Ecrivain

Catégorie : Réactions aux actualités (Page 8 of 11)

LE FLORIDA : banquet philosophique ? (RMP le 02/11/2020) :

Au café Le Florida, place du Capitole, la distance est aussi de rigueur mais l’émotion demeure en un lieu emblématique de la ville, très fréquenté et où je fis mes premières parties de flipper en tant que lycéen à l’école buissonnière il y a… plus de soixante ans.

Salle de réunion jadis fréquentée par des réfugiés espagnols puis par des militants étudiants, l’endroit doit son succès à sa situation et aussi à son atmosphère « Belle époque » avec miroirs peints au plomb par le nommé Bordieu pour l’ouverture du café en 1874.

Invité à y retrouver quelqu’un au cours d’un banquet, mon émotion fut redoublée lorsqu’on aborda le sujet de la fin de vie et du souci de ne pas « mal mourir » en France. La déléguée départementale de l’ADMD (Association pour le droit à mourir dans la dignité) confirma que dans le pays des droits de l’homme on n’a toujours pas le droit de choisir une fin digne et sans douleur. La loi, régulièrement revue pour calmer inquiétudes et aspirations de la grande majorité des gens, ne permet en effet qu’une mise en sédation profonde et prolongée.

Sachons que cela fait en quelque sorte mourir de faim et de soif. Et encore est-ce le corps médical qui décide l’acte et le moment, et non l’intéressé ! Il existe une possibilité que publie l’association : désigner par avance une « personne de confiance » et signer des « directives anticipées ». Mais le médecin peut s’y conformer… ou pas ! Soyons donc clairs, on n’a toujours pas le droit de décider et de régler sa propre mort. Ce tabou est des plus violents de notre culture, les charges d’associations ultras catholiques contre l’ADMD confirment : seul dieu décide de ma mort, si bien qu’un suicidé n’a pas droit aux obsèques religieuses…

Que l’on est loin du banquet antique ou le philosophe boit de son propre chef un bouillon de ciguë parce qu’il juge devoir mettre lui-même fin à ses jours ! Nicolas Bedos dénonce la loi Leonetti, qui exclut l’acharnement thérapeutique mais condamne l’euthanasie dite active. «Quant à la prise en charge des patients en fin de vie, nos courageux soignants méritent une formation psychologique afin que ceux qui s’en vont emportent avec eux des souvenirs de douceur, de respect et rien d’autre », poursuit le réalisateur de La Belle époque.

On a entendu parler d’Alain Cocq, atteint d’une maladie dégénérative orpheline, dont Emmanuel Macron a décliné la demande de bénéficier d’un sédatif pour mourir. Le président a rappelé ne pas être «au-dessus des lois». Ces lois, il appartient donc au peuple de demander à les changer. Si la terreur médiatique propagée au temps de la covid lui laisse encore son libre arbitre…
Ce combat pour le droit à sa propre mort rappelle le long combat pour le droit à l’avortement qui aboutit en France quand Simone Weil fit voter l’assemblée. En repassant dans ce bistrot qui abrite fréquemment des réunions humanistes, je me prends à songer, tout en contemplant au plafond la verrière décorée de plantes et fleurs. Comment meurt-on aujourd’hui en soins intensifs, dans le coma ou pas, sous autorité de qui, sans accompagnement familial ? Est-ce un fait de « progrès » et d’humanité que cela ?

Je me souviens comme la compagne d’un ami me transmit une demande d’aide pour son compagnon en fin de vie, lequel n’avait même pas accès aux soins palliatifs dans un hôpital du Sud trop plein. Et je me souviens de mon sentiment de totale impuissance, à la fois douloureux et source de colère.

Pour le sourire, fuir l’idée de la mort me rappelle la chanson de Jean Ferrat : « Une femme honnête n’a pas de plaisir », qui, on l’imagine, éteint la lumière afin de ne pas voir ce qu’elle s’interdit, tout en le pratiquant ! Curieuse logique de vivre en évitant de penser à la fin…

Opposer un obstacle aux Lumières, c’est la définition de l’obscurantisme. Pourtant, « Philosopher, c’est apprendre à mourir », assurait Montaigne. Cette phrase qui résumerait sa philosophie est perçue comme pessimiste et macabre, alors que Montaigne est le philosophe de la joie de vivre et de l’humanisme, portant l’amour de la vie et de la jouissance à son paroxysme.

Faut-il vraiment se cacher que le chemin a une fin pour jouir du trajet ? Oublier le but et l’origine, c’est circuler ainsi que les « Voyageurs de l’impériale » sur une diligence dont Aragon conte dans le roman éponyme qu’ils ne voient pas la route, allant dans la vie en aveugles.

Hélas, on ne voit guère ce que la cécité peut apporter au bonheur.

CARREFOUR SAINT-MICHEL : “Bienvenue en Absurdie !” (RMP 26/10/2020)

Le carrefour baptisé Duranti (du nom d’un président du parlement de Toulouse, acteur et victime de la guerre de religion) était autrefois désigné du nom de Saint-Michel. Doublé de la place Lafourcade avec sa fontaine Ariège-Garonne, c’est un grand croisement de la cité, aussi lieu de grands marchés dominicaux tandis que s’y élève le tribunal où étaient jugés en comparution immédiate les gilets jaunes. Je me souviens aussi des bals et des grandes foires qui se tenaient là naguère. Or, passées 21 heures l’endroit est désert, car nous voici au temps du couvre-feu.

Au Moyen-Âge une sonnerie avertissait d’éteindre les lumières et de ne plus sortir, pour raisons de sécurité contre les incendies ou… contre des malandrins ou révoltés. Mesure souvent, voire toujours, ambiguë, le couvre-feu décrété soi-disant par sécurité, l’est aussi pour contraindre par force. Et je me souviens d’un autre temps pendant la guerre d’Algérie où la métropole était aussi secouée.

