En ces temps de pandémie, on a bien sûr envie de revenir sur l’Hôtel-Dieu. Cet ensemble massif rénové de style toulousain au XVIIIe siècle s’élève sur le site du premier hôpital de la « Ville rose », élevé par le comte Alfonse-Jourdain, ancêtre des Raimon de Toulouse, enrichi entre autres par les croisades en Orient. Agrandi au XVIIe siècle pour recevoir divers malades : incurables, femmes en couche et « vénériennes », chauffé de poêles à bois à la fin du siècle suivant seulement, il resta spartiate avant d’être remplacé par l’hôpital Purpan.
Les lieux maintenant affectés à l’administration du CHU et à des centres de recherche, les services hospitaliers déménagés, se déroulent présentement expositions, initiatives de charité et activités diverses tandis que seraient ourdis des projets de réaffectation. Un escalier monumental accède aux bâtiments bordant le fleuve. Sur le perron se trouve une niche où, derrière une vitre gît dans le tourniquet un dérisoire poupon de celluloïd emmailloté. C’est ici qu’au XIXe siècle on abandonnait encore les enfants à la charge des religieuses de l’hospice, dispositif permettant à des filles dites « perdues » ou à des femmes démunies, de déposer leur nouveau-né à l’abri des regards.
Pas de cornette en vue cependant. La Révolution ayant nationalisé les hôpitaux, suite à des difficultés, un Conseil Municipal anticlérical en 1891 demanda le retrait des Religieuses des services hospitaliers pour leur passage à la charge municipale. Signe que, suite à la Croisade contre les dits « Albigeois », autrement dit cathares, la ville fut « Toulouse la sainte », guerroyant et pourchassant longtemps les protestants et les athées, avant d’être partagée entre bigoterie et radicalisme.
Reste le souvenir des sœurs et de l’esprit qu’elles incarnaient qui hantèrent longtemps ces lieux où résonne toujours un passé de soins et à la fois d’exclusion, apanages d’une religion imprégnée dans les pierres des chapelles et les bois des stalles. On imagine aussi la catastrophe lorsque les locaux furent submergés jusqu’au premier étage et les malades évacués lors de l’inondation de 1875. Fascinants bâtiments classés monument historique qui semblent sommeiller, marqués dans le jardin par une énorme coquille Saint-Jacques en béton, signant la citation du monument par l’Unesco sur le chemin toulousain de Saint-Jacques de Compostelle.
Au rez-de-chaussée du bâtiment côté rue Viguerie, une vétuste porte en bois sculpté et patiné s’ouvre sur un hall occupé de vitrines sur la médecine durant la guerre. Les jours d’ouverture, on pénètre dans le musée de la médecine toulousaine pour lequel j’avais reçu il y a quelques années un responsable de sa réalisation : Jean-François Gourdou. Vision extra-ordinaire d’une ancienne pharmacie de plain-pied, univers magique avec ses boiseries d’un autre siècle et l’exposition de mortiers et pilons en pierre ou porcelaine, balances en laiton ou en acier, collections de pots de tous acabits, bocaux de verre teint, tamis, poids, etc.
Tableaux, sculptures, maquettes, autographes, documents et instruments médicaux anciens, retracent l’Histoire médicale toulousaine vieille de plus de sept siècles, selon deux thèmes : l’Histoire de l’Enseignement de la Médecine et de la Chirurgie et l’Histoire des Hôpitaux toulousains et des soins. De quoi frissonner encore devant d’anciens instruments… et de quoi se rassurer, plus ou moins, à l’idée des progrès actuel de la médecine.
Pour le sourire, il me fut récemment donné au cours d’une visite, d’assister à un sitting chantant et scandant par de jeunes blouses blanches venant de Purpan réclamer publiquement leur dû en prime, etc. interpellant les ministres de la santé ancienne et nouveau avec musique, chanson du Chiffon rouge entre autres et banderoles et pancartes. Si ces jeunes femmes et hommes manifestaient, ce n’était évidemment pas contre le virus mais bien contre l’insuffisance des moyens mis à le combattre. Un peu de recul devant les annonces officielles nous permet de constater que continue à se développer une instrumentalisation de la pandémie pour organiser une régression socio-politique encore inédite.
Nous voici bien loin du panorama recherché par le visiteur moyen s’extasiant sur l’arche qui reste dans le fleuve, vestige de l’ancien pont reliant l’Hôtel-Dieu à la Daurade. Loin aussi d’Ezra Pound qui écrivait de Toulouse :
« cette ville de brique au bord des eaux vertes de la Garonne ».