurs eux-mêmes, ceux qui lisent tout complaisamment et à plus forte raison ceux qui rédigent ou transfèrent fausses nouvelles ou prétendues vérités.

Feu la règle qui prévalait en journalisme, de vérifier ou du moins croiser les informations. Elle est remplacée par la « nécessité » (entre guillemets) de publier parmi les premiers, ce afin de captiver la clientèle au profit des annonceurs. Souvenons-nous de qui avouait tranquillement livrer aux vendeurs, du temps de cerveaux disponibles !

Évaporée aussi la retenue qui faisait différer une déclaration avant de se décider à l’énoncer. « Tourner sept fois sa langue dans sa poche » était un dicton populaire. Il est remplacé par une pratique contraire : écrire et réécrire, parler et rétorquer plus vite que son ombre… sans oublier les images, les photos exposant soi-même, jusqu’à l’intimité, comme si cela ne représentait aucun risque, plus, comme si cela était un besoin !

Ainsi est-on, paraît-il, décomplexé. Et l’on n’hésite pas à afficher et transmettre n’importe quoi, quitte à tomber sous le coup de la loi. Voir l’inénarrable Zemmour… Quand se diluent les critères de vérité et quand disparaissent les principes moraux, même s’ils étaient à revoir, reste un grand désarroi, il s’agit d’une crise, non seulement une crise morale, mais encore une crise globale.

Qu’est-ce qui explique cette addiction à une expression sans limite ni règles ? Est-ce la tendance prométhéenne à se dépasser, à outrepasser les barrières ? Depuis l’Antiquité grecque au moins, la démesure (l’ubris), l’outrance dans les propos ou les actes risque de provoquer gravement les dieux (entendons aujourd’hui le destin).

Ce qui est risqué, voire dangereux, c’est que dans les déluges expressifs, l’on ne se réfère à aucun fondement, ni scientifique ni logique, mais que l’on diffuse une opinion qui ne s’appuie bien souvent même pas sur une conviction, seulement sur une évidence. Évidence que les risques de la pandémie, évidence que l’incertitude sur les vaccins, évidence que la gravité de la situation, etc.

Pour le sourire, on sait depuis longtemps que les apparences peuvent être trompeuses, cela fait même l’objet de dictons dans le genre : « Il ne faut pas juger quelqu’un sur la mine. » Or, les candidats politiques s’ingénient au contraire à se donner une apparence qui les fera bien voir de l’électorat. Aussi, non seulement la vie privée de Macron fut revue et récitée, mais encore ses costumes furent retaillés pour sa candidature !

En philosophie, il convient justement (et au contraire) d’opposer à l’évidence, à l’opinion courante, à ce qui est admis sans critique ni réflexion, une volonté de passer la chose au crible du doute. C’est en soumettant au doute une opinion que, pour tâcher de dégager la vérité de l’erreur, je cherche à la confirmer ou à l’infirmer.

En France, qui jouit encore du privilège de la philosophie en classe terminale, nous nous souvenons que Descartes décide de douter de tout pour en venir au cogito. En faisant table rase, la seule certitude initiale qu’il trouve, c’est : « Je pense, donc je suis ». Non pas dans un acte de croyance, mais au terme d’une opération réflexive et logique, dépassable peut-être, mais voulant être rigoureuse.

Sans doute, le rationalisme cartésien ne suffit pas à tout comprendre et tout exprimer. L’humain n’est pas une machine avec roues dentées et poulies. Mais en ces temps d’incertitude, retrouver la méthode pour tenter d’éviter les chausse-trappes, c’est utile et c’est bon. Alors, lisez le dernier livre de Jean-Paul Jouary : « Vivre et penser dans l’incertitude » aux éditions Flammarion !

 

La raison, « source d’erreur » selon un ami ? (RMP 04/10/2021)

Je veux aujourd’hui parler d’un message adressé par un ami. Extrait de je ne sais quel réseau social, ce développement se dressait contre (je cite) : « la raison, source d’erreur et de tromperie », ce au motif paradoxal que la raison empêcherait une pensée d’être clairvoyante à l’heure actuelle… Or qu’est-ce que la raison ?

Si l’on veut bien revenir aux sciences, la raison d’un phénomène est sa proportion ou son principe explicatif. C’est ainsi que Taine indique « il y a une raison, un « parce que », un intermédiaire qui explique, démontre et nécessite » la liaison entre deux données. De ce point de vue, la raison est dans les choses comme le noyau est dans le fruit.

Si l’on se reporte au Larousse, il propose pas moins de quatre définitions successives, depuis la faculté de juger jusqu’à ce qui justifie un acte, en passant par les principes de bien agir et les facultés intellectuelles normales… Remarquons alors qu’en ces divers sens, la raison c’est toujours le convenu, soit l’idéologiquement correct ! Si c’est cette « raison » là qui est suspectée, celle qui, admise, n’est pas à remettre en cause, celle qui fait barrage au doute et à la recherche, alors on peut partager le soupçon. Pourtant, c’est encore autre chose qui est en cause.

Le message de l’ami ressemble à bien d’autres du même genre dans l’avalanche d’envois par internet. J’avoue que, après avoir tenté de lire et de comprendre de nombreux messages, je me suis lassé devant ces tirs croisés en tous sens. Et je me suis remis à réfléchir.

Sans doute, les médias passent le temps à diffuser des « raisonnements », lesquels visent à formater les idées, soit les plier au service de qui détient les rennes du média, à savoir le grand patronat ou le gouvernement. Au sujet de la pandémie, ces médias ont mené des discours de campagnes successivement contradictoires afin de justifier des mesures publiques changeantes, voire perverses : d’abord contre les masques et ensuite pour, puis pour le confinement et ensuite contre. Nous avons d’abord marché, puis pas mal d’entre nous avons décelé la manœuvre.