Bientôt en situation d’être mobilisé, je bravais pourtant la nuit déserte pour filer vers un rendez-vous galant, quand je fus arrêté en plein carrefour Saint-Michel par une voiture de police d’où descendirent hommes équipés avec chien. Par bonheur, muni de mes papiers, on me laissa poursuivre sur ma bonne mine. Mon souvenir est vague du fait des décennies écoulées, le lieu était désert, mal éclairé et n’avait pas encore été l’objet des grandes transformations qui creusèrent un passage souterrain pour les voitures avant qu’il fût comblé pour tenter de redonner priorité aux piétons avec le tramway actuel.

Je me souviens de la pesanteur qui pesait sur la ville, une atmosphère obscure, sinon de nuit et brouillard. Né pendant la deuxième guerre mondiale, je n’ai connu qu’inconsciemment le couvre-feu imposé par la Wermacht. Mais on ressent bien comme la mesure actuelle prolonge l’anaphore présidentielle de la guerre au virus. Sachant que la guerre est un moyen de chercher l’unité nationale à quoi mènera le couvre-feu ?

Les esprits éveillés ne s’y trompent guère. Cette annonce a rapidement fait réagir Jean-Luc Mélenchon qui affirma que “60% des contaminations ont lieu au travail ou à l’école ou à l’université entre 8h et 19h”. “Mais Macron interdit les sorties au bar et au restau entre 20h et 6h”, “bienvenue en Absurdie” ! Ce à quoi crut répondre le ministre de la Santé Olivier Véran, expliquant qu’il (Mélenchon) “confond(ait) clusters et diagnostics” et rappelant que “60% des clusters, ça signifie 10% des contaminations identifiées”.

On se souvient pourtant que 127 étudiants de l’école d’ingénieurs : Institut national des sciences appliquées (Insa) de Toulouse ont été testés positifs au Covid-19 après la rentrée et que tous les cours eurent alors lieu à distance. Laissons aux spécialistes la guerre des idées sur la contamination, en sachant qu’on ne sait pas grand-chose du virus, des moyens de propagation et de défense. L’essentiel est en fait l’enjeu politique et idéologique, ce que Camus n’ignora pas dans L’Homme révolté :
« La philosophie des lumières aboutit alors à l’Europe du couvre-feu […] la Cité universelle, qui devait être réalisée dans l’insurrection spontanée des humiliés, a été peu à peu recouverte par l’Empire, imposé par les moyens de la puissance. »

Pour le sourire, si la part des clusters était – comme assura le ministre – très faible dans le nombre total des contaminations, on se demande à quoi rime la comédie de la détection systématique. Et pour le sourire grinçant, notons que restaurants et cafés, théâtres et cinémas vont certes payer la facture. Mais qui voudrait sortir le soir dans la ville rose ? À une grande majorité, ce sont les jeunes, l’animation nocturne de certains lieux comme la place Saint-Pierre en témoigne habituellement. La plus grande ville universitaire après Paris voit donc ses jeunes cloîtrés, en confinement nocturne, ce qui – ne nous y trompons pas – n’est pas propice aux bons résultats scolaires pâtissant déjà des perturbations de l’enseignement cette année.

Et je me souviens comme un temps fut décrété un couvre-feu visant les Algériens, bien après que les nazis eurent publié le couvre-feu pour les Juifs. Une autre génération et, après avoir mis les vieux dans la case des perdus d’avance, voici que l’on parque les jeunes comme dangereux ! Et règne une odeur dont on se passerait bien en l’occurrence, celle de l’abandon et du rejet de catégories de population.

Pas si loin du racisme…

FAÇADE ARMANDARY : drôle de cinéma ! (RMP 19/10/2020) 

Version revue (après enregistrement pour la radio) :

Sur allées du Président Roosevelt reliant la place Wilson aux allées Jean-Jaurès, près du carrefour et du métro, entre terrasses et boutiques de cafés, restaurations, FNAC, etc. et de petits kiosques marchands de babioles, se dresse au N°9 une belle façade Art-Déco. Des mois enclose d’une grande grille, elle interpelle aujourd’hui par des tentacules verts s’agitant à l’étage et l’annonce sur grands placards rouges d’un spectacle de terreur.

Or, sur ce lieu de passage, rencontres et manifestations diverses, sous ce présent agité et bruyant, gît une mémoire figée dans la pierre, silencieuse si ce n’est dans les esprits anciens. Certains peuvent se souvenir de la grande salle de cinéma « Les Variétés », au temps du cinéma populaire où la file d’attente s’étirait devant l’entrée sous un vaste placard en carton-pâte, réaliste parfois jusqu’au lyrisme pour évoquer le film proposé, ainsi pour « Jeanne d’Arc » ou, dans un autre genre, « Et Dieu créa la femme » avec Brigitte Bardot.

Tandis que le lieu avait été occupé par une salle de théâtre destinée aux opérettes et grands spectacles avec revues, je me souviens du très populaire aussi grand café « Les Américains », sis presque en face, tandis que flanquait ce cinéma, le restaurant « L’Albrighi » fréquenté en famille et abritant en soirée un dancing que l’on hantait en jeunes célibataires, avec un autre centre d’intérêt… Plus tard, cette façade à pans vitrés et piliers arrondis surmontés de vastes baies, édifiée dans les années Trente sous la direction de l’architecte Robert Armandary, fut après réfection, un complexe de salles très fréquenté à Toulouse sous les trois lettres UGC ornant le fronton.

