Paris ne fut pas seule à s’insurger et à se passionner. Partout en France, étudiants, ouvriers et « gens de la moyenne » manifestèrent une volonté de changement, un désir de liberté et de justice.
Voici un coup de mémoire par l’écrivain Francis Pornon :
Je me souviens de Soixante-huit à Toulouse, la première ville de « province » qui bougea et où le nombre des étudiants était le plus grand après la capitale. Je me souviens des drapeaux rouges et noirs flottant aux grilles de l’hôtel de ville du Capitole. Je me souviens d’une manifestation où des gens âgés nous applaudissaient depuis le trottoir. Je me souviens qu’une autre fois nous passions devant le musée des Augustins en criant : « Dix ans c’est trop ! », en pensant aux dix années de pouvoir de de Gaulle. Je me souviens qu’à la Bourse du travail cohabitaient la CGT et la CNT, confédération anarchiste d’origine espagnole. Je me souviens des réunions fiévreuses dans l’arrière salle du café Saint-Sernin. Parfois, un étudiant tentait d’y convaincre un ouvrier, et parfois c’était le contraire. Je me souviens de réunions dans l’ancienne faculté des lettres rue Albert Lautmann, celle ou avait enseigné jadis Jaurès, et où le tout jeune futur philosophe Daniel Bensaïd haranguait la foule. Je me souviens que, jeune étudiant nouvel adhérent au PC, je fus bombardé secrétaire de cellule de mon quartier. Je me souviens d’une manif au Capitole, le chef des blousons noirs de ce quartier, un jeune aux cheveux dans le dos, venait me demander si je lui permettais de casser… Je me souviens d’un camion empli de sacs de patates apportés par des paysans pour les ouvriers en grève. Je me souviens que nous accompagnaient pour nous protéger au cours des affichages nocturnes, des « ouvriers de l’ONIA », comme on disait de ces militants chevronnés qui semblaient cacher certains objets sous leur manteau. Je me souviens que l’on ne savait plus qui était « trotskyste », « chinois » ou « italien », ni pour quoi il ou elle militait. Je me souviens que la Cave Poésie, créée par René Gouzenne et Danièle Catala, reçut des poètes français, catalans, occitans. Je me souviens que sur le Pont Neuf, au passage des manifestations, flottaient ensemble le drapeau rouge et le drapeau occitan à la croix du Languedoc. Je me souviens d’une Nausicaa que je côtoyai dans des réunions, je la trouvais belle et intelligente, elle se rapprocha des anarchistes et je ne la vis plus jamais. Je me souviens comme nous sommes tombés de haut quand les élections donnèrent une majorité à la droite gaulliste, même chez nous. Je me souviens du dernier mot d’ordre peint sur le mur de la fac et qui me reste gravé au crane : « Prenez vos désirs pour la réalité ». Je me souviens que Léo Ferré chanta : « L’été comme un enfant s’est installé / Sur mon dos… » et dans son beau « Paris Mai » le toulousain Claude Nougaro concluait ainsi : « Gazouillez les pinsons à soulever le jour / Et nous autres grinçons, pont-levis de l’amour. »
(billet prononcé à Radio Mon Pais le 30 avril 2018).