C’est ainsi, que s’explique une grande et générale défiance de la part du grand nombre. ON (indéfini) transpose la défiance envers la politique en une défiance envers la politique sanitaire. Notamment, on tourne cette défiance contre les vaccins, au motif qu’ils font la fortune de « big pharma », qu’ils sont issus de peu de temps de mise au point, que la science n’en est pas à une erreur près, et encore que c’est l’évolution du monde (et de la médecine) qu’il faut changer…

Tout ceci est bien vrai. Et pourtant, est-ce une « raison » (entre guillemets) pour négliger un produit passé tout de même par des processus de contrôle, est-ce une raison pour ne pas tenter un moyen possible de juguler une pandémie qui s’accompagne d’une crise terrible où les plus faibles sont sans défense ? N’y a-t-il pas là une défiance et un pessimisme démesurés ? Et n’y a-t-il pas quelque négation, quelque fuite existentielles, elles aussi démesurées ? Et enfin, qu’est-ce qui relève d’une méfiance envers une forme de raisonnement et qu’est-ce qui relève du refus spontané et irraisonné tourné un peu envers et contre tout ?

Pour le sourire, je me souviens de Galilée qui, défendant sa nouvelle conception du monde, invitait les docteurs scolastiques à observer la lune dans la lunette d’astronomie. Ceux-ci refusaient afin que… cela ne leur obscurcît l’entendement ! Ainsi, ils évitaient de remettre en cause la conception dominante où la terre était vue comme le centre du monde, idée soutenue violemment alors par l’église catholique romaine.

Quatre siècles après, a-t-on oublié que Galilée fut contraint d’abjurer sa théorie, sous la menace d’une condamnation à être torturé et brûlé comme le fut Giordano Bruno et comme le serait bientôt Cesare Vanini, exécuté place du Salin à Toulouse ? « Et pourtant, elle tourne ! » aurait alors confié Galilée. Sa conception où la terre n’est pas le centre du monde, fondée sur un usage de la raison, confirmé par la pratique, serait amplement vérifiée par la suite, jusqu’à ce qu’Einstein l’élargît par sa théorie de la relativité.

Dans La vie de Galilée, le dramaturge Brecht lui fait conclure : « Si j’avais résisté, les physiciens auraient pu développer quelque chose comme le serment d’Hippocrate des médecins, la promesse d’utiliser leur science uniquement pour le bien de l’humanité. »

Où l’on voit que l’ami Brecht, lui aussi, est toujours d’actualité.

Des monologues exposant des croyances :

Axel Kahn écrivait dans son dernier livre publié peu avant sa mort :  » sans usage de la raison, toutes les positions sont des croyances et leur exposition se limite à une série de monologues… ». Récemment décédé, ce médecin essayiste fut un grand scientifique s’illustrant par ses prises de position publiques et ses rôles, notamment au comité consultatif national d’éthique.

Quoi que l’on pense de toutes ses positions, dans la tourmente actuelle de la pandémie, la crise et ce qui s’en suit, ce médecin savait combien il en coûte de se trouver face aux affirmations de tout et de son contraire, tandis que le torchon brûle et que l’on peut brûler avec. Ma fille aînée est médecin… je dirais « critique » et je mesure travers elle, non seulement la difficulté d’être soignant aujourd’hui, mais encore le tragique du présent partagé.

Se pose la question, pour le soignant en premier lieu : quelle confiance avoir en les opinions, en les discours qui affirment tantôt blanc et tantôt noir, réalité de la menace pandémique ou pas, utilité de la vaccination ou pas, existence de médicaments utiles ou pas…

Et l’on voit affluer les citations de chiffres en foules de statistiques, les invocations d’exemples inquiétants en citations et nombreux discours, l’accumulation d’imprécations en messages provoquants, et aussi des exposés de maintes et maintes doctrines en dissertations développées.

Il est très inconfortable, voire insupportable, de ne pas disposer d’assise idéologique sûre à sa pratique. La nature – et aussi l’esprit humain – ayant horreur du vide, on recherche une pensée propre à porter quelque certitude du bien fondé d’une action. Pour justifier une médecine douce, face à celle qui opère à tour de bras et qui bourre de médicaments au grand profit des grands laboratoires, on va chercher ailleurs, de préférence en Orient, une éthique différente pouvant autoriser une attitude différente.

Certes, il peut être bon de chercher à combler quelque manque de pensée et de pratiques européennes. Mais en fait, les arguments se contredisant les uns les autres en foule, les monologues expriment seulement des convictions et non des démonstrations. On oublie que c’est justement contre les croyances, contre les évidences, contre la simple foi, qu’est née chez les Grecs antiques la réflexion à l’origine des sciences et de la philosophie.

Reconnaître cet avènement majeur de civilisation, n’est pas faire de l’ethnocentrisme, c’est rendre à César, ou plutôt à Socrate, ce qui lui est dû. Certes, on doit plutôt certaines connaissances scientifiques au Moyen-orient, la poésie à la Méditerranée et à l’Occitanie, la dialectique et la politique à l’Europe et l’empirisme aux anglo-saxons. Certes, on peut avoir besoin et profit de la maîtrise de soi et du respect de la nature orientaux. Certes, on peut vouloir récupérer le savoir et le pouvoir des griots, des chamanes ou des coupeurs de feu des cultures populaires d’Afrique, d’Amérique et même de nos campagnes, à commencer par retrouver le bon usage des plantes.

