Le palais de justice est situé 2 allées Jules Guesde, il se présente au coin du carrefour Saint-Michel comme une tour moderne de briques, sorte d’étrave d’un curieux navire fait d’ancien et de très moderne s’enfonçant dans la ville. Métaphore inquiétante à la hauteur de la menace qui pèse sur qui est envoyé ici devant la Justice.
Entre ces allées et la place du Salin, l’ensemble de bâtiments construits entre le XVe et le XXIe siècles vit une partie de la cour d’appel classée monument historique et une autre (la cour d’assise et le tribunal de grande instance) inscrits un peu avant. Prodige de l’architecture évoquant côte à côte des siècles d’histoire et navrance du rappel qu’hélas aboutissent ici les victimes de la police parfois pervertie.
J’aurais pu traiter du commissariat central, tant le comportement des policiers en France défraie la chronique ces temps-ci. Je choisis ce lieu parce qu’il me rappelle un souvenir du temps des gilets jaunes. Sans preuve, sans ménagement et sur accusations crapuleuses, la police à Toulouse envoya manu militari sur les bancs de la justice quelqu’un que nous connaissons bien à la radio. Composé jadis de « gardiens de la paix », ce corps comprend maintenant des « forces de l’ordre », la nuance n’est pas anodine.
Miracle de la ville, le passé d’un lieu n’efface pas son présent mais le distrait. Lorsque les derniers travaux d’aménagement du tribunal furent conduits, apparurent dans les fouilles les fondations du fameux Château narbonnais, demeure et forteresse des comtes de Toulouse où naquit Azalaïs, la mécène de troubadours, sœur de Raymond VI. Avec les vestiges de l’une des tours romaines et la porte sud de la ville antique de Tolosa sur la voie romaine Narbonne – Bordeaux, ils sont mis en valeur dans une crypte accessible au public.
La voûte culmine à 25 mètres : vertige de la Justice et de l’enjeu actuel dans la remise en cause de libertés traditionnelles. La Croix, peu suspecte de gauchisme, relatait l’adoption du fameux article 24 qui prévoit de punir « le fait de diffuser… l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou d’un gendarme en action, notant que ces agents bénéficieraient d’un anonymat imposé comme dans toutes les dictatures. Victor Hugo écrivait dans Choses vues : « Ce gouvernement, je le caractérise d’un mot: la police partout, la justice nulle part. »
Des voix de juristes et de démocrates s’élevèrent, jusque dans les rangs de la majorité. L’effet des manifestations fut renforcé par celui des médias dont les journalistes étaient visés. Ainsi, les flics pourraient tabasser quiconque impunément ? Ainsi les faits deviendraient le droit ? C’était bien la peine de plaider le droit aux caricatures et à la critique de presse ! Pour une génération de vieux militants et pour bien d’autres, voter Macron fut barrer la route au fascisme. Hélas, le capitalisme mondialisé, incapable de gérer en douceur sa crise finale, s’avance dans une fascisation qui rappelle la « résistible ascension d’Arturo Ui » – et d’Hitler – selon Brecht.
Par chance, pour la démocratie mais pas pour la victime, les images d’une nouvelle bavure, justement filmée par des téléphones, a circulé sur les réseaux en prenant à contre-pied la loi scélérate. Le destin réserve ainsi des surprises. On vit depuis longtemps des exactions de la police. Sans remonter à celle de Vichy qui livra juifs et républicains à la Gestapo, il y eut Charonne et bien d’autres épisodes noirs, sans oublier les sanglantes ratonnades d’octobre 1961 où à Paris des centaines d’Algériens furent assassinés par les policiers sous les ordres du préfet de police Papon.
Pour le sourire, le ministre de l’intérieur a l’air fin, lui qui prônait le floutage des flics filmés en action, voire d’imposer aux journalistes une demande de permission d’assister aux manifestations, quand le Président déclare qu’il faut sanctionner les policiers fautifs, que suit le parquet et que l’on va ré-écrire la fameuse loi à peine votée ! Belle casserole à la queue d’un ambitieux qui veut surfer sur une droitisation de la république. Il est vrai qu’il ne manquait déjà pas de casserole, lui qui cumulait mandats et indemnités ainsi que des affaires telles que : accusations d’homophobie, d’abus de faiblesse, de viol et de harcèlement.
Parfois, on a plutôt envie d’écouter Jean Ferrat qui rappelle Shakespeare en chantant La Voix lactée : « Quelque chose est pourri/Dans mon royaume de France ».