Mais cet ensemble récemment vendu serait dès lors destiné à héberger des commerces de luxe. L’édifice a longtemps abrité plusieurs salles du 7e art qui fait la réputation de la création française ou francophone. Jean-Luc Godard assure : “Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d’autre chose ? Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout.” Dans la seconde ville universitaire après Paris, on peut espérer que ne sera pas effacé ce souvenir et surtout que subsisteront des activités culturelles essentielles et vitales au centre de la cité.

On peut souhaiter encore que soit bien conservée une plaque restant fixée au mur : il faut la chercher sur un pan à l’extrême droite de l’entrée. Elle commémore une séquence de la vie toulousaine jouée en ce lieu-même. La petite stèle cite les protagonistes d’une aventure, en fait une tranche de grande histoire. En 1944, durant l’Occupation, était programmé un film de propagande antisémite nazi : « Le Juif Süss ». Un groupe résistant, la 35ème Brigade des FTP-MOI ( Francs Tireurs et Partisans, Main d’œuvre immigrée), décida un attentat.

Le 1er mars, David Freiman, accompagné de Rosina Bet et Enzo Godéas, s’installent dans la salle. David est juif d’origine russe, venant de Roumanie pour des études d’ingénieur agronome, il commande le groupe chargé de déposer une bombe. Rosina et Enzo jouent un tout jeune couple (ils ont vingt et dix-neuf ans). Soucieux de ne pas faire de victime parmi les spectateurs, ils attendent la sortie. Mais une bousculade fait tomber la bombe qui explose en tuant David, son porteur, et un spectateur, blessant aussi les deux autres résistants. Ceux-ci sont « interrogés », Rosina meurt deux jours après sans parler tandis qu’Enzo est fusillé à la prison Saint-Michel.

Pour le sourire et un autre registre, je me souviens que dans la file d’attente pour « Et Dieu créa la femme » nous avions aperçu notre prof d’anglais ! Et aussi qu’en fréquentant le dancing de l’Albrighi, je fus accompagné du propre neveu de David, qui savait bien se distraire tout en n’oubliant pas son histoire familiale pourtant occultée alors que, sans les exploits des jeunes résistants, l’emblème nazi flotterait peut-être encore sur ces allées toulousaines…

Enjeu d’aujourd’hui, que la transmission ou pas du souvenir de ceux qui ne s’en laissèrent pas conter par une omniprésente propagande collaborationniste. Alors, ne manquons pas sur ces allées de contempler la façade et de lire la plaque.

Selon le Larousse : Résister : « S’opposer par la force à celui ou à ceux qui emploient des moyens violents. » Question : Comment nommer la pression médiatique terrorisant les gens pour mieux les dominer ? Question encore : Y a t-il loin, de la désobéissance d’une jeunesse à sa Résistance ?

PARC DES EXPOSITIONS : inégaux surdimensionés ? ( Radio Mon Pais le 12/10/2020)

L’inauguration d’un très grand parc des expositions à Toulouse se passe sans grands tambours ni trompettes. Conséquence de la gêne du virus ? Certes, mais d’autres raisons font que l’affaire (c’est le cas de le dire) gêne aux entournures.

Voici donc à Aussonne, non loin des pistes de Blagnac – et des industries d’Aéroconstellation – un parc si étendu qu’il prétend rivaliser avec ceux de Bordeaux et Montpellier, ce que regretta d’ailleurs une commission d’enquête préalable. Son démarrage poussif et son coût prévu (311 millions d’euros compte non tenu du coût réel et de la maintenance à venir), font que trois associations de défense des citoyens accusent. Non au gratte-ciel de Toulouse, Autate (association d’usagers) et Droit au Logement signent un communiqué commun.

Assurant qu’avec la crise du transport aérien,  c’est tout le pari de ce type de parc en connexion avec l’aéroport qui est en faillite, ils se posent des questions :
Pourquoi Toulouse a-t-elle fait le choix de surdimensionner ce projet alors que d’autres villes françaises comme Strasbourg et Lille ont eu la prudence – bien avant la crise du Covid 19 – de revoir le volume des investissements publics à la baisse ?Où en sont les mirobolants projets annexes annoncés : hôtels, restaurations, commerces, activités industrielles et de services ? Où en est-on sur le retour de ces investissements colossaux ? Et pour finir : combien les contribuables ont-ils dépensé pour ce projet jusqu’à ce mois de septembre 2020 ?

Des questions subsidiaires en découlent, entre autres pourquoi n’avoir pas saisi l’opportunité de reconstruire un Parc d’Expositions rénové et végétalisé sur une île du Ramier totalement verte, idéalement situé en centre ville et à l’échelle du tissu agroalimentaire, artisanal, industriel et culturel de la région toulousaine ? De toutes façons, pourquoi n’avoir pas choisi de développer ce Parc par phases successives ?

N’étant pas spécialiste d’équipement commercial local, je ne peux pourtant m’empêcher de poser sur l’affaire un regard citoyen rationnel. A ce moment où se révèle une nouvelle situation, qu’elle plaise ou non, notamment dans l’aéronautique, à ce moment où, que cela plaise ou non, il va bien falloir modifier nos modes de production pour sauvegarder le monde, qu’est-ce qui pousse nos élus à s’obstiner en de tels choix ?

Je me souviens d’Aussonne au temps où je courais la campagne, courant le guilledou et aussi les champignons des prés. Malgré les bruits de projets aéronautiques, le coin gardait parfois un aspect idyllique, en tout cas très champêtre non loin de Toulouse. Commune rurale de 1 000 habitants vers 1970, qu’en a-t-on fait avec ces immenses bâtiments édifiés sur des terrasses titanesques ?