Mais la philosophie, la pensée fondamentale, celle qui doit permettre de sortir des monologues assurant tout et son contraire, celle qui cherche des critères pour démonter les erreurs, celle qui croit en un Progrès possible (même s’il n’est pas fatal), progrès matériel des sciences et des techniques, mais surtout progrès de l’esprit pour l’amélioration de la vie des hommes, souvent encore si dure, celle-là est : la philosophie comme usage de la raison afin de sortir de la croyance.

Pour le sourire : je me souviens d’une légende amérindienne qui contait comment le Grand manitou créa les hommes. Il prit de la glaise pour façonner plusieurs statuettes qu’il mit à cuire au four. La première qu’il sortit du four n’était pas assez cuite : ce fut le blanc. La dernière, trop cuite, fut le noir. Et celle du milieu, cuite à point, montrant une splendide couleur, ce fut le Peau rouge !

Marx assurait en substance que ce n’est pas Dieu qui a créé l’homme à son image mais au contraire l’homme qui a imaginé dieu selon lui-même. Et il ajoutait que « La religion est l’opium du peuple », une sorte de drogue qui fait supporter l’exploitation et empêche la conscience cette exploitation.

Comme quoi, mais cela tombe actuellement dans une amnésie collective, le bonhomme Marx, son diagnostic et ses utopies humanistes, restent toujours d’actualité…

Sur les quais : nuits blanches à la ville rose ! (RMP 28/06/2021) 

Le week-end dernier, moins d’un électeur sur trois est allé voter aux élections régionales et départementales. Les jeunes en particulier ont boudé les urnes ; un peu moins de 2 jeunes sur 10 se sont rendus au bureau de vote. Pardon pour le calcul au niveau de l’école primaire : c’est à dire un sur cinq !

La nuit de samedi dernier, les rues de Toulouse étaient animées comme en plein jour, plus même quant aux piétons et surtout aux terrasses emplies de cris et de chants. Difficile de dire ce qui est dû à la finale de rugby et ce qui l’est au dé-confinement, mais voici qui appelle au moins une remarque : les jeunes ne votent guère pour les uns ou les autres et plébiscitent la vie dans la rue, notamment la vie nocturne, quoi que la promiscuité puisse représenter comme risque.

Et voici qui rappelle – à peine exagérément – certain livre de Joseph Delteil (c’est son La Fayette édité par les Cahiers rouges chez Grasset) où les aristocrates emprisonnés sous la Révolution, s’abandonnent entre eux à un délire de mœurs et de pensées au parfum de fin du monde. Et la fin du couvre-feu rappelle aussi celle du couvre-feu à la Libération de Toulouse en août 44 ! La liberté retrouvée (reconquise alors et octroyée aujourd’hui, ce qui est différent) on peut enfin se baguenauder un peu partout, sur les terrasses, sur les quais et même, de préférence par la chaleur, sur les embarcadères longeant la Garonne.

Nul doute que ces nuits les plus courtes de l’année seront encore mises à profit pour se réjouir, boire, chanter et danser dans les espaces qui s’y prêtent en la ville. Si l’on parle des nuits blanches de Saint-Petersbourg, on causera aussi de celles de Toulouse-la-rose, la dite insouciance de la jeunesse devant l’aider à mépriser le risque de contamination, d’autant que celui-ci est maintenant réputé mineur au dehors.

Bientôt, (selon la situation sanitaire locale et les dispositions officielles) ce sera également la fin des limites de jauge dans les lieux recevant du public et – outre que les événements culturels et artistiques revivent, il sera possible de participer à une initiative rassemblant plus de 1 000 personnes en extérieur et en intérieur (avec le pass sanitaire).

On se doute que le 14 juillet verra aussi se masser le long des quais la foule heureuse de fêter cette date en s’ébaubissant sur la belle bleue et la belle rouge, et en même temps de faire la nique à ces temps de confinement qui contaminèrent probablement plus que le virus une société profondément atteinte par des maux dont le covid n’est que la partie émergée de l’iceberg.

Pour le sourire, nombreux sont ceux qui envisagent de s’échapper en vacances partout en France, voire à l’étranger quand les dispositions le permettent. Voici qui est à double sens, remettant aussi en mémoire – laquelle est décidément toujours-là – le précepte du professeur Augier-Ferrier, médecin particulier de la reine Catherine de Médicis, qui résida et enseigna aussi à Toulouse. En cas de peste : « Le plus souverain remède c’est se retirer bien tost du lieu infecté, et s’en aller loing et revenir plus tard ».

Et voici qui nous laisse aussi pensifs. Les jeunes et les autres éprouvent donc un fort désir de vivre, lequel ne passerait plus maintenant par le vote démocratique ? Et par où faudrait-il donc passer, si dans l’arène sociale et géographique menace la grande navrance d’un retour à la jungle sur une planète grillée ?

Victor Hugo déclarait : « C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas. » On pourrait parodier cet esprit conscient et prescient, en disant aussi que : C’est une triste chose de songer que la société parle et que le genre humain n’écoute pas !

Que faire devant l’ascension de prestidigitateurs criminels de l’extrême droite ? Rappel : siègent à l’extrême droite les partisans de la réaction, soit d’un retour à l’Ancien régime féodalEt que faire quand nulle force restant en lice ne propose de construire un autre monde que le marais où nous sommes enlisés ? Que faire entre la peste et le choléra ?

