Les prix Nobel sont rarement usurpés. Cet auteur confirme. Et son avant-dernier roman persiste. Retrouvé dans la bibliothèque de ma mère et lu récemment pour la première fois. Il y est question du rìo Magdalena, comme dans le dernier film actuel du gendre de ma compagne : Nicolas Rincon-Gille : L’Étreinte du fleuve*. Bolivar s’embarque un jour sur ce fleuve, voie « royale » traversant la Colombie entre les rivages de ses hauts faits. Au début du XIXè siècle, ce « libérateur » libéra du colonialisme espagnol bonne part de l’Amérique du sud et rêva l’unification du continent. Voici le récit de la défaite d’un chef et du dernier voyage d’un homme, en même temps que l’évocation de ses triomphes, avec une maîtrise époustouflante conjuguant histoire et romanesque. Aventure humaine poignante, pour l’union des terres libérées par l’épée mais aussi en vertu des principes humanistes : « nul n’est plus libéral que moi ». Aventure où guide aussi l’amour, désarroi de ne jamais trouver la paix et obstination à se reposer sur le corps et l’âme d’une fille bien vivante, comme cette « métisse vagabonde de dix-huit ans qui sanctifia ses insomnies ». Amour large, encore, de tous et de soi : « quelqu’un mettant son affection en doute, et il était capable de fendre des océans et d’abattre des montagnes avec son terrible pouvoir de séduction jusqu’à le convaincre de son erreur. » Aventure de l’écriture, enfin. À partir de très peu d’éléments factuels, c’est la reconstitution d’un tragique et merveilleux périple, métaphore du départ vers l’au-delà et l’immortalité. Lire Garcia-Marquez, et sentir combien certaines publications hexagonales actuelles sont d’une indigence criante… Ce qui crie en littérature, c’est une écriture qui, sans affectation aucune, est capable d’une touche comme : « on entendait la chaleur souffler », autant que d’un envol métaphorique pur et simple : « le seul contretemps fut provoqué par un bateau à vapeur du commodore Elbers qui passa en sens inverse en sifflant. Les remous de son sillage menacèrent […] Sur la proue on pouvait lire son nom en grandes lettres : El Libertador. Le général le regarda, pensif, jusqu’à ce que le danger fût passé et que le bateau eût disparu de sa vue. « El Libertador », murmura-t-il. Puis, comme qui tourne une page, il songea : / « Et dire que c’est moi. »
*Voir le site : www.losabrazosdelrio.com/fr