J’ai lu ce roman avec un sentiment double, reconnaissance d’un temps (le nôtre aujourd’hui) très bien décrit et néanmoins léger agacement dû à un certain opportunisme dont est faufilée
l’œuvre. L’auteur est talentueux et reconnu comme tel, capable de dystopie (Moi, présidente publié en 2016) et aussi de sensible observation de la vie des gens de peu, tout comme de convocation de la grande culture (Hamlet le vrai). Cependant, la publication « vingt ans plus tard » de l’histoire de Dallas et Rudi qui avait donné en son temps une adaptation à la télévision, peut sembler cousue main pour un prochain succès au petit écran. D’autant que l’écriture souvent très sobre, voire clinique, donne la part belle aux situations ou caractères plutôt qu’à la patte d’écrivain. Ce qui peut d’ailleurs être reconnu comme un avantage, à l’image d’une manière dépouillée d’auteurs anglo-saxons. De fait, on vibre avec les héros (ou anti-héros), personnages ballottés en notre monde où la fermeture d’une entreprise plonge soudain tout une ville dans le tragique
, voire l’enfer. Souvent, on est pris par la précision des scènes au travail aliéné et l’on souffre et s’indigne du sort qui échoit ainsi aux femmes et aux hommes victimes sans pitié de la situation. Pourtant je lis cela plus comme un reportage que comme une tragédie contée de l’intérieur ou même de l’extérieur. Avec quelques lignes fortes telle : « ils se quittent comme si la douleur corrodait tous leurs élans » ou encore : « Écrire c’est vivre. C’est muer la nuit en jour. Faire des mots une partie vivante de sa chair. » Il reste que l’on souhaiterait à ce livre beaucoup de lectrices et de lecteurs pour, à cette lecture, se réveiller d’une anesthésie, ouvrir les yeux sur la réalité de notre monde et, comme les protagonistes de l’histoire, lutter ne serait-ce que par dignité.