Dans la tempête, certains se raccrochent aux haubans tandis que d’autres sautent à la mer. Ma petite-fille assurait un jour : « Le droit de vote a été dur à conquérir. Il ne faut pas le lâcher ! » Alors, plutôt qu’aller à la pêche, reste une solution à la fois digne et honnête : en rejet de bulletin noir et en l’absence de bulletin rouge, c’est le bulletin blanc.

Places du Salin et Parlement : de tout pour faire un monde ? (RMP 21/06/2021) 

Trois ans tout juste après son arrivée à Toulouse, Dominique Alzéari va être nommé avocat général à la cour d’appel de Paris. Ce changement de poste intervient après plusieurs alertes sur des problèmes de management au sein du parquet de Toulouse. Par-delà le covid, les questions sociales nous rattrapent. En matière judiciaire aussi. Et les historiens nous apprennent la rémanence du « temps long ».

Le « palais de justice » se trouve entre deux places conjuguant des signes d’intolérance. Au flambant neuf palais sont cités en comparution immédiate de jeunes manifestants. À l’édifice racheté pour en faire un temple, se retrouvent des descendants de protestants chassés de la ville.

Au carrefour Duranti, une tour moderne de briques, étrave d’un curieux navire ancien et moderne, s’enfonce dans la ville. En les locaux réaménagés (les avocats durent « s’exiler » à la Maison des avocats située rue des Fleurs) la voûte culmine à 25 mètres, de quoi inspirer crainte et respect aux prévenus ! Crainte, sans doute. Mais où est le respect d’un pouvoir qui se prétend par ailleurs barrer la voie à l’extrême droite, tout en usant de pratiques policières répressives dignes des régimes dictatoriaux ?

Au N°7 est la maison de l’Inquisition (à droite des vestiges de l’enceinte romaine du Ier siècle). D’apparence vraiment médiévale, cette maison rappelle la terrible institution qui succéda à la croisade en notre propre pays. Passons sur l’entreprise connue, en notant seulement qu’elle laisse une marque non seulement sur les lieux et les esprits, mais aussi sur les corps, sans oublier les vêtements : sinistre présage que le port de la croix jaune imposé alors aux hérétiques !

Autre lieu, autre temps, place du Salin (qui doit son nom au Salin royal où les agents royaux percevaient le droit sur le sel) voici le temple du Salin : lieu de culte protestant installé début du XXe dans l’ancienne Trésorerie royale du XIIIe. Il compte parmi les rares points de culte réformé qui restent à « Toulouse-la-sainte », depuis l’éviction musclée et armée des calvinistes au siècle des guerres de religion.

Marque d’un autre âge, au N° 10, un immeuble en joli corondage (nom toulousain de colombage). Passéiste et paisible d’apparence, la façade porte une plaque à un nommé Zeef Gottesman, surnommé le « commandant Philippe », résistant FTP-MOI, étranger mortellement blessé le 19 août 1944, lors des combats de la libération de Toulouse contre les armées nazies.

Pour le sourire, trône en face une statue de Jacques Cujas, professeur de droit, grand juristes humaniste français. Figure qui connut un destin à rebondissements  : récupérée sous l’Occupation, remplacée en pierre, décapitée puis refaite en résine d’après le moule original. En écho dans la salle des pas perdus de la Cour d’Appel, voici la statue de Jean-Etienne Duranti (avocat et président du parlement ayant siégé ici), victime de la même guerre de religion. Au souvenir du sort de la statue de Jean Jaurès (maintes fois disparue et reconstituée), on reste pensifs devant les démêlés des humanistes et de leurs statues à Toulouse !

Le sourire se tarit à voir sur le terre-plein aux platanes côté Ouest, de légers pieds en ferronnerie qui supportent une plaque où est inscrit : « HOMMAGE aux penseurs précurseurs des lumières, victimes de l’obscurantisme, qui ont étudié ou enseigné à Toulouse… » et suivent des noms dont le premier est Vanini. Énigmatique temps où l’on réservait un mauvais sort aux philosophes, à la « ville rose » comme ailleurs !

Giulio Cesare Vanini (1585-1619), philosophe libertin, fut précepteur à Toulouse. Arrêté par l’Inquisition, il fut accusé d’athéisme et l’on insinue parfois qu’il aurait eu des « mœurs contre nature ». Des récits contemporains suggèrent une « corruption de la jeunesse », ce qui n’est pas sans évoquer les accusations antiques contre le philosophe athénien Socrate. Le procureur peina à prouver qu’il était hérétique mais Vanini fut « convaincu » (!) de blasphème et athéisme. Le Parlement de Toulouse le condamna à avoir la langue coupée, à être étranglé puis brûlé. L’exécution eut lieu le 9 février 1619 sur cette même place du Salin. Les chroniques disent que le supplicié poussa un horrible hurlement lorsqu’on lui trancha la langue, acte barbare, évidemment lourd de sens.

Histoire citadine très peu « bizounours ». Laissons au moins les derniers mots à la pensée du philosophe : «La matière du ciel n’est pas différente de celle de l’homme ou du scarabée». «Il n’y a ni Dieu ni diable !»

Parc toulousain : le retour du public ? (Radio Mon Pais 07/06/2021).

Une nouvelle saison va commencer au Parc Toulousain puisque à compter du 9 juin : « Les lieux de culture et les établissements sportifs pourront accueillir jusqu’à 5 000 personnes avec le pass sanitaire. »

Notons que depuis longtemps les citoyens n’avaient pas été assujettis à la fourniture d’un ausweis pour se rendre en un lieu public. On se perdrait aussi en conjectures sur le caractère constitutionnel ou pas de discriminer une partie de la population, fût-ce sous un prétexte sanitaire. Contentons nous de réfléchir sur les conséquences de la situation dans les îles dites du Ramier.

