En notre temps où se pose la question d’éditer certains textes nauséabonds de Céline, je ne puis adhérer à leur interdiction, pas plus qu’à la privation de prix de la musique de certain rappeur au motif que certain de ses autres textes serait machiste. La chose se combat mieux en la sachant… Je voulus alors lire au moins un des livres de Drieu, sachant qu’il s’est suicidé après la Libération, ayant été « socialiste-fasciste » comme Doriot, quoique on lui attribue d’avoir aidé durant l’occupation des auteurs comme Sartre et Paulhan. Bien m’en a pris car les personnages sont multiples et les auteurs encore davantage. Ce petit roman, fort bien écrit, conte l’histoire d’un jeune homme embauché par une dame pour se rendre sur le lieu où fut tué son fils à la Grande guerre. C’est l’occasion pour le locuteur de revivre et penser la guerre. On sent, entre autres, l’espoir fou de changement par ce moyen fou : « La libération de la caserne, la fin des vieilles lois, l’apparition de possibilités pour moi, pour la vie, pour de nouvelles lois toutes jeunes, délurées, surprenantes. » L’illusion de la jeunesse s’opposant aux « vieux » revient à la fin, renvoyant dos à dos gauche et droite… et conduisant à l’impasse, hier et aujourd’hui, la « bête immonde » couvant toujours dans l’ombre. Le livre est pourtant constellé de jugements philosophiques ou du moins existentiels, forts et interpellant : « Nous n’avions pas de but, nous n’avions que notre jeunesse. » « Les hommes n’ont pas été humains, ils n’ont pas voulu être humains. » « A quoi ça sert de vivre si on ne se sert pas de sa vie pour la choquer contre la mort, comme un briquet ? » On sent aussi, par-delà les déceptions nationales, la fascination pour le « miracle allemand », gros de menace, mais qui relevait alors cette nation vaincue, écrasée et offensée (le livre fut publié en 1934). Pour finir, le héros refusera l’aide de la dame à le propulser en politique. Il est, ainsi que l’auteur, un homme abattu par la vision du monde tel qu’il est : « Sous les orages de la Science et de l’Industrie mon orgueil a été brisé. » Un petit bouquin pas drôle mais édifiant.