L’année 2013, l‘auteur vient de publier aussi L’Âge du christ (Ed. L’Amourier), journal d’une année où il eut l’âge en question (1970) et connut en Pologne celle qui serait sa compagne pour laquelle il écrirait la plupart de ses chansons : la talentueuse et belle Anna Prucnal. Il y évoque des souvenirs d’amitié avec Roger et Elisabeth Vailland, ses collaborations avec Planchon, Gatti, Allio, et bien d’autres choses. Dans le recueil de textes variés qu’est Village, voici qu’il égrène poèmes, récits et aphorismes, tressant au bout du compte une suite étrange et touchante. On gobe d’abord des notes villageoises : « Bloqués, laissés pour compte, abandonnés, des hommes et des femmes continuaient à vivre […] mais ces temps il n’y a même plus personne pour les regretter, les vieux ont disparu […] », des désirs de sortie: « Fuir / Loin de cet espace miniature abandonné / Réduit à lui-même » et une définition sans appel : « Le village est un lieu où l’on est désigné. / Où quand on ne l’est pas du doigt, l’on est montré du regard. » Rien à voir avec l’utopie du retour au pays ! Mais pas non plus de réquisitoire d’évidence. La sévérité se double de tendresse lucide, avec des pensées, des portraits et des poèmes qui émeuvent, font songer et gamberger, comme un retour à la fois grave et léger sur un passé lointain se radinant cahin-caha, ainsi qu’il arrive à chacun sur le tard après avoir bourlingué : « Et quand je serai mort / Je boufferai l’homme par la racine », et puis : « la femme du docteur / on l’a retrouvée nue / à consoler son cœur / avec un inconnu […] » et encore : « Polysémie / Frau en vieux français voulait dire effroi / En allemand / Cela veut dire femme ». Sans oublier la dérision : « J’aurais voulu être / Le plus grand poète / De tout l’étang / Disait le crapaud à la grenouille […] ». Un tableau pointilliste où les touches de peinture sentent l’affection autant que l’acide. Quel que soit le désarroi, ces gens-là – et avec eux l’auteur (« Je suis les autres ») – sont comme il est dit dans les épigraphes extraits de Cendrars et de La Bruyère : « L’on voit certains animaux farouches […] ils montrent une face humaine, et en effet, ils sont des hommes. » Pour tous ceux qui garderaient en eux un instinct de fuite hors d’un monde pourri… ce voyage en miettes au passé-présent, le cœur grand ouvert sur l’humanité, à lire avec un coup à boire comme au « café Mairand ».