L’ensemble situé sur des îles entre les bras de la Garonne fut jadis l’objet d’un grand projet de centre vert de loisirs et de sports, repris récemment par la municipalité et que j’ai évoqué il y a peu. Actuellement fonctionnent des activités de plein air encadrées par des associations, comme l’aviron et le tennis avec l’Émulation Nautique et le Rowing-Club. Mais si l’endroit est resté un site de promenade où les familles purent il y a peu se rendre à nouveau les dimanches, la piscine municipale et le Stadium, entourés de pas mal d’installations sportives, restaient interdits au public.

J’ai évoqué le vaste projet de récupération et installation d’un Parc Garonne : faire de l’île du Ramier un poumon vert de Toulouse et un espace de détente. Il est clair que la situation n’était guère favorable à l’avancée du projet global avec ses parties de construction de passerelles. Souhaitons qu’il en soit bientôt autrement.

S’agissant du ramier, de l’occitan ramièr (bois au bord d’un fleuve) on l’atteint par le pont Saint-Michel qui donne accès du nord au sud, aux îles et îlots.

À l’entrée du premier îlot s’ouvre une série de gradins de dalles et gazon descendant vers un bras du fleuve. Cet espace de plein air, destiné à un usage encore flou, fut aménagé en lieu et place du RAMIER, dancing célèbre et très fréquenté. Dans l’établissement disparu les couples se serraient sur la piste, alors que les gradins de rencontre actuels laissent au moins le loisir de garder les distances avec les inconnus !

Différent est le cas de la piscine municipale. Construite au début des années trente, elle a quelque chose d’une réalisation « front populaire » à mission pédagogique et ludique pour le grand public. Avec le plus grand bassin extérieur de France, c’est une sorte de plage populaire très fréquentée en été tandis que l’hiver deux bassins permettent l’apprentissage de la nage, notamment aux écoliers. L’ensemble ne pourra ouvrir qu’à partir du 22 juin et sur réservation, au même titre que les autres piscines toulousaines.

Pour le sourire, j’aime à conter comment elle fut baptisée Alfred Nakache. C’est l’histoire de l’ascension sportive d’un gamin qui portait ces nom et prénom. D’origine juive en Afrique du Nord, il apprit à nager dans un bassin au fond des gorges du Rhummel à Constantine (Algérie). Plus tard il participa aux fameux jeux olympiques de Berlin, puis devint champion du monde de natation. Raflé sous Vichy à Toulouse avec sa famille, il connut Drancy puis le camp d’extermination. Alors qu’on ne savait pas encore si ce déporté en reviendrait, le nouveau maire Raymond Badiou, issu de la Résistance, soutint l’idée de baptiser la piscine municipale du nom d’Alfred Nakache ; la proposition émanait du conseiller municipal communiste Jean Weidknnet (futur grand-père de mes filles).

Mais c’est au Stadium que les limitations de jauge vont se faire le plus sentir. Limitée à 5 000 spectateurs, l’assistance devra s’égosiller pour encourager l’équipe locale. Ce Stadium de Toulouse, précédemment appelé Stadium municipal, est la plus grande enceinte sportive de la ville (plus de 33 000 places assises). Jusqu’à sa rénovation en 1998, il était surnommé le « petit Wembley ».

Car y joue entre autres le Stade toulousain qui dispose aussi de son propre stade au nord de la ville, pépinière de jeunes rugbymen, traditionnel champion de rugby (à 15 s’entend depuis que le rugby à 13 fut interdit sous Vichy lors d’une étrange histoire qui reste à conter).

Avouons que des toulousains qui se déplacent en masse pour assister au Stadium à des matches enfin publics, grâce aux navettes spéciales qui relient le stade au métro les jours dits, il en est aussi pour y goûter d’autres spectacles sportifs, dont le populaire et populiste football. Il reste que, selon Henri Rozès : «Au royaume du Pastel, le rugby est Dieu.»

Terrasses : enfin la Liberté ? (RMP 31/05/2021)

Avec la levée d’interdiction des terrasses de cafés, la ville retrouve ses atours. Tout récemment puisque restaient encore interdits les bords de Garonne, Place de la Daurade et la prairie des filtres. Donc, la place du Capitole redevient l’agora. Quoi du virus et de sa propagation ? Parlons d’autre chose avec les beaux jours ! Sur les terrasses devant les arcades s’attablent des touristes et des toulousains. Limité en nombre par les mesures sanitaires, le plaisir reste sur la plaza mayor illuminée de soleil.

Et d’histoire aussi. Car les pierres en ont une, en relief ou pas. Si le parvis, orné de la croix occitane boulée et affublée de signes du zodiaque ainsi que les fresques aux plafonds des arcades sont affichés devant l’hôtel de ville, les hôtels-restaurants et surtout les cafés, sont une institution. Les plus anciens datent de la réalisation de la place au XIXe siècle.

Au terme de toute une épopée, c’est dans la première moitié de ce siècle que la place prit enfin son aspect actuel : les côtés sud, nord et ouest successivement construits dans un style néo-classique toulousain sur les plans de l’architecte de la ville, Jacques-Pascal Virebent qui s’illustra aussi en plusieurs autres points de la cité.

