Une « horizontale », comme on disait, qui n’est plus couchée sur les registres de filles publiques, femme faite elle-même, fière et libre, actuelle en somme, se lie d’amitié avec un jeune médecin noir. Ou du moins quarteron, ce qui fait subodorer que le beau rôle de l’homme, ainsi que le racisme dont il est parfois l’objet, ne sont pas le fait du hasard chez cet auteur. Des enfants sont trouvés morts, exsanguinés sur un lit de fleurs blanches. Et nous voici embarqués dans une enquête aux bas-fonds de la capitale d’alors et aussi dans les pratiques de chercheurs en médecine… sur le sang. Je ne dévoile pas la fin mais, de bordels en caves d’expériences clandestines, de cimetières en salles de rédaction, on finira par découvrir que le sang n’est pas ce qu’on croit : un lien commun à une « race ». Belle métaphore, que cette quête et remise en cause ! Sans rater ce que cela comporte de clins d’yeux à notre temps : « Le lecteur est exigeant, il veut du social, du contemporain. Le bourgeois ou la cocotte sont ses voisins. Il veut reconnaître le politique qui fricote avec la pègre… Il veut du roman à clés. » En prime, Patricia connaît sa Révolution française, chose étrange aujourd’hui où se porte bien de la mépriser. La généalogie du héros et d’autres personnages renvoie à une « Légion des Américains » venue combattre aux côtés des troupes républicaines, et commandée par… suspens ! En surprime, une filiation avec un certain Thomas-Alexandre Dumas. Une aventure prenante en une fresque vaste et aussi pointue, documentée sur les milieux médicaux (et feuilletonesques) de la fin du XIXème siècle. Dramatique, mais sans complaisance trash ni style déjanté à la mode. Que l’originalité fait du bien, surtout quand l’auteur s’amuse aussi à pasticher les feuilletons des journaux d’époque tout en s’en moquant ! « ― Compris quelque chose ? Compris quelque chose ! Feuilletoniste, va ! Compris quoi, bon sang ? » L’écrivaine avance avec virtuosité dans les arcanes de la fiction, aussi complexes que ceux de la vie. On ne s’y perd pourtant pas, surtout quand elle montre le bout du nez et d’autre chose d’une héroïne, évidemment parfois son double, avec une étrange générosité féminine envers un tout jeune gavroche. Et une écriture pour une fois dévoilée : « Le lit de Clara est comme un navire. […] Il veut encore les seins de Clara vivants sous ses paumes, le cœur de Clara palpitant sous ses lèvres […] Il veut aussi ce pouvoir enivrant qu’il vient d’entrevoir, ces deux soupirs qu’il est sûr de lui avoir arrachés et qui l’ont remué jusqu’à l’âme. » Je vous souhaite de bonnes et belles soirées avec ce livre !