C’est « le récit d’un déchirement, de la prise de conscience qui accompagne, pour l’Africain « européanisé » sa propre prise de conscience », écrit le préfacier. Un jeune garçon Peul noble qui s’adonne d’abord au Coran (violemment poussé par un « maître » n’hésitant pas à le brûler quand il se trompe en égrenant les versets), va ensuite faire des études à Paris. J’ai lu cet ouvrage offert par ma fille, avec intérêt et passion même, tant il concerne les oppositions de culture et aussi un questionnement sur notre propre culture européenne. Découverte pour moi, bien que la première édition soit déjà cinquantenaire, ce récit me pesa d’abord par son omniprésente référence religieuse, les pensées attribuées au héros parfois truffées de majuscules chaque fois qu’il s’agit d’un attribut du Très Grand et Très Miséricordieux. Pourtant, le livre se réfère aussi à une réflexion philosophique française. Entre autres, il attribue à Descartes cette pensée : « Le rapport entre Dieu et l’homme est d’abord un rapport de volonté à volonté. » Surtout il évoque la douloureuse conscience de l’exil spirituel, pire encore que celle de l’exil géographique dirait-on. Souvent dérangeant, parfois paradoxal, le texte est sans doute salutaire. J’y ai vu reconnue la valeur de la culture indigène et la fracture culturelle : « je n’aime pas l’école étrangère. Je la déteste. Mon avis est qu’il faut y envoyer nos enfants cependant. ». Aussi fracture existentielle totale… impossible à réduire : « Quelquefois, la métamorphose ne s’achève pas, elle nous installe dans l’hybride et nous y laisse. » Et il y a encore la grande conscience critique du colonisé : « Ils ont été mangés par les objets. Pour se mouvoir, ils chaussent leur corps de grands objets rapides… ». Comme aussi la rencontre du désarroi d’une jeune amie française, « l’exilée des bords de la Seine » : « Samba Diallo venait, sans le savoir, de donner figure humaine à cette partie d’elle que la jeune fille croyait sans visage. » Lecture pour qui ne craint pas s’extraire des évidences.