Parmi les établissements nés à cette occasion, le Grand hôtel de l’Opéra, le Bibent et le Café Albert. On déplore aujourd’hui la disparition de lieux et leur remplacement par de tout autres types d’établissements. Mais une démarche municipale sauva le café Bibent. Ce dernier où se tinrent à diverses dates des réunions d’une intelligentsia, est restauré dans le style Belle époque, offrant sous un décor munificent un confort velouté. De ce même côté Sud, en lieu et place des magasins C et A, à l’autre coin de la rue Saint-Rome, fut le Café de la Paix, lieu de prédilection de Jean Jaurès.

Pour le sourire, côté nord où trône actuellement un Mc Donald’s, s’ouvrait le Tortoni, quartier général des anciens résistants et lieu d’accueil des étudiants étrangers dans les années soixante-soixante-dix. Une vitrine commerciale flanque ce « Macdo », en lieu et place de l’ancien Mon Caf’, lieu de rendez-vous de pieds-noirs après le « rapatriement » pour cause d’indépendance de l’Algérie. Parfois volèrent des chaises : rixe entre des consommateurs des deux terrasses qui, pour être voisins sur la place, n’étaient pas moins opposés par les événements.

Sourire toujours, mais plutôt amer, en ce lieu actuel de l’hôtel Crowne Plaza au N° 7, fut autrefois le Grand hôtel de Paris, tenu par les époux Mongelard qui y cachèrent aviateurs, résistants et Juifs, alors que l’établissement était fréquenté par des officiers nazis. Malheureusement, les tenanciers furent dénoncés, arrêtés, emprisonnés et déportés. On peut voir le N° matricule brodé à Ravensbruck par la dame, sur une pochette encadrée à l’intérieur de l’hôtel. On peut aussi en savoir davantage en contactant l’association AFMD (amis de la fondation pour la mémoire de la déportation) ayant pour adresse électronique : dorlayne@gmail.com . Entrer par le début de la rue Gambetta où, avant une jolie façade Art Nouveau, s’ouvre un passage sur le patio, terrasse intérieure ornée de sculptures et fontaines.

C’est sur la place que s’étalent les fameuses terrasses extérieures où, devant le Capitolium, l’on se dispute les places en ces temps de jauges limitées. J’évite de citer tous les établissements, nombreux et jaloux de leur territoire. C’est un privilège coûteux de pouvoir consommer ici sous un ciel de pastel souvent serein entre les façades mandarines dites roses. Je dis bien : consommer. Car on ne produit guère dans les cafés (n’en déplaise aux existentialistes de jadis) tandis qu’on y échange ces banalités qualifiées de « propos de comptoir ».

N’empêche que ces terrasses et les salles qu’elles accompagnent, recèlent la mémoire d’événements pas futiles du tout. Sous les arcades, l’ancien café Durand, devenu le Florida après 1940, toujours de style « Belle époque » avec sa verrière et ses miroirs peints au plomb, fut jadis fréquenté par nombre de réfugiés espagnols. Quant au splendide Bibent, il fut couru par des officiers de la Wermacht qui, dit-on parfois, montaient volontiers à l’étage pour rendre les honneurs à des dames accueillantes.

Claude Brasseur assure : « Vous mettez Loana et Steevy à la terrasse du Fouquet’s, il y a une révolution. À la table d’à côté, vous mettez Michel Tournier et le professeur Charpak, il n’y aura personne. » Dommage !

Cinémas : enfin la renaissance ? (RMP 17/05/2021)

Mercredi 19 mai, c’est le printemps des salles culturelles publiques, entre autres des cinémas. Car vont rouvrir les salles du centre, celles du Gaumont place Wilson, reste des nombreux cinémas ayant jalonné autrefois le quartier, ainsi que l’a évoqué Jean Tutenges il y a quelques semaines.

Enfin, on va pourvoir à nouveau faire une queue pour obtenir des places ! A moins que devienne obligatoire la location par internet, ce qui, convenons-en, serait tout de même moins ubuesque que se presser dans une file à touche-touche. On se doute, bien que le détail n’en soit pas connu, que les règles d’hygiène édictées l’an dernier seront grosso modo reconduites, à savoir notamment le port du masque dans le hall et une distance minimale entre les spectateurs dans la salle.

Donc, en route bientôt vers les cinémas. Enfin, ce qu’il en reste ! Car si l’on ne veut pas faire le catalogue de toutes les salles fermées depuis la guerre, force est de noter que sont disparues récemment les salles de l’ancien UGC qui se situaient à quelques pas de là vers Jean-Jaurès, derrière une façade de style Art déco dont j’ai déjà parlé. Pour cet immeuble à la destination pour lors imprécise seraient ourdis divers plans dont celui d’une exposition de produits de luxe. La rumeur assure qu’un groupe et le chef Michel Sarran (bien connu à Toulouse où il patronne plusieurs établissements) nourrissent un projet de restaurant sur les deux derniers étages. Alléchante idée ! Mais l’édifice ayant longtemps abrité des salles du 7e art très fréquentées, on peut cependant espérer que ne sera pas effacé ce souvenir et donc que subsisteront des activités culturelles vitales au centre de la cité.

En ces temps de bouleversements on peut aussi espérer que ne sera pas oubliée une histoire attachée au lieu, souvenir de jeunes qui – difficile d’user de mots non ronflants – jouèrent ici leur vie contre le racisme et le fascisme et pour la liberté. Elle est contée sur un pan de mur à l’extrême droite de l’entrée, par une petite stèle évoquant l’attentat à la sortie de la projection d’un film de propagande antisémite nazi : « Le Juif Süss », commis par un groupe de jeunes résistants.

