Etonnant livre de « post-guerre » que ce roman où l’on s’attendrait aux éloges de rigueur pour les héros et pour les « libérateurs » américains et… qui est une fresque tout autre. En effet, non seulement sont pour le moins ambivalents les conquérants mais encore les Italiens. Et le tableau de la guerre plus horrible encore qu’il se doit, aggravé même par un humour récurrent qui tient plutôt du désespoir. Les Italiens vaincus à Naples sont certes écrasés, mais aussi ils se donnent avec veulerie et se vendent sans honneur. Je pense à Drôle de jeu de Roger Vailland, en plus sarcastique et moins existentialiste, moins amer aussi peut-être parce que plus précoce. Les deux auteurs furent d’ailleurs des connaissances et Roger aura séjourné dans la maison de Curzio à Capri, celle où plus tard Godard tournera Le Mépris. Porté au gré des évènements et de leur évocation dans des situations souvent paradoxales, on est dans ces pages néanmoins séduit par la grande culture et finalement l’humanisme profond de l’auteur. Dans cette peinture d’un désastre, les esprits sont plus touchés encore que les corps… puisque les femmes non seulement se vendent mais encore vendent leurs enfants. Certains jugements laissent coi : « Avant la libération nous avions lutté et souffert pour ne pas mourir […] Mais après la libération les hommes avaient dû lutter pour vivre. […] C’est une chose humiliante […] que de lutter pour vivre, pour sauver sa peau. » On appréciera la métaphore, peut-être aujourd’hui plus encore d’actualité.