Ce recueil de Francis Ricard est composé d’une soixantaine de poèmes en prose. Prose sans arrêt, sans ponctuation, « en un seul souffle ». Cela donne une force étrange, comme si la voix retentissait sans cesse et allait s’éteindre au bout. Les thèmes sont présents, très présents même, loin des bluettes d’une prétendue poésie qui trompe son monde et soi-même. Ici, le monde est là, et bien là, dans l’homme qui tente de le formuler en disant aussi sa propre tragédie : « sans ponctuation monde sans ponctuation monde déponctué le monde déponctué on s’y perd on étouffe halètement de la course sans pause […] » Peu de bonheur dans ce recueil, en fait, sinon celui d’être lucide et de protester dans un décor libertin presque funèbre : « orgie de bougies prémonitoires comme un festin annoncé l’amour ruisselle s’enlacent les ombres des corps ». Je connais Francis parmi quelques autres prof de philo qui écrivent. Lui n’a pas cherché la pédagogie du roman, voire l’action militante du néo polar, pas même l’essai métaphysique. Noblesse tragique du poète aujourd’hui où ce qui ne se vend guère est dit sans valeur. Où les artistes sont exploités par les marchands (et d’autres) : « ils savent pas les marchands d’art z’arrivent après z’étaient pas là dans la torture » La question ponctue (quand même) le livre comme un point d’orgue poignant : « ces livres que personne ne lit on les stocke encore dans les bibliothèques comme si on espérait qu’un jour y aura quelqu’un qui les lira qui y aura-t-il demain pour les lire ? y aura-t-il quelqu’un ? on écrit parce qu’on espère encore parce qu’on espère qu’il y aura encore quelqu’un qui lira […] quelqu’un qui voudra encore comprendre […]» Seule ponctuation notée dans le volume, des points d’interrogation !
* J’avais parfois côtoyé les éditeurs de Cheyne en Auvergne et j’apprécie le trajet de Jean-Pierre Siméon après avoir fréquenté son père Roger, aussi poète.