En résidence d’auteur aidée par le CNL, à Fabrezan (dans l’Aude, à l’orée des Corbières), je redécouvre Charles Cros, natif du lieu, illustre méconnu, pris parfois pour un joyeux farceur. Et ce bien que – excusez du peu – il fût l’inventeur du phonographe et aussi de la photo couleur (évidemment spolié par des Américains !) en même temps que poète, pair de Verlaine et Rimbaud. Ce volume regroupe un premier recueil éponyme de poèmes et aussi le second, paru après sa mort : Le Collier de griffes. Sacré bonhomme, qui mourra sans tambour ni trompettes en ayant conscience que l’on sera passé à côté de lui sans bien le voir : « J’ai tout touché : le feu, les femmes et les pommes ; / J’ai tout senti : l’hiver, le printemps et l’été ; / J’ai tout trouvé, nul mur ne m’ayant arrêté / Mais Chance, dis-moi de quel nom tu te nommes ? ». Lecture poignante, le temps lui ayant donné raison, ses inventions majeures attribuées à d’autres et sa poésie prise pour mineure, avec Le Hareng saur, tout juste bon à « amuser les enfants, petits, petits, petits. » Et pourtant Juliette Gréco le chanta. Et qui se souvient de Brigitte Bardot gazouillant dans le film Vie Privée de Louis Malle : « Sidonie a plus d’un amant, / Qu’on le lui reproche ou l’en loue, / Elle s’en moque également, / Sidonie a plus d’un amant. » (Triolets fantaisistes) ? Par-dessus le jongleur de mots précurseur du surréalisme, cet auteur laissa aussi quelques pièces mordues d’angoisse après la Commune où il participa comme brancardier : « Ceux qui l’aiment disent : « Ce soir, / sera-t-elle vivante ou morte ? » / Les pauvres dont elle est l’espoir / Regardent au trou de la porte. » Il s’agit de la France, autant que de l’insurrection, peut-être aussi d’une amoureuse moribonde, pourquoi pas du pays perdu au loin et dont « on languit » tandis qu’il se déglingue. Ce poème, La Blessée, est dédié : « À ma mère », c’est tout dire. Que le lecteur se rassure, on rigole pas mal quand même. Cros est orfèvre en la matière : « Joujou, pipi, caca, dodo. » / « Do, ré, mi, fa, sol, la, si, do. » Le moutard gueule et sa sœur tape ». Sans oublier de sages conseils, connus mais toujours bons, avant qu’il soit trop tard : « Baisons-nous, avant que mon sang se fige. » Un bol d’air pur sur un marché du livre souvent nauséabond.