Il faut penser aussi, bien sûr, aux salles d’Art et Essai qui animent la vie artistique et intellectuelle toulousaine non loin de là, du moins hors temps d’épidémie ; celles de l’Américan cosmograph rue Montardy, celles de l’ABC rue Saint-Georges et celles de la cinémathèque rue du Taur. Pour la cité de la plus grande université après Paris, gageons que les retrouvailles avec le cinéma d’auteur sont très attendues et seront vraiment honorées. Espérons-le pour la rue Montardy, dans la tradition des anciennes salles de l’Utopia qui, d’abord sous d’autres appellations, projetèrent durant des décennies. Espérons-le aussi bien pour le triangle du 7è art à Toulouse, constitué depuis longtemps autour de Saint-Sernin par l’ABC, la cinémathèque et l’ENSAV (école nationale supérieure d’audiovisuel).

Pour le sourire, à quelques pas des Gaumont de la place Wilson se trouve le café « Cosmopolitain » (1 rue des Trois Journées ) qui serait bien connu de noctambules toulousains, du moins lorsque le couvre-feu ne baisse pas les rideaux des cafés. Petite vitrine à grande histoire ! L’épopée de cette petite salle est évoquée par Jean-Paul Dubois dans son roman : Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, prix Goncourt 2019. Sous cet auvent en dent de scie était le cinéma « Zig-Zag » où sa mère projetait des films d’auteur. Je me souviens y avoir visionné J’irai cracher sur vos tombes, réalisé par Michel Gast en 1959 et adapté du roman de Boris Vian, publié sous le pseudonyme de Vernon Sullivan. L’histoire veut que Vian est décédé à Paris, suite à la projection de la première du film. Des années après, cette salle devint un cinéma « porno » (rien à voir avec Pornon puisque mon patronyme vient du celte en Bourgogne tandis que « pornographie » est issu du grec ancien).

Reste à noter que vont aussi rouvrir les musées, les monuments et les théâtres, ce qui était pour le moins très attendu et très revendiqué, non seulement par les travailleurs de la culture mais encore par les français moyens qui verraient mal de devoir se contenter longtemps des petits écrans, télévision et plateformes.

Car enfin, comme a dit un jour Jean-Luc Godard : « Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse. »

Flou artistique sur la digue rive gauche : désobéissance ? (RMP 10/05/2021) :

Je n’ai guère l’âme d’un délateur, mais mon regard curieux est attiré par une situation étrange : les pistes de la digue rive gauche de la Garonne encombrées de promeneurs ! Alors que la préfecture de Haute-Garonne a pris la décision de prolonger la fermeture des secteurs de plaisance à Toulouse comme les quais de la Garonne et la prairie des Filtres, voici donc que l’on peut cheminer et aussi s’asseoir sur la partie en question : les pistes bétonnées qui suivent la digue en haut et en bas.

Impossible de rater cette digue de la rive gauche, haute muraille de béton que certain disent trop haute : « la rive droite serait inondée avant que le niveau de l’eau atteigne son sommet », et regrettent que, élevée au bord de la Garonne, elle sépara le quartier du fleuve après démolition des jardins.

En fait, une grande partie de la ville de Toulouse est protégée des inondations par un système d’endiguement datant pour les plus anciens secteurs du XVIe siècle, achevé dans sa configuration actuelle à la fin des années 60, puis rénové. La digue de l’avenue de Muret entre le pont Saint-Michel et le pont de la Croix-de-Pierre, à parement maçonné côté Garonne et enherbé côté ville, est haute de 8 m et permet depuis longtemps de suivre d’en haut le cours du fleuve. Mais elle coupait ce fleuve de ses riverains.

Adieu les guinguettes des terrasses au bord de Garonne, adieu les promenades en barque, adieu aussi les baignades dominicales ! C’est pourquoi – après de longues demandes – furent suspendus des escaliers et des plans inclinés permettant l’accès à une nouvelle promenade cyclo-piétonne, située à la base de la muraille. Cette zone de passage proche de la Garonne conduit soit en amont, soit au centre. C’est également lieu de loisir apprécié et fréquenté, offrant même un mur d’escalade très utilisé par des grimpeuses et grimpeurs.

Or donc, tandis que l’on est arrêté à l’entrée de la Prairie des filtres par des barrières agrémentées d’un cerbère en uniforme, on peut sans souci descendre au pied de la digue ou bien monter à son sommet, afin de cheminer le long du fleuve, en direction de l’amont vers le pont Pierre de Coubertin (pont du Stadium) et plus loin encore jusqu’à la rocade et même à l’Oncopole.

A la vérité, la piste inférieure au bord du fleuve fut aussi durant le confinement fermée de barrières portant des écriteaux qui menaçaient le contrevenant de tous les risques possibles. Mais il suffisait de s’en approcher pour constater que les barrières étaient repoussées et que les promeneurs et sportifs descendaient escaliers et plans inclinés opportunément établis après des décennies de coupure entre riverains et fleuve.

Pour le sourire, les barrières ont aujourd’hui disparu devant le désir de liberté. S’agit-il de désobéissance citoyenne ou bien de tolérance municipale ? Probablement les deux, mon capitaine, l’une ayant inspiré l’autre, ce qui s’appelle naviguer à vue. C’est ainsi que si vous passez par-là le mercredi ou la fin de semaine, vous pourrez croiser maints piétons et cyclistes, et admirer les pêcheurs et les groupes de grimpeurs sur le mur d’escalade. Comme quoi, plus le temps passe, et quel que soit le risque (lequel reste d’ailleurs à démontrer), il devient difficile d’empêcher de jouir sans entrave. Merci l’esprit de soixante-huit !