Passe encore si cela tournait à fond, mais que dire quand on en est à racler les fonds de tiroir pour trouver des activités l’occupant ? Et que penser, sachant que le béton est occasion de produire une forte quantité de CO2, cause de réchauffement climatique, tandis que l’on s’éveille à tâcher de reverdir l’environnement des grandes villes comme la ville rose ?

Devant l’énormité des sommes engagées et aussi de celles à venir dans de telles opérations, on peut qu’entendre la voix râleuse du sens commun. Quelle monnaie d’échange et quels dessous de table peuvent accompagner ces marchés et finalement à qui profitent-ils tandis qu’ils sont payés par les impôts des citoyens lambda de la ville, du département et de la région ?

Pour le sourire, Le dernier seigneur d’Aussonne fut Samuel-Jacques-Louis-Jean-François d’Aussonne. Avocat et conseiller au Parlement de Toulouse qui fut condamné à mort en 1794 par le tribunal révolutionnaire de Paris. Si tous les propriétaires de lieux objets de spéculations immobilières douteuses étaient condamnés à mort, il est clair que la guillotine ne chômerait guère.

La peine de mort est certes supprimée depuis longtemps, mais il risque qu’avant longtemps la cécité et l’égoïsme de nos édiles métamorphosent la terre en planète moribonde et les terriens, nous avec parents et enfants, en êtres empoisonnés.

Tahar Ben Jelloun écrit dans L’Auberge des pauvres : « C’est formidable les gens qui ont des certitudes, qui ne doutent jamais. Ce sont des gens en béton. Mais il faut se méfier du béton. La moindre fêlure dans le mur peut entraîner la chute de toute la maison. » Quelle chance ils ont, ceux qui ne sont jamais rongés par le doute ! Et quelle inconscience !

RUE GAMBETTA : Où passe le Covid ? (Radio Mon Pais le 5 octobre 2020)

A la rentrée la Haute-Garonne était classée en zone rouge de « circulation active » du virus. Néanmoins, on slaloma rue Gambetta entre stands et tentes de la Grande braderie sur les trottoirs, tandis que place du Capitole se multipliaient tables et chaises pour une grande bouffe. Avec les masques arborés par la foule, l’atmosphère était étrange, ubuesque même.

Car la situation actuelle est digne du Père Ubu. Tous les médias audio-visuels serinent que le virus circule toujours et que meurent en très grande majorité les plus de 65 ans. Et la presse locale informe qu’à Toulouse, les cas de Covid-19 sont en réelle augmentation chez les 20-30 ans. Un logicien décèlerait qu’il n’y a peut-être pas de contradiction, mais poursuivons.

Une semaine après la rentrée, 64 écoles, collèges et lycées de Haute-Garonne faisaient l’objet de mesures ciblées (fermetures, quatorzaine) après des cas de Covid-19. Mais, la situation restait sous contrôle selon l’administration. Pas selon Alexia Seguin du SNUIPP (syndicat de professeurs des écoles) affirmant une tension maximale, sans solution pour dédoubler les classes et éviter d’avoir de grands groupes : « l’administration est débordée et prend complètement l’eau alors qu’en Italie, ils ont recruté 84 000 enseignants ».

Ubuesque encore, cette vision de gens qui s’évitent, se masquent et filent doux pour rentrer vite chez eux, tandis que sur les berges de la Garonne s’assoient côte à côte des jeunes en joie et en fête. Cette grande nation, pays des sans culottes, des maquisards et des gilets jaunes où l’an passé les rues retentissaient régulièrement des cortèges contre la politique gouvernementale et mondiale, la voici observant une sorte d’auto-confinement effrayé, silencieux, voire honteux, parfois rompu de débordements incontrôlés, voire totalement irresponsables.

Personne du quatrième âge, dite « à risques », menacé de mise en coma artificiel et intubation, traitement long, invalidant et parfois fatal, je ne roule pas moi-même des mécaniques face au virus. Pourtant, on dit parfois que « S’il n’existait pas, il faudrait l’inventer ! » Avec la folle incompétence du pouvoir, apparut qu’il sait à l’évidence très bien exploiter la situation pour accroître son emprise sur le peuple. Selon Leo Strauss, philosophe politique états-unien, en inventant ou en entretenant une « guerre perpétuelle », le peuple pourra être mené « pour son propre bien ». On voit bien ou Macron a pu faire ses classes.

Sonia Delhaye, médecin réanimateur à Toulouse, déclare : « Le virus est là. La majorité n’en subira pas de dommage significatif. Il est parfois virulent mais on sait maintenant soigner la majorité des cas graves. Alors remettons-le à sa juste place ; n’en faisons pas un terroriste, c’est-à-dire un agent dont l’impact psychologique et sociétal dépasse de loin son impact physique. »

Car pendant ce temps-là, la « pompe à phynances » du Père Ubu fonctionne évidemment toujours : des grands groupes se portent mieux que jamais, concentrant et licenciant toujours plus. Le monde d’après reste le même… Sauf pour l’aviation, j’y reviendrai, ce n’est pas rien. Virus ou pas, la vie est ainsi faite qu’à tous moments elle peut basculer. Ce ne sont pas les murs du Crowne Plaza Hotel qui démentiront, eux qui portent encadré le numéro de déportation de l’ancienne patronne résistante de l’établissement qui se nommait sous l’Occupation : Hôtel de Paris.

