Il s’agit d’une jeune femme assassinée, alors qu’elle était un modèle de travail et de vertu « rouge » en Chine dite communiste. Et bien sûr, l’enquête va découvrir la victime très différente de son image officielle. Je fus conquis d’emblée. Même si l’auteur vit aux States, l’écriture (autant qu’on en juge par la traduction de l’anglais) ne singe en rien les yankees auteurs de noir. C’est un monde décrit non sans œil critique, mais aussi avec l’empathie pour sa propre culture : « Certes, Guan Hongying avait vécu pour les intérêts du Parti. Ce n’était que logique qu’elle soit morte aussi pour les intérêts du Parti. Et c’était dans son intérêt à elle qu’on étouffe l’affaire […] » Jusqu’aux citations philosophiques ou poétiques : « ― Tu te rappelles le poème de Dayu : J’ensevelis la fleur aujourd’hui, mais qui m’ensevelira demain ? ». D’ailleurs, l’inspecteur est poète et critique. Cela change des semi truands, pervers et alcoolos de surcroît ! Regard d’autant plus ouvert qu’il l’est aussi sur le passé, l’Histoire. Entre autres l’évocation de la « rééducation » à la campagne au temps des Gardes Rouges [qu’encensaient alors des « prochinois » français…] où « ils apprirent un certain nombre de choses, mais sans doute pas ce que le Président Mao avait voulu. Les usages de l’amour chez les Thaïs par exemple. » Sur fond de Chine du début des années 1990 où le capitalisme se constitue sous la houlette du Parti « Communiste », avec ses contresens, coulage dans les entreprises, favoritisme pour une nomenklatura, fortunes privées, etc. Peu de positif, pour l’auteur émigré et interdit de séjour. Mais une passion pour les gens, les pauvres et les cultivés, parfois les mêmes, vieux sages et jeunes femmes instruites. Avec des croquis forts et noirs, comme cette rue de Canton où sont exposés vivants les animaux que l’on va déguster : « La cuisine cantonaise était célèbre pour son imagination débridée. Soupe de serpent, ragoût de chien, fondue de cervelle de singe, chat sauvage, rat palmiste. » J’ai pris un grand plaisir à la peinture d’une Chine où mécanismes et décor sont contés avec talent :
« […] regardant rouler la houle jaune foncé, chantant des airs d’opéra de Péquin avec les oiseaux dans des cages suspendues aux arbres. »