Quand Marx prévoyait l’avènement d’un « homme total », être plein de savoirs et pouvoirs, il avançait sans doute trop vite dans le temps. Mais on se demande s’il avançait tellement, à voir la vie « totale » de certaine femme. Ainsi celle de Madeleine Riffaud. Morte tout récemment à cent ans, elle a conjugué tant de qualités : résistante, écrivain, journaliste et correspondante de guerre, elle était aussi poète, proche de Paul Eluard qui édita ses œuvres poétiques, mais aussi de Louis Aragon.

Connue surtout pour ses reportages, elle a publié entre autres : Les Linges de la nuit, prenant récit d’une expérience de fille de salle à l’hôpital, elle a vécu une vieillesse étonnamment lucide quoique devenue aveugle. Elle fut scénariste à 97 ans d’une BD réalisée sur ses exploits : Madeleine, résistante. Parmi ces hauts-faits, l’assassinat à 19 ans d’un officier allemand en plein jour sur le pont de Solférino. Et elle ne manquait même pas d’humour. Je me souviens qu’un jour, en conférence à Toulouse durant la guerre du Viet-nam contre les USA, à qui s’étonnait qu’elle ait pu vivre sous les tapis de bombes, elle rétorquait : « Dans la forêt il y a beaucoup d’oiseaux, mais c’est rare que l’un d’eux chie juste sur vous ! » Autre qualité qui résume les autres, c’était une femme insoumise qui épousa un poète vietnamien, en contradiction avec la loi locale à ce moment ainsi qu’avec l’idéologie dominante en France, l’ex-pays colonisateur non dénué de racisme.
Madeleine, s’il existe un paradis quelque part, nul doute que, dans un parterre de fleurs de lotus, tu dois t’y trouver insoumise à ses lois !