Pour le sourire, notre ville vient d’être décrétée en alerte, ville rouge, comme au beau temps de la Libération quand De Gaulle hésitait devant l’accueil des résistants ayant conquis pignon sur rue et Hôtel de Ville. Il y a bien longtemps que le coin n’est au mieux que rose, le blanc ayant progressivement gagné sur le rouge au point qu’aux dernières municipales garda la majorité une droite qui, il est vrai, se dit macronnienne, pour dire ni blanc ni rouge, mais pas rose non plus…

N’en déplaise à Lamartine, le rouge est aussi la couleur des luttes optimistes et généreuses. Qu’on y ajoute le jaune ou le vert, c’est vouloir un monde aux couleurs de l’espoir. Si l’on ne savait plus la couleur du monde qu’on désire, ou pire qu’on ne désire plus, ne resterait que le départ, selon Desnos : « Je partirai vers la côte où jamais un navire n’aborde il s’en présentera un, un drapeau noir à l’arrière. Les rochers s’écarteront. Je monterai. »

Rester debout sur le rivage en brandissant sa couleur, c’est simplement résister.

Square du capitole : une place anti-écologique ? (Radio Mon Pais le 6 juillet 2020) :

Rapport ou pas avec les récentes élections municipales à Toulouse où la vague écolo se brisa par miracle sur le Capitole, je m’intéresse aujourd’hui au square Charles de Gaulle, situé à l’arrière de l’hôtel de ville. Ce qui frappe , c’est le béton. On connaît la dureté de cet élément usité d’habitude pour construire solide. Il est peu habituel, pourtant, de le rencontrer, lui ou un de ses ersatz, en plus grande part dans un jardin public. Car c’est bien un jardin que l’on a pu connaître et apprécier au siècle précédent, avec bassin à poissons rouges, cascade et rocaille, allées serpentant sous les ramées parmi la verdure ambiante.

Or, le square actuel est tout, sauf un jardin d’éden. Sans doute emblématique de la ville, il l’est peut-être plus qu’on ne croit. Baptisé Charles de Gaulle, il offre une stèle résumant les grands actes du grand homme, à quoi répond une statue du chanteur du cru Claude Nougaro. Vers une aire de jeux d’enfants, sur une sculpture callipyge en pierre noire intitulée : « Maternité », grimpent parfois des tous petits devant des papas songeurs…

Sous le feuillage d’une plate-bande proche, se cache un discret monument à l’ « Apôtre de la paix », Jean Jaurès, dont la tête stylisée domine trois plaques de bronze évoquant famille heureuse, travailleurs en lutte et mineurs. C’est que le tribun citoyen du monde qui exerça dans cette cité le métier de professeur et la fonction d’adjoint au maire chargé de l’instruction publique, est l’objet d’un légitime culte à Toulouse.

Un buste en bronze, inauguré quinze ans après son assassinat, avait été abattu sous l’occupation et sauvé par un récupérateur nommé Agapito Nadal. Dérobé, retrouvé et disparu à nouveau, il fut remplacé par une réplique en pierre qui finit dans le bureau du maire. Le conseil général de Haute-Garonne éleva enfin ce monument actuel invoquant celui qui avait tenté en 1914 de conjurer le risque de calamité en dénonçant « les massacres à venir ». Emblématiques démêlés de la mémoire de ce citoyen peu ordinaire !

Sans gloser sur le hiératisme glacial de la place à l’avant du Capitole, un peu compensé par la chaleur des façades aux briques foraines, on pourrait espérer trouver côté face un peu d’eau et de verdure. Or, déambuler en ce plein centre de la cité, c’est passer des plateaux bétonnés, longer des plages de ciment d’où l’eau s’est évaporée, suivre des allées bitumées et d’autres cimentées et encore côtoyer des murs et des escaliers aussi bétonnés.

Que sont devenus les poissons et les moineaux d’antan ? Réfugiés peut être dans les rares ramures subsistantes ? En tout cas pas sur la plage à sec. Aujourd’hui où le compte à rebours est déclenché pour éviter une catastrophe climatique, nul doute que Victor Hugo répéterait : « C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas. ».

Une question vient, en songeant aux désirs actuels de retrouver un peu de campagne et de nature : la capitale de l’aéronautique a-t-elle vraiment le cœur écologique ? On connaît l’odyssée de l’Aéropostale et on aime le souvenir de ces as qui surent profiter du progrès technique en défiant les dangers pour élever dans les airs la poste et le prestige de l’aviation toulousaine. On sait que l’industrie aéronautique a fait vivre et fait encore vivre l’agglomération. On sait même que sa crise annoncée ne présage rien de bon pour le reste de la ville rose. Alors, franchement, si l’on fouillait dans le cerveau du toulousain moyen, bien que celui-ci soit souvent issu de la campagne, je ne sais si l’on y trouverait beaucoup d’images de verdure en sa cité.

Pour le sourire, j’ai grandi sous les avions, les Latécoère, les Bréguets, etc, que nous applaudissions au passage sur nos têtes d’enfants. On applaudit beaucoup moins aujourd’hui les rugissants aéronefs, pourtant devenus moins fréquents grâce à la pandémie. A l’école, quand on jouait à posséder le père le plus prestigieux, le gagnant était toujours celui qui annonçait un père aviateur ! Je me souviens aussi, et j’en reste pensif, que dans les milieux sociaux cultivés où l’on débattait, on arborait un petit sourire condescendant, lorsqu’il était question d’écologistes. Parce que ceux-là, ils étaient bien gentils, mais il fallait quand même parler de choses sérieuses !

Alors, je veux laisser le mot de la fin de cette chronique et de cette saison, à l’humoriste Alphonse Allais : « On devrait construire les villes à la campagne car l’air y est plus pur ! »

Studio de RMP : Confinement, suite et fin ? (Radio Mon Pais le 29/06/2020) :

Le 23 mars 2020, au début du confinement décrété obligatoire, la Bourse du travail hébergeant RMP (Radio Mon Pais), était fermée place Saint-Sernin et le studio évacué. Pourtant l’émission EDVI (« Excusez moi de vous interrompre ») ne s’interrompait pas, grâce au dévouement et à la compétence du technicien Michel Furios et à la ténacité des chroniqueuses et chroniqueurs qui se mirent à enregistrer à domicile.