Pour la grimace, je rappelle à toutes fins utiles, que jusqu’au mardi 18 mai à minuit, restent interdits à la population les lieux suivants :
Les berges de la Garonne situées en contrebas de la place Saint-Pierre, du quai Saint-Pierre, du quai Lucien Lombard, du quai de la Daurade, du quai de Tounis et correspondant à la promenade Henri Martin.
– La place de la Daurade.
– La prairie des Filtres.
– Le quai de l’Exil Républicain Espagnol.

Je rappelle aussi que le non-respect de cette obligation expose les contrevenants à une amende de 135 euros jusqu’au mardi 18 mai à minuit donc.

Et je note l’exception faite pour les pistes de la digue rive gauche, ce lieu sans doute moins connu et plus éloigné pour les étudiants et les travailleurs du centre. Ce qui confirme, s’il en était besoin, que les quartiers rive gauche, surtout au Sud, sont à part de la cité. Non loin du Mirail, ils restent aujourd’hui, moins policés que le centre-ville avec leur population plus mêlée et leurs jardins privatifs. Ce qui en fait les travers, et aussi le charme.

La Dalbade : convictions pas mortes. (RMP 03/05/2021)

De catastrophe en fléau, cet étrange vieux quartier, aussi touché par le confinement, semble devoir rester indifférent à sa levée prochaine. Pourtant, rien ne saurait être indemne de ces jours de maintenant, surtout pas les édifices publics (exceptée l’église).

Cette église de la Dalbade, dans la rue éponyme, quoique amputée par la catastrophe survenue en 1926, l’effondrement du clocher le plus haut de la ville, semble se tirer tranquillement de la situation. Au nom de l’ancienne église couverte d’un enduit blanc à la chaux (albata), elle montre un étonnant tympan de céramique polychrome, œuvre du toulousain Virebent au XIXe siècle d’après le couronnement de la Vierge de Fra Angelico.

Dans les rues voisines, les commerces sont clos et n’ouvrent pas à partir de ce 3 mai. Rue Joux-Aigues (entre celle des Filatiers et des Paradoux) comme ailleurs. Une pancarte en occitan dit : josaica mais Juzaigas aurait désigné le quartier juif, où restent sans doute peu de ces gens tandis qu’avec leurs convictions ils ont essaimé et vécu ailleurs, du moins quand ils le purent dans les bouffées d’antisémitisme de l’histoire.

Au prolongement de la rue de la Dalbade, 31 rue de la Fonderie s’ouvre un porche donnant sur la cour de l’Institut catholique dit « La Catho », établissement privé d’enseignement supérieur comprenant un important choix d’études littéraires, de sciences humaines et de droit ainsi que de théologie et aussi des écoles supérieures professionnelles. Nettement marquée par son appartenance religieuse, La Catho est aussi réputée pour la qualité de son enseignement et aussi son ouverture d’esprit. Elle est néanmoins fermée, comme les universités et grandes écoles, à la présence d’étudiants.

Ce quartier d’apparence poussiéreux est en fait animé par la foi et l’histoire, en fin de compte par la culture, avec aussi l’Hôtel des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, au N°32 rue de la Dalbade. Parfois désigné comme Hôtel de Malte (voir la croix de Malte au-dessus du portail), cet hôtel fut le siège du grand prieuré hospitalier. Devenu propriété nationale à la révolution, il fut racheté par la corporation des marchands de draps, puis au début du XXè siècle par la Chambre de commerce qui y installa son École supérieure de commerce.

Ayant aussi servi d’hôpital pendant la Grande Guerre mondiale, l’édifice fut enfin racheté à la fin du XXè siècle par le Ministère de la culture afin d’y installer la DRAC (direction régionale des affaires culturelles), émanation de ce Ministère depuis la politique culturelle de Mitterrand et de Lang au temps des ministres communistes. Il faut traverser la cour pour atteindre au fond les services de la DRAC (aujourd’hui réduite à une antenne de la direction sise à Montpellier), sorte de double fond moderniste en ce lieu ancien.

La culture réduite en peau de chagrin ? Et de plus objet d’interdit temporaire… comme la foi et comme la Raison, soit l’idéologie. Voilà qui est grave : « le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien (…). Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. » selon Anna Arent. Est-ce ainsi que nos gouvernants gouvernent ?

Pour le sourire, on descend vers le quai du fleuve en suivant la rue du Pont de Tounis où se trouve au N° 10 un linteau représentant Gambrinus (Jan primus), roi mythique de Flandre, sorte de Bacchus qui personnifie la bonne humeur et la joie de vivre en tenant un tonnelet, ce bâtiment ayant abrité autrefois une ancienne brasserie !

En face, le Centre occitan des musiques et danses traditionnelles (COMDT), site N°2 de l’Ostal d’Occitania, est centre de ressources consacré à la culture occitane, pratiquant stages et formations, échanges avec le bassin méditerranéen, le tout subventionné par les instances locales. Une fresque murale sur les bâtiments rénovés évoque un contenu des formes artistiques, valeur qui fut interdite, puis marginalisée et enfin victime aussi de la fermeture au public.

Or, par-delà les consensus mous et vides ressassés à longueur de médias sous influence et englués dans crises et pandémies, il est pourtant ici encore question de l’essentiel, de conviction et d’âme, avec la grande culture résistante aux standards, celle de la poésie d’amour qui éclaire L’Europe envers et contre tout. « Ils [les troubadours] reconnaissent dans l’humain un autrui, et tous les autruis ont pour eux valeur absolue. » Félix-Marcel Castan.

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