En 1980, une radio pirate baptisée RMP, était créée par une petite équipe, dans le mouvement de libre expression des années 70. Une ordonnance de 1945 avait établi le monopole d’État et, comme on dénonça en 68 que la radio nationale fût « la voix de son maître », entre 1984 et 1986, la gauche et la droite firent passer l’appareil des mains de l’État aux mains d’acteurs privés. Avec la télévision, l’information devenait ainsi le plus formidable intrument de pouvoir, au service des propriétaires et accesoirement de leurs alliés politiques.

Jaillirent des idées et tentatives de radios et même de télévisions locales et de quartier, qui firent parfois florès avant de faire long feu, telle « Lorraine cœur d’acier » à Longwy ou TSF que je connus et pratiquai à Vénissieux. Ainsi résistèrent de nombreuses radios « libres » qui se virent imposer bientôt une réglementation. Radio Mon Païs, installée officiellement à Toulouse sur la bande FM depuis novembre 1982, a une zone de diffusion hertzienne qui s’étend sur environ 60 kms autour de Toulouse.

Pour une appropriation des moyens de diffusion des idées et de la parole, ce média a été porté dès le début par l’engagement d’une organisation syndicale, la CGT. Radio associative, elle se veut « militante, non seulement pour les droits de l’homme, des travailleurs, mais aussi depuis longtemps pour la diversité musicale, culturelle et la prise en compte des différences. »

C’est à ce titre qu’elle comprend dans sa grille EDVI qui fut animée, avec l’aide musicale et technique de Michel déjà cité, par Jo Péron à l’origine, puis assumée de nombreuses années par Michel Lafarge et poursuivie ensuite par Maxime Vivas. On ne compte plus les belles pages dites à ce micro, ni les nombreux beaux invités qui s’assirent parmi nous. Je n’en veux citer qu’un, le poète Gilbert Baqué, déclarant : « J’ai écouté le monde ».

Étrange mélange depuis l’origine, que ces chroniques et invités qui traitent des événements sociaux et culturels locaux avec entière liberté, voire parfois grande licence. Ce qui est loin d’être le cas de la plupart des radios et télévisions aujourd’hui, que l’on peut éteindre dès 6 h du matin, tant les idées y sont diffusées comme une rengaine journalière universelle émanant de « sources autorisées », les journalistes souvent changés, hélas, en perroquets à la merci comme à la solde de leurs patrons employeurs.

Pour le sourire, on se souvient de Radio Londres et Radio Moscou qui entretinrent l’énergie résistante dans les années 40. Après la nouvelle de la victoire de Stalingrad à l’Est, le message : « Les carottes sont cuites », annonça enfin l’imminence du débarquement à l’Ouest, transformant la pessimiste expression populaire en message d’espoir. Le « on » qui se souvient, est forcément un vieux rescapé de pas mal de tempêtes. Et l’on apprend que la radio peut compter autant que bien des nouvelles inventions techniques. Ainsi que l’a noté l’écrivain Naguib Mahfouz, « Le poète est parti, la radio a pris sa place. »

Maison de la presse à La Pointe : massacre des journaux ? (Radio Mon Pais le 22/06/2020) :

Il y a peu, c’était fin de confinement au tabac-presse de La Pointe, dite maintenant : « Barrière de Muret ». Les vendeurs étaient masqués et nul quotidien national ne se trouvait sur le présentoir. Depuis, les quotidiens ont réapparu, en partie et en désordre mais sans certitude de longévité, le plus gros distributeur en liquidation partielle. On peut s’en désintéresser en se tournant vers les nombreuses annonces sur internet. Mais cette désertion de la presse sent mauvais, comme une odeur d’holocauste. Car les quotidiens sur papier pourraient disparaître. Serait-ce alors la fin du monde ? Cela pourrait bien, en tout cas, être le début d’un autre monde.

« Le journal », comme on dit du quotidiens régional La Dépêche, scande toujours les jours dans notre bonne ville rose. Mais craignons de sentir que l’arbre cache la forêt ! Que vont devenir nos esprits, si disparaissent les journaux éveillant de bon matin l’information et réveillant la réflexion ? Qu’allons-nous devenir, livrés aux gratuits payés par la pub et à la grand-messe télévisée du soir ? Qu’en sera-t-il de nos cerveaux, vendus pour tant de temps à la publicité, comme a pu le dire un patron ? Contrairement aux dispositions de la Libération, il y a beau temps que bien des journaux sont tombés dans l’escarcelle de grands patrons. Mais qu’en sera-t-il de nous, Français se déterminant et se convainquant selon « leur » journal d’opinion ?

Dire que certains ont déchiffré, enfants, sur Le Pèlerin ou La Croix tandis que j’appris à lire entre autres sur la bande dessinée de Pif-le-chien dans L’Humanité de mon père ! N’en doutons pas, cela importe qu’un tel ait lu Le Figaro ou bien L’Huma, dans le droit fil des journaux nés de la Révolution française et faisant de la politique au sens noble. Après L’Ami du peuple de Marat, on connut bien des titres de bien des opinions comme Combat de Camus, La Cause du peuple de George Sand et celle de Geismar, et aussi Libération de Sartre, ainsi qu’à Toulouse Le Patriote résistant et La Dépêche, dite à l’origine radicale. Serait-ce comme on dit : « radis », rouge dehors et blanc dedans ?

« Sans la liberté de blâmer il n’est point d’éloge flatteur », telle est la précieuse devise du Figaro, signée Beaumarchais. On s’en inspire dans ce titre pour y orienter l’information, à droite toute, certes, et en polémiquant parfois ; mais au moins sans patauger dans ce maussade marasme d’une prétendue communauté de pensée molle comme on la ressasse sur les chaînes télévisées. Pendant ce temps, quel sera le sort du seul organe de presse dite d’extrême gauche : L’Humanité, lequel entretient encore une information et une pensée démocratique française ?

« C’est le bordel ! » dit une vendeuse, tandis qu’une autre prévient : « Les lecteurs vont se lasser… ». La plupart des titres tâchent de se convertir au numérique en proposant un abonnement à prix réduit. Mais la question est : qui et combien vont lire régulièrement sur internet ? Probablement peu de gens du 3è ou du 4è âge. Quelles garanties aura-t-on de la véracité, de l’honnêteté des « news » ? Comment subsisteront les courants de pensée ? Probablement très difficilement face aux grosses machines à gros moyens.

Pour le sourire, car c’est encore le propre de l’homme, reste le Canard enchaîné, un des honneurs de l’esprit français, et aussi, peu le savent encore, cette Huma qui n’hésite pas à garder aussi le ton de la satire. Un jour dernier, le billet de Maurice Ulrich en dernière page disait : « Le problème des marchés, ce n’est pas l’état réel du monde, c’est où se trouve le grisbi, comme on dit chez Les tontons flingueurs. » On ne sait si le papier journal sentira bon l’encre fraîche encore longtemps. Mais tant qu’il y aura ainsi des billets à lire, serait-ce sur écran, il fera toujours bon se lever le matin.

Par-delà des coups foireux annoncés dans La Dépêche à propos des prochaines municipales, un tract du maire sortant à Toulouse, martèle qu’il veut « protéger ». On se demande bien de quoi. Du Covid, de la pollution, de la canicule, des gafam ou bien des rouges ou encore des roses ? En face, la liste « Archipel citoyen » propose des démocrates unis pour une « démocratie citoyenne face au clientélisme ». Ceci sur internet, la toile prenant le relais du papier. Allons, l’intelligence ne va pas tarir du jour au lendemain et alors, la ville sera toujours rose !

Ex-site d’AZF : les affaires de Total (Radio Mon Pais le 15/06/2020).

En 2001 explosait l’usine AZF. Le vieux dicton se vérifiait : « Un jour, ça va péter ! » D’ailleurs, cela avait déjà pété pendant la guerre… J’ai conté cette aventure dans un petit polar (Explosif et vieilles ficelles). Il y a peu, la cour de cassation a confirmé le verdict : amende et prison avec sursis pour des dits coupables. Je ne sais ce qu’en pensent les familles des morts, ni les milliers de celles des blessés.

Ce que je sais et qu’on annonce : le coin va devenir le Parc Garonne, un « parc nature en ville » avec des activités pour les familles (VTT, paddle, accrobranche), tandis que plusieurs activités se développent, nouvelle clinique, nouvel hôtel, téléphérique, grand parc photovoltaïque, etc. On peut déjà se balader ou aller travailler par la piste cyclable et piétonne qui longe le terrain, vers les entreprises dont l’Oncopôle ou les laboratoires Fabre. De quoi retrouver un Pays de Cocagne !

Voici l’histoire d’un lieu où Total s’est opportunément trouvé libéré d’une usine vétuste, bien que contraint de conduire des opérations de dépollution et condamné au bout du compte au paiement d’une somme, ridicule au regard de ses profits astronomiques. « Le spectacle des petits et des grands dangers, des floueries mesquines et des honteuses manœuvres, ce spectacle doit blesser les délicatesses d’un esprit prudent et honnête » écrivait Jules Vallès dans l’Argent.

En passant dans le coin, on peut contempler le lieu où explosa un hangar, zone sous séquestre jusqu’alors, encore en l’état de friche à ce jour. C’est là, je l’ai déjà cité, que se sont installées des familles sans logis, dans des baraques en bidonville, sans aucun équipement, sinon l’eau branchée de fortune sur une borne à incendie.

Et mon esprit court mentalement, depuis Total copinant avec les généraux esclavagistes en Birmanie ou autres affaires plus ou moins louches de l’une des sept « supermajor » compagnies pétrolières dans le monde, jusqu’aux pauvres gens installés sur ce vestige d’un drame qu’elles ignorent probablement, aussi démunies de toutes choses à consommer que de connaissances et reconnaissance.

Le groupe Total, un des plus puissants au monde, possesseur du site jusqu’à l’accident, déclare : « La maîtrise de notre empreinte environnementale, l’amélioration de notre efficacité énergétique ou encore la réduction de nos émissions sont autant d’objectifs de progrès pour le Groupe. » Sur internet, il assure aussi qu’au Congo ils s’occupent de sécurité routière, d’éducation et de lutte contre le paludisme. Dommage que le grand groupe ne soit plus propriétaire de ce terrain ! Parce que, outre que les résidents squatteurs n’y disposent de rien, nul doute que l’on va les déloger avant qu’il soit longtemps.

Pascal Pouyanné, PDG de Total, a confié publiquement à la télévision : « Je gagne 3.8 millions d’euros de salaire [annuel] et je reçois des actions de performance ». On se prend à rêver. Combien de maisonnettes pour ces nécessiteux pourrait-on construire en réduisant sur des années les revenus de ce monsieur et de quelques autres qui gravitent autour de lui ? Et l’on peut aussi se questionner : comment se fait-il que l’on trouve tant d’argent pour aider les entreprises mises à mal par la pandémie , alors qu’en temps normal les caisses sont prétendues vides ? Mais on va dire que je mélange tout. C’est vrai qu’en ce moment les idées se mélangent dans ma tête et qu’il y a pas mal de choses que je comprends mal.

Par bonheur, Total a fait ériger un monument, mémorial aux morts de l’industrie tueuse et néanmoins rapporteuse. Sur une plaque sont égrenés les noms des victimes, tandis que plus loin sont rappelés ceux des tués à la guerre et aussi exposées des traces de l’activité disparue : pavillons, vannes, etc. Le bouquet, c’est un ensemble de tuyaux érigés en bosquet circulaire dans lequel on peut s’insinuer pour écouter des sons d’orgue discrets et harmoniques.

Sauf que, pour le sourire, on se demande si l’on est soudain devenus sourds au souvenir ou bien si c’est la grande multinationale dont la mémoire a tourné court. Car le système sonore de ces orgues artistiques ne fonctionne plus depuis des années déjà, ce malgré des réclamations adressées via la municipalité. Mon appel téléphonique reçut une réponse simple : « C’est l’affaire de Total, Monsieur ! »

Sans doute une bien trop petite affaire pour s’en occuper, en regard de tant d’autres grosses affaires par le monde.

Rue de la Digue : La Résistance n’est pas morte ? (Radio Mon Pais le 08/06/2020)

La « rue de la Digue », parallèle à l’avenue de Muret, longe la digue dominant la Garonne. Cette grande muraille édifiée pour protéger des inondations, a aussi privé les gens du fleuve. Des escaliers et plans inclinés ont permis de retrouver le rivage et l’eau et de se déplacer, à pied ou à vélo depuis le cours Dillon jusqu’à l’Oncopole et au-delà. Or, pendant le confinement cette piste habituellement très fréquentée, était condamnée et les habitants réduits à marcher sur le macadam des rues avoisinantes avec sur soi une autorisation exceptionnelle de sortir.

Car durant deux mois, en République française, les citoyens furent privés du droit de circuler, comme de celui de se réunir, deux des droits fondamentaux conquis si je ne m’abuse par la Révolution française. La santé et la vie motivant tout, on se vit intimer des oukases, sous l’emprise de la force la plus intransigeante : l’acceptation pour raison d’évidence, ce qui est un bel oxymore, l’évidence étant l’opposé de la raison. Citoyens, nous étions soudain changés en sujets voués à obéir sans demander d’autres comptes que les chiffres du Covid 19.

Ce ne fut, espérons-le, qu’un mauvais cauchemar où les chiffres des morts et des gens dans le coma renforçaient le tragique d’une population recluse, apeurée et immobilisée, réduite aux activités vitales primaires, travailler si-possible, manger, dormir et regarder la télé. Des amis confient que, sans poutou des petits-enfants et avec la peur des autres, la vie n’est pas une vie. Ils n’auront pas envie d’aller au cinéma et n’iront pas se jeter un gros rouge ou un petit blanc avec le gel et le masque, surtout pas au restaurant ! Faudra-t-il consommer avec une paille ? On les comprend. D’autres, surtout des jeunes, seraient enclins à se rendre en foule en balade ou au café, pour oublier, se retrouver et pourquoi pas, pour aimer. Cela se comprend au moins autant.

Mais d’où viennent les désirs, les peurs, les indécisions ? De l’internationale des médias, bien sûr ! Car à peu près toutes les chaînes d’informations ont fait chorus. Dictature des faits et des chiffres… Il n’y avait rien à discuter. Alors, où sont les réunions de famille, les assemblées de citoyens, les réunions de quartier, les échanges de voisinage qui pourraient faire le point, organiser, décider, aider et réclamer ? Le repas de rue, rituel chez nous depuis la catastrophe d’AZF ? Disparu ! On en est réduits à improviser des danses de salsa et des apéros sauvages devant chez l’un ou bien chez l’autre.

Autant dire que les habitants sont réduits au rôle de figurants dans un mauvais film dont on attend passivement et quand même impatiemment un happy end. Dans ma rue, les maisons restent maintenant closes, mais pas du tout à la manière des maisons dites de tolérance. Si quelques manifestations d’entraide ont lieu, cela reste quand même chacun chez soi et portes closes.

Et pourtant, pourtant un rayon de soleil, plusieurs rayons, même, ont illuminé ce quartier. Rue de la Digue, justement, voici qu’un matin fleurirent sur un mur des affiches manuscrites improvisées au feutre sur grandes feuilles :

« Du dépistage, pas du pistage ! » ; « Un printemps maladif a chassé tristement l’hiver » Stéphane Mallarmé ; « Je n’ai pas peur, j’ai seulement le vertige. » ; « Je pense à la femme que j’aime, son visage soudain s’est masqué » René Char ; « Ne craignez pas ainsi la mort, craignez plutôt la vie insuffisante » Bertold Brecht ; « Tu tiens entre tes mains ta tête pleine de poésie » Tristan Tsara.

Un moment stupéfait de lire des phrases qui rompent tout à fait, enfin, avec les discours médiatiques si éculés, si répétés, si finalement vides, on se demandait : Qui les a collées ? Qui les a rédigées ? Qui les a appréciées par-delà un brouillard intense diffusé sur la scène du monde ? Peu importe ! L’essentiel est de savoir que l’intelligence, la culture, la conscience et la révolte ne sont pas mortes.

Pour le sourire, grinçant cette fois : des mains ont arraché une partie des affiches. Figurons-nous qu’il est des gens assez débiles pour arracher de tels mots de poètes, mots d’espoir et de révolte, mots d’amour en un tel temps de crise et de crainte ! Comme a dit une féministe : « C’est pas drôle de se faire traiter de conne par un con ! » Alors, ce soir, je vais me promener au bord de la Garonne, avec bonheur. Parce que l’intelligence et l’énergie survivent et parce que l’amour est toujours vivant.

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